Adoration, communion : pourquoi les opposer ?

Tout a commencé le 7 avril de cette
année, dans la rubrique A vif, du journal La Croix. Un prêtre témoigne
comment le pape Jean-Paul II a marqué des générations de prêtres dans le monde.
Il dit entre autres : Jean-Paul II insistait sur la centralité de la
prière dans la vie du prêtre. Ma génération cherche à développer une
spiritualité, souvent nourrie par l’adoration eucharistique, une forte dévotion
mariale et un attachement à la liturgie. Rien de révolutionnaire ni
d’extravagant. Cela a pourtant entraîné des réactions de lecteurs interrogeant
le positionnement de ce prêtre. Une personne par exemple s’interroge : Qu’est-ce
qui est le plus important, la communion eucharistique – qui fait des fidèles le
Corps du Christ pour qu’ils témoignent de l’amour de Dieu pour tous –, ou
l’adoration eucharistique – pratique individualiste, qui n’est pas sans risque
de déviance (fascination pour l’hostie, chosification de la présence réelle
dans un morceau de pain) ? La fête du Corps et du Sang du Christ qui nous
rassemble, est l’occasion toute trouvée pour éclaircir ce questionnement parce
que justement, nous y ferons les deux : communier et adorer !
Ma première réponse serait de
dire : pourquoi opposer communion et adoration ? Parce que la
première serait communautaire et la seconde individuelle ? Tout alsacien
qui se respecte sait que l’adoration est aussi communautaire. Il peut en faire
l’expérience chaque année lorsque son secteur est d’adoration au Mont Sainte
Odile. Depuis 1931, les paroisses se relaient dans ce haut-lieu de la foi
chrétienne en Alsace pour porter devant le Saint Sacrement exposé la prière
pour l’Eglise diocésaine et pour le monde. Jour et nuit, nous nous relayons,
deux par deux, pour assurer cette prière devant le Christ présent dans l’Hostie
exposée. Est-ce dangereux que de vouloir être présent à Jésus ? Est-ce dangereux
que de se mettre à l’écoute de Celui qui a livré sa vie pour notre salut ?
Est-ce dangereux de se confier et de confier le diocèse et le monde à l’Amour
exposé et adoré ? Je ne crois pas, sinon je n’y entrainerais pas des
jeunes chaque année. Adorer le Saint Sacrement, c’est justement croire à cette
présence continue du Christ qui nous stimule, stimule notre foi et nous tourne
vers les autres. Nous venons devant lui, avec nos peines et nos joies, avec les
visages de celles et ceux qui nous ont demandés de prier pour eux. Nous venons
devant lui accueillir son amour, non pour le garder jalousement pour nous, mais
pour le répandre et le transmettre. Adorer ne sert à rien si cela ne nous relie
pas aux autres ; adorer ne sert à rien si cela nous replie sur nous-mêmes.
Le « risque de déviance » existe, mais pas plus qu’avec la communion
eucharistique !
Si l’adoration est importante, la
communion eucharistique l’est tout autant. Elle nous fait accueillir
physiquement à travers ce Pain rompu et partagé, le Christ qui s’est livré pour
nous. C’est le sens même voulu par Jésus : Ceci est mon corps, qui est
pour vous. Faites cela en mémoire de moi. Cette coupe est la nouvelle Alliance
en mon sang. Chaque fois que vous en boirez, faites cela en mémoire de moi. Faire
mémoire, c’est plus que simplement se souvenir ; c’est rendre ce sacrifice
unique, contemporain à notre vie. Et ce faisant, nous redisons le cœur de notre
foi en Jésus qui s’est livré pour nous et dont nous attendons le retour. Nous avons entendu Paul l’expliquer aux
chrétiens de Corinthe : Chaque fois que vous mangez ce pain et que vous
buvez à cette coupe, vous proclamez la mort du Seigneur, jusqu’à ce qu’il
vienne. Le risque de chosifier le corps du Christ est tout aussi réel dans
la communion que dans l’adoration. Je peux communier en ne pensant qu’à moi et
à mon petit Jésus qui se livre pour moi, oubliant qu’il s’est livré pour la
multitude ! Que la communion eucharistique construise le corps du Christ
est une réalité à laquelle je crois, mais ce n’est pas pour autant que chacun
en a conscience, ni même que chacun ait le désir de grandir dans l’Eglise et de
la servir. La communion ne garantit pas davantage une ouverture et une
attention aux autres. C’est toujours une question personnelle : est-ce que
je reçois l’Hostie pour moi tout seul ou pour que le Christ nourrisse ma foi et
me rende courageux sur le chemin de la mission, à la rencontre des frères et
sœurs en humanité qu’il met sur ma route ?
En cette solennité du Saint
Sacrement, nous allons communier, non parce que nous l’avons mérité, mais pour
redire notre attachement profond au Christ et notre désir de nous laisser
envoyer par lui, dans le monde, pour y vivre notre foi. Il est le Pain qui nous
fait vivre et nous met en relation avec lui et les autres. En cette solennité
du Saint Sacrement, nous allons aussi processionner et prendre un temps
d’adoration, à l’issue de la messe. Nous porterons le Christ au cœur de cette
cité, au cœur de la vie des hommes et des femmes de notre temps. Ils nous
regarderont ou pas ; ils apprécieront ou pas. Cela les concerne et ne nous
empêchera pas de rappeler que l’homme, à cause de Jésus, vaut plus que ce qu’il
pense, qu’il est appelé à une vie qui le dépasse et le fait grandir jusqu’à
être capable d’assumer Dieu. Parce que oui, l’homme est capable de Dieu.
Capable de l’accueillir dans sa vie par la communion ; capable de le
laisser transformer sa vie par l’adoration. Communion et adoration nous
rapprochent du Christ qui nous renvoie toujours vers nos frères et sœurs en
humanité qui sont comme un reflet de sa présence à notre monde. La communion
comme l’adoration nous renvoie vers l’humanité pour que nous la servions comme
nous essayons de servir Dieu. Que cette solennité nous le fasse comprendre
davantage. Amen.
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