Pâques, l'expérience d'une rencontre.
Depuis la nuit de samedi dernier, et pendant toute cette octave, nous avons pu lire dans les évangiles, différents récits d’apparition du Ressuscité à ses disciples. Et nous avons pu constater que malgré le témoignage des bénéficiaires de ces apparitions, la foi en la résurrection était difficile à intégrer. L’évangile de ce deuxième dimanche de Pâques n’échappe pas à cette règle.
Nous sommes au soir de Pâques, au soir d’une journée au cours de laquelle Jésus est apparu à Marie-Madeleine (seule ou accompagnée d’autres femmes selon les évangélistes) ainsi qu’aux disciples en chemin vers Emmaüs. C’est dans la matinée de ce jour que Pierre et Jean ont couru au tombeau, vérifier les dire de la première citée. Cette course au bout de laquelle le disciple que Jésus aimait vit et cru, alors que Pierre restait perplexe, voyant les mêmes signes, à savoir les linges posés à plat, ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus, non pas posé avec les linges, mais roulé à part à sa place. Quelques heures ont donc passé, et nous dit Jean, alors que les portes du lieu où se trouvaient les disciples étaient verrouillées par crainte des Juifs, Jésus vint, et il était là au milieu d’eux. Nous aurions pu nous attendre à un « youpi, il est ressuscité », quelques sauts de joies et des confetti, mais rien de tout cela. Au moment où il apparaît, il ne se passe rien. Il faudra une parole de sa part et la vue de ses mains et son côté pour que les disciples soient remplis de joie. Il ne suffit pas qu’il se montre, il faut qu’il se fasse reconnaître par quelques signes extérieurs pour qu’enfin cela fasse tilt dans leurs têtes. Le problème, c’est que Thomas n’était pas avec eux quand Jésus est venu. Ce n’est pas bien grave, me direz-vous, ils sont dix contre un ; ils vont bien arriver à le convaincre. Après tout, Jésus n’a-t-il pas soufflé sur eux l’Esprit Saint ? Et bien, ce qui devait se faire, ne se fait pas ! Thomas s’entête devant la joie débordante des dix autres : Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous, si je ne mets pas mon doigt dans la marque des clous, si je ne mets pas la main dans son côté, non, je ne croirai pas ! Quand on est têtu, on est têtu ! Nous avons entendu la suite, huit jours plus tard, tout est rentré dans l’ordre sans qu’il ne mette ses doigts nulle part, alors même que Jésus l’y invitait. Que s’est-il passé ? Que manquait-il à Thomas ?
Des générations de prédicateurs semblent dire qu’il lui manquait la foi ; Jésus lui-même semble aller dans ce sens quand il dit : Cesse d’être incrédule, sois croyant ; ou encore un peu après : Parce que tu m’as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu. Est-ce vraiment la foi de Thomas qui est en cause ? Pour une part, peut-être ; mais ce qui est plus fondamental pour moi, ce qui est en cause, c’est le témoignage des dix. Il n’a pas permis à Thomas de faire ce que les autres ont fait quand ils ont vu Jésus ce premier soir ; il n’a pas fait l’expérience de Jésus ressuscité. Et Pâques, c’est d’abord cela. Faire l’expérience que Jésus, celui qui était mort, est bien vivant désormais. Quand il fait cette expérience, il n’a plus besoin de mettre ses doigts ou sa main dans les marques de la Passion ; il croit en s’écriant : Mon Seigneur, et mon Dieu, ce qu’aucun autre disciple n’a fait. Je comprends qu’il fallait la figure de Thomas pour les générations à venir. Jésus n’allait pas faire apparition sur apparition pour que les hommes, à travers le temps et l’Histoire croient en lui. Thomas, c’est chacun de nous aujourd’hui, qui n’a pas fait la rencontre en direct live de Jésus ressuscité, mais qui croit sur parole. Toutefois, cet épisode nous rappelle à deux essentiels.
Le premier essentiel, c’est que les mots de la foi que nous avons appris ne restent pas juste des mots appris, enfermés dans notre intelligence ; il faut que ces mots descendent dans notre cœur. Ils doivent devenir les mots qui nous font vivre, quotidiennement. Avant d’être des mots à savoir, ils sont des mots à expérimenter. Apprendre son catéchisme, c’est bien ; vivre de ce que le catéchisme nous apprend, c’est préférable si nous voulons que la foi soit au cœur de notre vie. Le défunt pape François n’a cessé, durant son pontificat, de nous rappeler cela, de remettre la foi au cœur de notre vie, de la faire descendre de notre cerveau vers notre cœur, en passant par nos mains et nos pieds. Quand il nous invitait à aller aux périphéries, il nous invitait à vivre notre foi. Quand il nous pressait à l’accueil des migrants, il nous pressait à vivre notre foi. Quand il nous disait de ne pas juger ceux qui ont une sexualité différente, il nous disait de vivre notre foi. Quand il nous demandait de vivre une Eglise plus synodale, il nous demandait de vivre notre foi. Et la liste est longue encore des moyens très concrets de vivre notre foi, c'est-à-dire de faire en sorte que notre foi descende de notre cerveau vers notre cœur.
Et cela nous amène au deuxième essentiel. Pour que nos contemporains puissent faire ce chemin d’une foi intellectuellement comprise à une foi vécue, nous devons soigner notre art de vivre et de témoigner de lui. Si pour nous, chrétiens croyants et engagés, Jésus mort et ressuscité est juste une belle idée, nous ne convaincrons pas les Thomas d’aujourd’hui qui veulent des preuves. Si nos visages sont durs, nos mains fermées, nos pieds réticents à la rencontre de l’autre différent, nous ne convaincrons pas les Thomas d’aujourd’hui qui veulent faire une rencontre. Personne ne rencontre la joie de croire en croisant des visages fermés ; personne ne rencontre Jésus qui invite à accueillir l’autre devant des portes closes ; personne ne rencontre le Ressuscité qui offre sa vie devant des comportements mortifères ; personne ne peut croire en la résurrection du Christ si les mots que nous utilisons pour parler de lui planent au-dessus des nuages ou sont vides. Comme les dix disciples qui ont rencontré Jésus au soir du premier jour de la semaine, nous avons reçu l’Esprit Saint qui nous permet de témoigner du Ressuscité. Qu’en avons-nous fait ? Notre vie dit-elle la résurrection de Jésus ? Notre manière d’agir avec les autres leur parle-t-elle de ce Dieu qui aime tout homme, quelle que soit son histoire personnelle ? Pour reprendre une des premières paroles du pape François, sommes-nous témoins du ressuscité, annonçant la Bonne Nouvelle à temps et à contre-temps, ou sommes-nous douaniers de la foi, vérifiant sans cesse d’abord la conformité d’une vie avant d’annoncer Jésus Christ ? Si nous attendons que les autres soient parfaits avant de leur parler du Christ, nous risquons d’attendre longtemps, et nous serions nous-mêmes bien orgueilleux de nous croire parfaits parce que nous pensons avoir la foi. C’est parce que je crois en Jésus qui me sauve par sa mort et sa résurrection que j’essaie patiemment d’ajuster ma vie à son Evangile. Si ceux qui m’ont parlé de Jésus avaient attendu que ma vie soit parfaite, je ne serais pas devant vous aujourd’hui, parce que je n’aurais sans doute pas encore entendu parler de l’Evangile.
En relisant l’épisode de Thomas, certains pourraient être tentés de me dire que même les dix disciples n’ont pas réussi avec lui ! Peut-être est-ce parce que ce n’était encore que des mots pour eux, mais pas une expérience qui a radicalement transformé leur vie au point que Thomas s’en rende compte. La preuve, ils sont toujours entre eux, n’osant se confronter aux gens hors de leur groupe. Pâques est et restera toujours l’expérience d’une rencontre à faire et à vivre, pour la faire vivre à d’autres. Ne désespérons ni de nous, ni des autres ; mais apprenons toujours mieux à faire descendre dans notre cœur ce que notre intelligence peut croire. Alors nous vivrons ce que nous aurons découvert, et nous pourrons le faire découvrir et vivre à d’autres. Amen.