Homélie donnée pour les obsèques de Soeur Françoise Magdeleine du Saint Esprit, Carmélite. Carmel de Marienthal, samedi 2 septembre 2023
(Textes bibliques : Ph 3, 7-14 / Ps 26 / Jn 4, 21-26)
Le
court extrait de l’évangile de Jean que je viens de proclamer, nous le devons à
la rencontre de Jésus avec la Samaritaine. Ce texte fait partie des évangiles
de la préparation ultime des catéchumènes avant leur baptême. Il est riche
d’enseignement, et il est presque dommage de n’en avoir entendu qu’un tout
petit bout. Mais quel bout ! celui où Jésus révèle à la Samaritaine qu’il
est le Messie attendu. Nous ne saurons pas ce qu’elle a pu dire après cette
révélation, parce que les disciples de Jésus reviennent de la ville où ils sont
allés faire quelques courses et la Samaritaine va les laisser pour appeler les
gens de son village.
Ce
passage entendu nous invite alors à reprendre tout l’échange que Jésus a eu
avec la Samaritaine : c’est d’abord l’étonnement de cette femme face à
Jésus qui ose lui demander un verre d’eau qu’il n’aura jamais ; c’est
ensuite le questionnement de la femme et sa recherche de la vérité ; c’est
cette révélation de Jésus comme Messie, pour finir par le témoignage de la
femme auprès des gens de son village qui viennent à leur tour à Jésus. Cette
rencontre est à elle toute seule une leçon de vie, une leçon de foi, une leçon
de témoignage. Une leçon de vie, parce que cette femme comprend que les
fragilités de sa vie ne sont pas un objet de condamnation, mais un
encouragement à regarder sa vie avec confiance, vérité et espérance. Une leçon
de foi, parce que la Samaritaine interroge Jésus sur des questions religieuses
qu’elle cherche à comprendre ; sa foi n’est pas une leçon de catéchisme
apprise ; elle est recherche, approfondissement de ce qu’elle a appris.
Leçon de témoignage parce qu’elle ne garde pas pour elle ce qu’elle vient de
comprendre, ni celui qu’elle vient de rencontrer ; Jésus lui a parlé au
cœur, elle estime que cela est suffisamment important pour que d’autres
puissent faire la même expérience. Si elle ne les informe pas, qui le
fera ? Quand l’Evangile transforme votre vie, c’est toute votre vie qui
devient Evangile, Bonne Nouvelle pour les autres.
Cette
expérience de Jésus qui transforme, voire bouleverse une vie, Paul la fera lui
aussi, de manière très radicale. Il le reconnaît, dans l’extrait aux
Philippiens entendu en première lecture. Cette rencontre a tellement changé sa
vie qu’il ne regrette pas un instant ce qu’il a dû laisser de son ancienne vie
pour suivre le Christ. Tous les avantages que j’avais, je les ai considérés,
à cause du Christ, comme une perte. D’autres traductions disent : Je
les ai considérés comme des balayures, c'est-à-dire comme rien, comme des
choses sans valeurs que l’on dégage d’un coup de balai. Seul comptera,
désormais pour Paul, le Christ et son annonce aux hommes, avec comme horizon la
vision face à face avec le Christ quand Dieu l’appellera auprès de lui. Une
seule chose compte : oubliant ce qui est en arrière, et lancé vers
l’avant, je cours vers le but en vue du prix auquel Dieu nous appelle là-haut
dans le Christ Jésus. La foi chrétienne comporte cette espérance, qui n’est
pas une vaine promesse, mais la récompense de toute une vie tendue vers la
connaissance du Christ.
En
relisant alors les notes que nous m’avez transmises, relatant la vie de sœur
Françoise Magdeleine, je ne peux m’empêcher de croire qu’il y a des vies qui
sont un Evangile, une Bonne Nouvelle incarnée. La sienne en est une
assurément ! Quand on relie cette vie, on voit ses fragilités, ses échecs,
mais aussi sa persévérance et la certitude qu’il y a une vérité de toute vie,
et qu’il faut la chercher. Notre cœur ne saurait être en repos autrement. Je
garde en mémoire des rencontres brèves, à la sacristie, après une homélie qui
l’avait touchée ou interrogée. Elle venait à la fois se rassurer qu’elle ait
bien compris ce que j’avais dit, et me remercier de l’avoir éclairée sur un
point qui était resté une énigme, ou une insatisfaction pour elle. Comme la
Samaritaine, comme Paul de Tarse, elle cherchait vraiment à comprendre, à
approfondir encore sa foi. Comme Paul, le grand âge avançant, elle était tendue
vers le but, la rencontre avec le Christ qu’elle a cherché à mieux connaître
toute sa vie durant. Devant cet amour sincère, ses fragilités ne sont que
balayures ; elles ne comptent pas aux yeux de Dieu. La sérénité et la paix
qui l’habitaient cette dernière année en témoignent. Elle a couru la bonne
course, elle a mené le bon combat. Elle en est récompensée désormais. La foi
qui est nôtre me donne cette certitude.
Nous
accompagnons Sœur Françoise-Magdeleine vers sa dernière demeure. Comme nous le
rappelle la liturgie des funérailles, elle nous a quittés, certes ; mais notre
foi nous dit aussi qu’elle nous précède en ce Royaume auquel nous espérons, et
qu’elle veille désormais avec nous, pour que nous aussi courions la bonne
course et menions le bon combat. Que l’Esprit Saint, mystère sous lequel elle a
placé toute sa vie de consacrée, nous éclaire et nous garde dans la foi au
Christ vivant qui s’est livré pour nous et dans l’espérance de le rejoindre un
jour. Amen.
Homélie donnée le jeudi 13 juillet 2017 pour les obsèques de Germaine WOLFF - Eglise saint Laurent de WOERTH.
Cela aurait dû être une intervention
banale ; ce fut le début du dernier chemin de Germaine dans notre monde.
Et nous voici aujourd’hui rassemblés pour l’accompagner vers sa dernière
demeure, la confier à la miséricorde de Dieu et trouver pour nous-mêmes
réconforts et raisons de continuer à vivre, malgré la douleur de la séparation.
Car reconnaissons-le, la mort de nos proches sonne comme la fin d’un
monde ; désormais, nous vivrons sans la présence physique de Germaine,
mais, dans la foi, nous ne vivrons pas sans elle. Je voudrais, pour vous en
convaincre, relire avec vous la Parole de Dieu entendue et voir comment cette
Parole a rencontré la vie de Germaine et comment surtout elle a reçu un écho
favorable dans cette vie particulière.
L’auteur du Livre de la Sagesse
l’affirme : Dieu a créé l’homme pour
une existence impérissable, il a fait de lui une image de ce qu’il est en
lui-même. Voici une affirmation forte de la foi et la base de toute la
réflexion du sage. Nous sommes à l’image de Dieu, nous sommes faits pour une
vie marquée du sceau de l’éternité. Quand tout va bien pour nous, c’est une
affirmation qui ne coûte rien. On peut bien y croire. Mais quand la détresse et
la mort nous frappent, avons-nous encore le courage de cette foi ?
N’avons-nous pas tendance alors à douter de Dieu ? Car enfin, comment, un
homme fait pour une existence
impérissable, peut-il mourir ? Dieu reviendrait-il sur son
projet ? Ecoutons encore le Sage : la vie des justes est dans la main de Dieu, aucun tourment n’a de prise
sur eux… ils sont dans la paix. Moins de cent ans avant la mort et la
résurrection de Jésus, voici que les hommes découvrent que la mort elle-même ne
saurait avoir de prise sur leur vie. Elle n’est ni une vengeance de Dieu, ni
une punition de Dieu. Elle est une étape, un passage vers la paix de Dieu. Elle
est comme une nouvelle naissance ; de même que nous avions à mourir à la
vie qui était la nôtre dans le sein de notre mère pour naître à notre vie
terrestre, de même nous faut-il mourir à cette vie terrestre pour naître et
vivre éternellement par Dieu, avec Dieu et en Dieu. Nous voyons là la
miséricorde de Dieu à l’œuvre pour les hommes. Ce qui est inexplicable et
incompréhensible humainement, prend sens grâce à l’amour de Dieu pour nous.
Sans doute est-ce ce même amour qui
conduit Jésus à nous livrer la parabole du jugement dernier. Nous en avons
entendu la première moitié. La seconde lui est presque identique ; elle
reprend les mêmes affirmations, dans la négative. Pour donner du poids à ce que
nous avons entendu, il nous faut donc prendre cette deuxième partie en compte.
Le message qui est au cœur même de cette parabole est le suivant : chaque fois que vous l’avez fait (ou pas) à
l’un de ces plus petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait
(ou pas). Mais c’est quoi ce qu’il fallait faire ? La réponse nous la
comprenons de la déclinaison donnée par Jésus : il fallait aimer ; et pour reprendre ici saint Jean, non pas avec des paroles et des discours,
mais par des actes et en vérité. Pour être très clair, Jésus nous rappelle
que tout au long de notre vie, nous croisons quantité de gens. On peut croire
que nous les croisons par hasard ; on peut aussi comprendre que Dieu
lui-même les met sur notre chemin. Mieux, qu’à travers eux, c’est le Christ
lui-même qui croise notre vie. Dès lors, comment nous détourner d’un seul
homme ? Comment détourner les yeux et faire comme si rien ne se
passait ? L’homme avait faim, soif,
il était nu, étranger, malade ou en prison : qu’ai-je fait ?
Comment me suis-je comporté ? Vous remarquerez qu’il n’y a aucune question
sur le nombre de fond de culottes que nous aurons usé sur les bancs d’une
église ! Non pas que cela n’ait pas d’importance, mais peut-être est-ce là
encore un effet de la miséricorde de Dieu ; il a la pudeur de ne pas
comparer, pour les plus pratiquants d’entre nous, le temps passé à le servir
dans la prière et le temps passé à le servir à travers les autres. Il a la
délicatesse de rappeler à ceux qui ont plus de mal avec le chemin de l’église qu’ils
ne seront pas d’abord jugés sur cela, mais bien sur la charité qu’ils auront su
vivre. Il nous rappelle surtout à tous que la prière et la charité se
nourrissent l’une de l’autre. Il nous faut trouver le bon équilibre. Il faut
réconcilier en nous Marthe et Marie, celle qui s’affaire aux multiples
occupations du service et celle qui se met à l’écoute de son Seigneur. Chacune
est importante, chacune à sa place.
Ceux qui connaissent bien Germaine auront
reconnu là le point de jonction entre sa vie et la Parole de Dieu. Demandez à ses
enfants de parler d’elle, et des mots comme générosité, dévouement, accueil,
écoute, prière, confiance, foi profonde vont jaillir spontanément. Son humilité
ne m’en voudra pas de le souligner ici. Elle nous montre que la Parole de Dieu,
ce n’est pas simplement une belle parole, mais une parole donnée pour notre
vie, une parole donnée pour que nous la mettions en œuvre. Dieu parle aux
hommes de notre temps à travers notre manière de vivre avec eux. Dieu rend
notre monde meilleur à travers nous. Si nous restons là à le contempler et à
nous lamenter, rien n’ira mieux. Mais si nous décidons de nous appuyer sur sa
Parole pour agir, même modestement, à l’échelle de notre famille, de nos
voisins, alors le monde s’en trouvera mieux. Je crois que c’est ce que Germaine
avait compris de notre foi ; c’est ce qu’elle en a vécu. C’est l’héritage qu’elle nous laisse. Elle se
situe ainsi dans le droit chemin de Marie, la Mère de Jésus, la servante du Seigneur. La Parole de
Dieu était sa vie ; elle nous a livré cette Parole en nous donnant Jésus.
Elle a servi cette Parole, humblement, sans chercher autre chose que de
conduire les hommes au Christ. Elle a servi cette Parole en étant pleinement
Mère et en devenant pleinement disciple. Nul doute pour moi que Marie accueille
aujourd’hui celle qui a placé sa confiance en elle ; nul doute que
Germaine se réjouit aujourd’hui en présence de Marie, accomplissant ainsi ce
pèlerinage qu’elle n’aura pu faire à Lourdes.
Avec l’auteur du Livre de la Sagesse,
croyons que la vie des justes est dans la
main de Dieu. A l’écoute de Jésus, apprenons à nous mettre à son service en
servant nos frères. A l’école de Marie, découvrons la volonté de Dieu pour nous.
Et puisque Germaine nous a montré que cela était possible, accomplissons cette
volonté avec humilité et persévérance, dans l’ordinaire de notre vie. Nous
connaitrons alors nous aussi la joie du Royaume quand viendra pour nous l’heure
du grand passage. Nous vivrons pleinement en Dieu ce que nous aurons
modestement compris ici-bas. Amen.
Homélie donnée pour les obsèques d'Edgard GUTH - église de Sessenheim le 21 décembre 2012
Selon les Mayas, c’est aujourd’hui la
fin du monde. Mais ce n’est pas cet événement hypothétique qui nous rassemble
en cette église, quoi que. C’est bien la fin d’un monde que nous venons
célébrer avec le retour vers le Père d’Eddy, qui a tant œuvré dans cette
communauté. La fin d’un monde, la fin d’une époque et le début de quelque chose
de neuf, le début de quelque chose qui est encore la vie. Depuis l’annonce de son décès, nous sommes
différents et pourtant toujours les mêmes. Depuis l’annonce de son décès, la
vie de la communauté est différente et pourtant toujours la même. Mystère de la
vie qui se poursuit, à travers nos peines et nos joies ; mystère de la vie
qui nous transforme sans que nous nous en rendions bien compte. A travers les
lectures que nous venons d’entendre, je voudrais évoquer sa figure, ce que j’en
ai découvert en deux ans de présence ici et vous permettre de faire un pas à la
rencontre de ce Dieu qu’il a aimé et servi à sa manière.
Lorsque saint Jean nous livre
l’Apocalypse, il nous laisse une somme de vision sur la fin des temps, sur le
retour glorieux du Christ. Le passage que nous avons entendu commence
ainsi : Moi, Jean, j’ai vu un ciel
nouveau et une terre nouvelle, car le premier ciel et la première terre avaient
disparu, et il n’y avait plus de mer. Un monde s’en est allé, un nouveau
monde est déjà né, comme le chante un cantique. Il présente ainsi ce monde dans
lequel revient le Christ glorieux. Ce n’est pas la fin de la vie qu’il décrit,
ce ne sont pas de grands bouleversements ; il y a juste cette mention de
l’absence de mer qui peut surprendre. Tant pis pour les surfeurs ! Cette
absence de mer est la caractéristique principale de ce nouveau monde. Dans le
langage biblique, cela signifie simplement qu’il n’y a plus de Mal, la mer
étant le lieu où habitent les forces du Mal. Ce monde nouveau que le Christ
vient établir est un monde libéré, libéré du mal, libéré de la peur, libéré de
la Mort. C’est un monde en paix qui est établi et dans lequel le Christ revient
victorieux. N’est-il pas celui qui, par sa mort et sa résurrection, a
définitivement mis à mort la Mort même, et qui a vaincu une fois pour toutes,
tout ce qui s’opposait au bonheur de l’homme ?
Et je ne peux alors m’empêcher de penser
à Eddy. Je ne l’ai vu qu’une fois en colère en deux ans, une seule fois, et
pour une chose qui lui tenait à cœur : c’était il y a deux mois, juste
avant le centenaire, quand certains avaient cru bon de lui gâcher sa fête. Il a
pris sur lui, comme toujours, mais c’était la fois de trop, la fois qui l’a
conduit à l’hôpital d’où il n’est plus revenu. Mais il est entré dans ce
nouveau monde, le cœur en paix, le cœur libéré ; là, sur son lit de souffrance, il a pu recoller
les morceaux d’une vie qui lui avait échappé il y a longtemps déjà, une vie qui
le faisait même secrètement souffrir. Il est parti, tenant la main de sa fille
qu’il a tant espéré revoir. Quand on vous dit que Dieu fait toutes choses
nouvelles, quand on vous dit que rien n’est impossible à Dieu, croyez-le comme
Eddy l’a cru. Et goûtez pleinement ce bonheur qui lui a été fait, comme un
dernier cadeau, juste avant Noël. Soyez comme les anges du ciel qui se
réjouissent chaque fois qu’un peu de bien arrive sur terre, et laissez là les
réactions du fils aîné de la parabole de l’enfant prodigue, incapable de se
réjouir du retour en vie de son frère. Ce monde nouveau, libéré du Mal, Dieu l’a
fait pour Eddy au soir de sa vie. Réjouissons-nous de ce que sa foi profonde
n’ait pas été déçue ! Il a cru, il a trouvé sa récompense ; qu’il
repose désormais dans la paix de son Seigneur et Maître.
Homme de foi, Eddy avait aussi une confiance
absolue en Marie, la Mère de Jésus et notre Mère. Vous comprenez pourquoi j’ai
choisi alors l’évangile de l’annonciation. A cette jeune fille encore vierge,
promise en mariage à Joseph, l’ange de Dieu vient annoncer qu’elle aura un Fils,
de Dieu lui-même. Sans trop savoir à quoi elle s’engage, sans trop savoir à
quoi elle engage le monde, elle dit oui : Voici la servante du Seigneur, que tout se fasse pour moi selon ta
Parole. Mystère de la foi qui acquiesce au projet d’amour de Dieu pour
l’humanité. De Marie naîtra donc le Messie, celui que nous attendons dans la
foi et dont nous célèbrerons la venue
dans quatre jours. Disponible, Marie l’a été. Et elle nous a souvent invités à
faire de même. Souvenez-vous des noces de Cana : Faites tout ce qu’il vous dira.
Cette disponibilité toute mariale, Eddy
l’a vécu au service de notre communauté, comme secrétaire du Conseil de
fabrique, comme rédacteur du livre retraçant l’histoire de cette église. Je
vous en conseille la lecture : c’est un vrai travail de moine copiste,
dans lequel l’auteur se retire derrière l’œuvre. Ce livre porte la trace du
savoir immense d’Eddy, et pourtant elle n’en porte pas son nom. Il s’est
dissout dans son œuvre. Cette même disponibilité l’a fait servir plusieurs
prêtres, s’arrangeant du caractère de chacun, remplissant fidèlement les tâches
qui lui étaient confiées. De sa belle écriture, il aura écrit les pages de
l’histoire contemporaine de la paroisse, puis de la communauté de paroisses,
tenant de manière exemplaires les registres paroissiaux, et consacrant des
heures à bien écrire chacun de vos noms chaque fois que vous veniez célébrer un
sacrement. Il aimait le travail discret et le bel ouvrage. Il s’est rendu
disponible, n’attendant rien en retour.
Homme de foi, homme d’érudition, homme
de service, il aura marqué l’histoire de notre communauté. Aujourd’hui, il ne
nous reste que son exemple, mais quel exemple ! Au moment où nous
l’accompagnons, osons demander à Dieu la même foi, le même sens du service, la
même disponibilité toute mariale, et nous participerons à la venue de ce monde
nouveau que Dieu veut créer pour nous et avec nous. Dieu ne nous sauvera pas
malgré nous ; il nous sauvera si nous y consentons. Eddy a consenti au
réel de sa vie, même quand elle lui a été difficile ; il a consenti à
vivre ce passage vers le Père ; il s’est abandonné à Dieu quand tout était
dans l’ordre : il avait fini son livre, il avait retrouvé sa fille ;
tout était bien ; sauf peut-être pour nous ! Pour nous, il y a ce
vide, cette blessure peut-être. Il nous faut donc consentir au réel de cette
vie sans Eddy, forts de tout ce qu’il nous aura apporté, enrichi d’une histoire
sûre de notre communauté. Car seul celui qui assume et connaît son passé peut
se projeter dans l’avenir avec confiance. Notre avenir est en Dieu auprès
duquel Eddy désormais nous attend. Il n’aura pas cru en vain ; il n’aura
pas servi en vain. Dieu le récompense et nous invite à vivre de la même foi, du
même esprit de service. Essayons et nous verrons notre monde changer. En mieux.
Selon la promesse de Dieu. Amen.
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Homélie donnée en l'église de Holtzheim le 28 juillet 2012 à l'occasion d'un mariage.
(textes choisis par les fiancés : He 13, 1-4a.5-6b / Psaume 144 / Mt 19, 3-6)
Un seul être vous manque et la terre est dépeuplée, nous dit la sagesse populaire. Et qui a déjà aimé sait la vérité de cet adage. Il suffit que l’autre soit absent, même un court moment, et un sentiment de solitude nous envahit. L’autre est devenu plus qu’un autre ; il est une partie de nous. Quand c’est ainsi dans une vie d’homme, il est plus que temps de prendre un engagement plus profond qui soit pour tous le signe de cet amour qui a grandi, qui a mûri et qui pousse un homme et une femme à vouloir partager leur vie d’abord, leur amour ensuite en l’ouvrant à d’autres vies, celles des enfants qu’ils désirent accueillir. C’est bien ce qui nous réunit cet après midi, en cette église, autour de vous, Damien et Carine. Vous voulez, devant Dieu et devant les hommes, unir vos vies pour ne faire plus qu’un. Les lectures, que vous avez choisies, nous permettent d’approcher le sens de ce sacrement que vous allez recevoir dans un instant.
A la question posée par les pharisiens (Est-il permis à un homme de renvoyer sa femme pour n’importe quel motif ?), Jésus ne répond pas directement. Il ne dit pas oui ; il ne dit pas non (Désolé, Damien !). Mais il nous entraîne au-delà, pour comprendre le sens profond de l’engagement au mariage. Et ce sens profond, c’est que c’est d’abord un acte qui engage Dieu. C’est lui qui unit ceux qui choisissent de se marier ; c’est son amour pour les hommes qui donne sens à l’amour que se portent un homme et une femme. C’est Dieu qui a éveillé l’amour en leur cœur pour leur permettre de vivre leur part du projet d’amour de Dieu pour chacun. Et ce projet, Jésus le précise ainsi : l’homme quittera son père et sa mère, il s’attachera à sa femme et tous deux ne feront plus qu’un ! Pour s’unir l’un à l’autre, l’homme et la femme doivent d’abord se séparer, se séparer de leur familles d’origines. Ce n’est qu’à ce prix qu’ils pourront fonder la leur. Si jamais certains avaient encore des doutes, désormais vous n’êtes plus des enfants ; désormais vous prenez vraiment votre vie en main ; désormais vous choisissez une nouvelle solidarité : celle d’époux et d’épouse. Cela ne signifie pas que vous êtes fâchés avec vos parents respectifs, loin de là. Mais vous devenez vraiment autonomes ; vous ne vous réaliserez plus à travers vos parents ; votre point de référence, ce ne sera plus papa/maman. Vous vous réaliserez pleinement avec celui ou celle que vous avez choisi ; cet(te) autre devient aujourd’hui votre référence, celui, celle sans qui la terre serait dépeuplée. Et, nous dit Jésus, cela est l’œuvre de Dieu parce que Dieu est amour, pour parler comme saint Jean. Dieu n’a pas d’autre ambition que de nous aimer et de nous apprendre à aimer comme lui aime ; c’est-à-dire d’un amour désintéressé, d’un amour total, qui est de toujours et pour toujours. C’est un amour qui va jusqu’au don de la vie (la croix du Crucifié en est le signe dressé), un amour qui passe nécessairement par le pardon de tout le mal qui a été commis, quel que soit ce mal. Oui, Dieu nous aime plus que tout et il n’attend de nous qu’une chose : que nous essayions d’aimer comme lui. Votre amour vient donc de Dieu par le chemin de votre vie humaine ; vous savez, toutes ces petites choses qui ont fait qu’un jour, vous vous êtes dit : Mais bien sûr, c’est lui ! C’est elle !
Puisque votre amour vient de Dieu, vous comprendrez que Dieu le protège, le garde. Ce que Dieu a uni, que l’homme ne le sépare pas ! Cet interdit posé par Jésus peut sembler violent à notre époque, mais il est juste. Puisque l’amour vient de Dieu, il ne nous revient pas de le chasser, il ne nous revient pas de l’abandonner. Dieu seul peut défaire ce qu’il a fait. Ce qui faisait dire à Jean-Paul II : Ce que Dieu a uni, l’homme ne peut pas le séparer. Il y a là une impossibilité fondamentale parce que nul ne peut reprendre la Parole que Dieu va vous donner aujourd’hui. Le mariage est un sacrement pour cette raison unique : Dieu s’engage à vos côtés, il vous offre son amour et sa fidélité pour soutenir les vôtres. Et personne, pas même vous, pas même l’Eglise, ne peut faire renoncer Dieu à vous aimer et à veiller sur votre amour. C’est bien simple, si cela arrivait, si Dieu cessait de vous aimer et abandonnait votre amour, il ne serait plus Dieu ! Il abdiquerait et c’en serait fini de l’amour, de tout amour. Cela n’est pas possible ; Dieu l’a promis : Jamais je ne te lâcherai, jamais je ne t’abandonnerai.
Vous comprenez alors l’invitation de l’auteur de la lettre aux Hébreux : Persévérez dans l’amour fraternel ! Il n’y a pas plus important ! Il n’y a pas plus urgent ! Cet amour dans lequel vous devez persévérer, c’est d’abord l’amour qui vous unit ; mais c’est aussi l’amour que vous devez aux autres, à tout autre que Dieu placera sur votre route. L’amour qui vous unit ne doit pas vous replier sur vous-mêmes, ni vous couper des autres ! S’il en était ainsi, il serait déjà en grand danger. Non, vraiment, l’amour se partage, à degrés divers certes, mais il se partage toujours. Et plus vous partagerez l’amour qui vous unit, plus vous le sentirez grandir. Donc, pour reprendre la lettre aux Hébreux, n’oubliez pas l’hospitalité…, souvenez-vous des autres qui traversent une épreuve…, et que votre vie ne soit pas menée par l’amour de l’argent. Cela peut sembler idiot, mais nous savons, par expérience, que l’auteur dit vrai. D’ailleurs la bénédiction nuptiale que je prononcerai sur vous le chantera à sa manière : Que leur amour, semblable à ton amour, devienne une source de vie ; qu’il les garde attentifs aux appels de leur prochain, et que leur foyer soit ouvert aux autres. En s’appuyant sur leur amour, avec la force de l’Esprit, qu’ils prennent une part active à la construction d’un monde plus juste et fraternel, et soient ainsi fidèles à leur vocation humaine et chrétienne. Vous savez maintenant ce qu’il vous reste à accomplir !
Il reste une question alors, et elle est d’importance : si votre amour vient de Dieu, êtes-vous authentiquement libres au moment où vous unissez vos vies ? N’y a-t-il pas là quelqu’un, Dieu en l’occurrence, qui vous obligerait à vous marier ? Le sacrement du mariage requiert votre pleine liberté, à chacun. Vous faites le choix aujourd’hui, non de renoncer à votre liberté, mais de la conjuguer avec celui / celle que Dieu a placé sur votre chemin. Rien ne vous y oblige, mais vous avez découvert, avec le temps, qu’en entrant ainsi dans le projet de Dieu pour vous, que non seulement vous trouveriez votre bonheur, mais qu’en plus vous gagneriez une liberté plus grande. Contrairement à ce que pensent certains, le mariage n’annihile pas la liberté de l’un ou de l’autre. Aujourd’hui, une nouvelle liberté vous est offerte : celle de tout faire avec l’autre, celle de tout faire pour l’autre, sans qu’on ne puisse jamais vous le reprocher.
Damien et Carine, j’ai été le témoin privilégié de votre amour lors de nos rencontres ; je sais comment il a grandi et comment il vous unit déjà. Ce n’est par hasard que vous avez fait choix de ces textes là. Je formule le vœu que Dieu vous accorde une longue et belle vie, à deux pour commencer, à trois ou largement plus pour continuer ; que l’amour soit votre quotidien ; et qu’enfin Dieu vous accorde la joie, au terme de votre vie, de vivre dans son amour pour toute éternité. Amen.
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Homélie donnée à l'occasion des obsèques de Sr Marie Francis en l'église de Soultz-sous-Forêt, le 12 juillet 2012
De fontibus Salvatoris ! Au moment où nous sommes rassemblés pour accompagner Sr Marie Francis, Tati Adèle pour les intimes, il est bon de revenir à la source de tout engagement, à la source du Sauveur qui a donné sens à cette vie dont nous pleurons la fin terrestre, mais pour laquelle, en même temps, nous voulons rendre grâce à Dieu. Car la célébration des funérailles nous écartèle entre ces deux sentiments qui semblent contradictoires : la tristesse d’avoir perdu une personne chère à notre cœur, et la joie, dans la foi, de la savoir désormais auprès de celui qu’elle a cherché et servi durant sa vie : le Christ Rédempteur, Sauveur de tous les hommes. En revenant nous abreuver à la fontaine du Sauveur en cette heure, nous cherchons le réconfort que Dieu lui-même procure à celles et ceux qui croient en lui.
De fontibus Salvatoris ! La première fontaine à laquelle Tati Adèle a été abreuvée, c’est d’abord la fontaine baptismale, au commencement de sa vie terrestre. Parce qu’elle est née dans une famille croyante, elle est présentée au baptême pour devenir une fille de Dieu, une sœur de Jésus Christ. Je ne sais pas comment ce Dieu lui a parlé au cœur dans sa jeunesse, mais sans doute Sœur Armèle, sa tante, l’a-t-elle aidée à mieux aimer et suivre celui qui l’avait appelée à la vie et lui faisait partager sa dignité. Il ne faut jamais négliger cette première source d’eau vive par laquelle Dieu nous reçoit comme ses propres enfants, nous ouvrant à une vie marquée à jamais du sceau de l’éternité. Au moment des obsèques, c’est d’abord de cette source que nous faisons mémoire. Les gestes que nous accomplissons aujourd’hui, ne nous renvoient-ils pas aux gestes qui ont été faits sur nous au jour de notre baptême ? La lumière du Ressuscité brille à proximité du cercueil, comme elle brillait jadis à proximité du baptistère. L’eau, symbole de ce passage de la mort à la vie, est versée aujourd’hui comme au jour du baptême. L’encens que j’offrirai répandra sa bonne odeur au milieu de nous, comme se répandait déjà la bonne odeur du Christ au moment de l’onction du Saint Chrême lors du baptême. Et le vêtement blanc qui était revêtu en signe de notre filiation divine, nous le retrouvons à travers ces fleurs blanches, qui nous disent que la vie de Dieu est plus forte que la mort. Oui, aujourd’hui, tout nous rappelle la joie de notre baptême ; tout nous rappelle que nous sommes passés un jour par la source vive du Rédempteur pour entrer dans une espérance : une espérance qui nous fait croire absolument que la vie a toujours le dernier mot, une espérance qui nous fait dire qu’à la suite du Christ, mort et ressuscité, nous sommes faits pour vivre. Et ce n’est pas la mort terrestre de Tati Adèle qui me fera croire le contraire.
De fontibus Salvatoris ! Le mystère du Dieu Rédempteur qui entre en Alliance avec nous par le baptême, allait prendre un sens particulier pour Tati Adèle. Sans doute encore l’influence de Sœur Armèle, sa tante. Elle-même fille de Mère Alphonse Marie, elle a dû marquer sa jeune nièce au point qu’elle entendra l’appel à suivre le Christ d’une manière particulière et radicale, en s’engageant elle aussi au service du Christ à travers les malades et les petits de notre société. Tati Adèle sera religieuse et deviendra Sœur Marie-Francis. Les souvenirs qui me restent d’elle comme sœur, se situent d’abord Rue de Rhinau, à Strasbourg-Neudorf, puis à Soultz sous forêt. Il était évident qu’elle vivait de cette source à travers son service des blessés de la vie. Fidèle à ses vœux, elle n’avait rien mais partageait tout. Elle n’était pas très grande, ni physiquement forte, mais elle aurait déplacé des montagnes. Je me souviens de ces passages dans la maison de mes parents ; son souci des autres, de leur bien-être, se traduisait alors par une rare faculté à faire tourner les meubles et à faire le ménage ! Ne voyez là aucun esprit malin, ni pratiques démoniaques. Si les parents s’absentaient un peu trop longtemps et que la disposition du salon ou de la salle à manger ne semblait pas convenir à ses critères de confort pour nous, elle chamboulait tout : et voilà que le canapé qui se trouvait entre deux fenêtres faisait le tour de la pièce pour se retrouver à l’opposé, et tous les autres meubles à sa suite. Et il faut bien reconnaître que c’était toujours pour un mieux ! Voilà, entre autre exemple, comment s’exerçait sa charité en famille : l’attention aux petits détails qui permettent aux autres de vivre mieux.
De fontibus Salvatoris ! A la source du Sauveur, elle puisait d’abord une charité sans faille. Elle avait compris l’hymne à la charité que Paul nous a laissée : Si je n’ai pas l’amour, je ne suis rien ; si je n’ai pas l’amour, ce que je fais, ne sert à rien. Je vous ai déjà dit ce que cela donnait en famille. Mais sa charité était pour tous. Alors qu’elle aurait pu se reposer au terme d’une vie au service des malades, elle a accepté, durant ces dernières années, de mettre sa charité au service de la communauté de paroisses en assurant un service humble d’accueil au presbytère. Il n’y a pas besoin d’être prêtre pour comprendre à quel point ce service est important ; mais sans doute faut-il être prêtre pour goûter réellement l’aide précieuse qu’elle a apportée dans l’accomplissement de cette tâche.
De fontibus Salvatoris ! A la source du Sauveur, elle puisait encore cette autre parole qui la faisait vivre, et qui était le moteur de sa vie. Vous l’avez entendu dans l’Evangile de Matthieu : Ce que vous avez fait à l’un de ses petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait. Elle retrouvait cette parole de Jésus dans la règle primitive de l’ordre auquel elle appartenait. Permettez que j’en cite un extrait qui reprend les deux lectures entendues : Les seules œuvres faites en vue de Dieu sont méritoires. Saint Paul nous apprend que, quand il distribuerait tout son bien pour nourrir les pauvres, et qu’il livrerait son corps pour être brûlé, il ne serait qu’une cymbale retentissante, s’il n’avait la charité. De même saint Jean dit : « Que celui qui n’aime point demeure dans la mort ». L’amour dont parlent les deux Apôtres est l’amour du prochain fondé sur l’amour de Dieu, sans le dernier le premier n’est rien. Quiconque sert les hommes pour leur plaire et s’attirer leurs éloges, a reçu sa récompense, comme les pharisiens de l’Evangile ; il n’est point serviteur de Jésus Christ et n’a rien à en attendre. Il ressort de tout cela que, dans toutes leurs œuvres de charité, l’intention des filles du divin Rédempteur doit être :
* de plaire à Dieu,
* d’imiter le divin Cœur de Jésus et le Cœur immaculé de Marie,
* de servir la personne de Jésus Christ, en celle de chacun des pauvres malades, se souvenant des paroles du Sauveur : « Ce que vous avez fait au moindre de ceux-ci, vous me l’avez fait à moi-même ». Je mets quiconque au défi de me prouver que Tati Adèle, Sr Marie Francis en religion, n’a pas vécu cela de manière désintéressée !
De fontibus Salvatoris ! Ayant été plongée dans cette source au moment de son baptême, ayant tant puisé à cette source pour donner sens à sa vie au service des autres, comment ne pas croire qu’elle est désormais tout entière unie à cette source ? Elle nous a quittés, mais elle nous indique toujours cette source comme l’unique source de notre vie et de notre bonheur. Si j’ai appris une chose de Tati Adèle, c’est bien que cette source est pour tous. Elle y a puisé sa vie, son énergie et son bonheur, comme toutes ses sœurs en religion. Mais une devise ne fait pas un titre de propriété. Si les filles de Mère Alphonse Marie vivent de cette source d’une manière particulière, c’est aussi pour nous inviter à y plonger, à y puiser pour vivre notre quotidien dans l’esprit de Jésus Christ. Sa parole et son œuvre de salut sont pour tous. Je remercie Dieu d’avoir mis sur ma route et dans ma famille deux Sœurs du Très Saint Sauveur. Elles m’ont donné envie de puiser moi aussi à cette source. Puisque désormais Tati Adèle repose auprès de cette source, faites-lui honneur, non seulement en vous souvenant d’elle, mais en puisant comme elle à cette source : et vous aiderez, à votre mesure, à construire un monde plus juste et plus humain, un monde qui sans cesse viendra à cette source pour la joie et la vie de tous. Amen.
* * * * *
Homélie donnée à l'occasion des obsèques de René HAUSS, 10 décembre 2010, église saint Laurent - HOLTZHEIM
La fête de saint Nicolas n’aura plus jamais le même goût désormais. Et pas à cause des Lorrains qui veulent se l’approprier, mais à cause du départ soudain de René, l’enfant de Noël, qui a si souvent mis de la lumière dans le cœur de sa famille, dans le cœur des sportifs alsaciens, dans le cœur de celles et ceux qui l’ont approché, aimé et qui aujourd’hui le pleurent. Si son départ précipité nous laisse dans un immense désarroi, je voudrais pourtant affirmer ici, que toutes ces lumières, qu’il a su allumer en nous, ne sont pas éteintes avec sa mort. Je le dis au nom de ma foi, qui était aussi la sienne.
L’évangile que je viens de proclamer (Mc 15, 33-34a.c.37-39 ; 16, 1-6) commence sur cette heure douloureuse de la mort injuste et ignominieuse d’un innocent, Jésus, le Nazaréen, qui avait pour seul tort d’avoir déplu aux puissants de son époque en appelant à plus de justice, plus de fraternité, plus d’amour entre les hommes. Lui, l’homme de paix envoyé par Dieu rappeler aux hommes qu’ils valent plus que ce que certains pouvaient penser, le voilà cloué en croix, exposé au regard de tous. Son cri : mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné ?, résonne aujourd’hui encore dans nos cœurs chaque fois que nous sommes confrontés à l’absurde, à l’injuste, au Mal. Oui, ce cri peut être notre cri lorsque nous ne savons plus vers qui nous tourner, lorsque nous ne comprenons plus ce qui nous arrive, lorsque nous ne contrôlons plus notre existence. C’était aussi le cri de René sur son lit de souffrance ; c’est peut-être notre cri aujourd’hui, face à la mort d’un homme reconnu unanimement comme bon, loyal et foncièrement honnête. Nous pouvons le croire lorsqu’il dit de lui-même : Je n’ai jamais triché. Il n’a jamais triché avec lui, il n’a jamais triché avec les autres, il n’a jamais triché avec Dieu.
Mais parce que l’évangile n’en reste pas à ce cri, nous nous devons, nous-aussi, de faire un pas de plus. Et ce pas, c’est le pas de la foi, c’est-à-dire de la confiance absolue, sans preuve ni réserve, à celui qui a poussé ce cri vers Dieu pour lui donner un sens nouveau. Jésus, cloué en croix, n’en est pas resté là. Jésus, cloué en croix, mis au tombeau, est ressuscité ; et nous, chrétiens, nous disons avec certitude qu’il est vivant, et qu’il nous a ainsi ouvert un passage vers LA vie, celle qui ne finit jamais ; la vie qui vient de Dieu, nous tourne vers Dieu et nous porte vers Dieu. Le premier à le reconnaître est bien cet homme, ennemi par excellence puisque occupant le pays de Jésus : le centurion qui proclame : Vraiment, cet homme était le Fils de Dieu ! Le témoignage de cet inconnu se verra renforcé trois jours plus tard, par un envoyé de Dieu lui-même, affirmant avec force aux femmes : Vous cherchez Jésus de Nazareth, le Crucifié ? Il est ressuscité ; il n’est pas ici. Voici l’endroit où on l’avait déposé. Le cri de Jésus sur la croix devient cri de victoire, cri de joie, cri d’espérance, cri de foi : Dieu n’abandonne pas son peuple ! Dieu n’a pas abandonné le Juste condamné, rejeté, humilié et exécuté. Dieu est bien du côté de cet homme, Jésus, qui n’a fait que le bien, qui n’a voulu que le bien et qui a porté les hommes à faire le bien. Désormais, plus un seul de celles et ceux qui mettent leur pas dans les pas du Christ n’auront à craindre l’abandon : Dieu sera avec eux, toujours, comme il était avec le Christ jusqu’à y compris sur la croix. Désormais, plus un seul de celles et ceux qui mettent leur pas dans les pas du Christ n’auront à craindre la mort : Dieu sera avec eux, leur ouvrant grands les portes de la vie éternelle.
C’est bien ce qu’affirme Paul dans sa Première lettre aux Thessaloniciens dont nous avons entendu un extrait (1 Th 4, 13-14.17d-18) : Jésus, nous le croyons, est mort et ressuscité ; de même, nous le croyons, ceux qui se sont endormis, (comprenons bien : ceux qui sont morts), Dieu, à cause de Jésus, les emmènera avec son Fils. Ainsi, nous serons pour toujours avec le Seigneur. C’est le cœur de notre foi, le fondement de notre espérance. Nous sommes faits pour vivre, et pour vivre éternellement avec Dieu et en Dieu. C’est déjà ce qu’affirmait l’auteur du Livre de la Sagesse (2, 23) : Dieu a créé l’homme pour une existence impérissable, il a fait de lui une image de ce qu’il est en lui-même. Si le Mal que nous pouvons faire, ce que nous appelons le péché, obscurcit en nous cette image de Dieu, la mort du Christ en croix la restaure et lui redonne tout son éclat. C’est bien pour cela que l’Eglise affirme au moment de notre baptême que nous devenons fils et filles de Dieu : plongés dans la mort de Jésus, nous revivons avec lui pour la vie éternelle. L’eau qui coule sur notre front est cette eau qui nous lave de tout ce qui nous sépare de Dieu ; elle est cette eau qui devient en nous source jaillissante de vie. Et c’est bien pour cela que, tout à l’heure, en sortant de l’église, vous pourrez refaire ce geste sur le cercueil de René, affirmant ainsi avec force que sa vie est désormais totalement confondue avec la vie de Dieu ; sa vie, désormais, participe à la toute puissance de vie qui est en Dieu seul.
A nous qui restons, il reste, non seulement des souvenirs, peut-être des photos, des vidéos (internet nous a permis ces derniers jours d’en revoir), mais aussi ce qui a fait la force de cette vie, ce qui a fait que tant d’hommes et de femmes partagent aujourd’hui une vraie souffrance. Vous qui êtes venus en cette église, comme celles et ceux qui se sont exprimés sur la toile ces derniers jours, vous êtes venus rendre hommage à un homme exceptionnel. Un homme qui avait authentiquement foi en Dieu : nous l’avons vu souvent dans cette église, le dimanche, participer à l’Eucharistie, devenue pour lui un lien puissant d’union à Dieu ; peu le savaient peut-être, tant il était discret, mais il ne pouvait se passer de communier, il ne pouvait se passer d’accueillir en lui le don de la vie de Dieu qui s’offre à nous dans le signe du pain partagé. Peut-être trouverons-nous ici, dans cet attachement sincère au Christ vivant l’origine de sa foi profonde en l’homme. Croyant Dieu, il ne pouvait que croire aussi en l’homme, c’est-à-dire lui faire confiance, croire que celui qu’il avait en face de lui valait plus, pouvait plus et méritait plus. Combien de joueurs qu’il a entraînés et quelquefois dû bousculer dans leur manière d’être l’ont compris : s’il a pu se montrer rude, exigeant, ce n’était jamais par amour propre, ni par souci de briller, mais pour tirer le meilleur de ceux qui lui étaient confiés afin qu’eux-mêmes donnent le meilleur d’eux sur le terrain, pas pour sa gloire, ni pour la leur propre, mais pour le bonheur de ces hommes et de ces femmes qui venaient les voir jouer.
Je l’ai compris lorsque, premier miracle que je peux lui attribuer, il m’a invité à assister à ses côtés à un match de foot au stade de la Meinau, SON club. Moi qui n’aime pas le foot, et qui n’y connais rien (eh oui, ça existe !), j’ai tout compris en l’écoutant discrètement, mais avec passion, commenter ce que nous voyions tous. Et même si le Racing avait perdu ce soir-là, il avait su souligner ce qu’il y avait de meilleur en chaque joueur, ceux de son club comme les adversaires ; il savait, instinctivement, ce qu’il aurait à dire à tel ou tel pour qu’il soit meilleur. C’était son seul souci : que chacun donne le meilleur de lui, non pour briller, mais pour le bonheur de tous. Pour lui, le nom d’un joueur ou d’un entraîneur n’était rien s’il n’était pas d’abord donné à une cause qui le dépasse et qui le fait presque oublier. Ainsi, avec lui, ce n’est pas Hauss René qui gagnait, mais le Racing, le Standart de Liège, le FC Sochaux, le Matra Racing. Avec lui, c’est surtout le foot qui gagnait ses lettres de noblesse, parce qu’il devenait ce qu’il ne devrait jamais cesser d’être : un jeu qui rassemble, un jeu qui passionne, un jeu qui crée des ponts. N’a-t-il pas dit lui-même : Je ne suis jamais allé au travail ; je suis toujours allé jouer ! Vous pouvez travailler seul ; mais chaque enfant vous dira que l’on ne joue vraiment que lorsqu’on partage !
Seigneur,
Tu m’as fait l’honneur de partager
quelques temps de la vie de René.
Puisque désormais il a quitté ce monde qui passe,
accueille-le auprès de toi
où tout n’est que paix et bonheur.
Si telle est ta volonté,
donne-moi de rencontrer d’autres hommes comme lui.
Si telle est ta volonté,
accorde-moi surtout d’être comme lui.
Amen.
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Homélie donnée à l'occasion de Anna WEBER, église de Leutenheim, le 07 mai 2009
Nous nous y attendions, n’est-ce pas ! Peut-être même l’espérions-nous secrètement ! Non pas que nous voulions qu’elle meure ; mais nous ne voulions pas, nous ne pouvions pas nous résoudre à la voir souffrir, à la voir diminuer jour après jour. Elle a bien vécu, longtemps, elle a traversé, comme tant d’autres, les épreuves de la vie ; elle méritait bien enfin de se reposer, de voir se réaliser son espérance et sa foi.
Que dirai-je d’Anna que vous ne sachiez déjà ? Pour nous, elle était marraine, elle n’avait pas d’autre nom que celui-là ! Et Dieu sait que cela pouvait, lorsque nous étions enfant, agacer ma sœur aînée de qui Anna était la vraie marraine. En y réfléchissant, nous avions une vraie tendresse pour cette femme que nous n’avons jamais connue ailleurs qu’ici, à Leutenheim. Une vraie femme de terroir, attachée à ce village, à son village. Elle n’avait pas d’âge, comme les marraines des contes de fée ; elle était là, c’est tout ; et on le savait ! Cela nous suffisait, cela suffisait à notre joie. En disant cela, je mesure mieux l’arrachement qu’ont dû représenter pour elle ces mois loin d’ici, d’abord dans une chambre d’hôpital, puis du long séjour où elle a dû se résoudre à attendre que Dieu l’appelle. Je crois qu’elle savait que désormais, Dieu ne l’attendrait plus ici, à Leutenheim, mais qu’elle devait en sortir, presque comme pour sortir d’elle-même et aller à la rencontre de celui en qui elle a mis sa foi. Parce que marraine était croyante : une vraie de vraie comme on n’en fait presque plus. Un modèle rare. Elle n’avait pas sa foi en bandoulière, mais chevillée au cœur et au corps. Je sais la force de sa prière puisqu’elle m’a soutenue ainsi durant mes années de séminaire. Sa foi avait la force des humbles, des hommes et des femmes de la terre à qui on ne la raconte pas, mais qui savent, presque instinctivement ce qu’est le bien et le mal, et pourquoi il est juste et bon de croire en Dieu, de se tourner vers lui et de lui confier sa vie. Certains diront que c’était la foi du charbonnier ; peut-être, mais elle est solide cette foi du charbonnier. Elle n’a pas besoin d’explication savante, ni de comprendre le pourquoi du comment ; pour elle, Dieu est …et cela est suffisant. Que faut-il de plus pour confier sa vie à Dieu que de savoir qu’il est ? Qu’il est bon au point de nous garder dans le creux de sa main ; qu’il nous aime au point de livrer son fils sur la croix ; qu’il veille au point que même la mort n’a pas de prise sur nous ? Elle avait bien raison, marraine, de croire en Dieu, tout simplement, car avec lui, elle a traversé toutes les épreuves de la vie.
Puisque je ne m’inquiète guère pour elle, permettez que je m’adresse alors à nous ; les lectures entendues nous invitent à cette même confiance simple en Dieu. Saint Paul nous le dit avec force : ne vous laissez pas abattre comme les autres qui n’ont pas d’espérance. De marraine, apprenons cette foi solide et simple que Paul rappelle aux chrétiens de Thessalonique. Puisque nous croyons que Jésus est ressuscité d’entre les morts, croyons aussi que ceux qui, comme marraine, se sont endormis – comprenons-bien ceux qui sont morts – Dieu les emmènera avec son Fils. Ainsi, nous serons pour toujours avec le Seigneur.
Comprenez-vous pourquoi je ne saurais être triste aujourd’hui ? Tout est dit dans cette foi simplement exprimée. Dieu nous emmènera avec son Fils si nous croyons en lui. Dieu nous emmènera, nous aussi, et nous retrouverons marraine, comme elle retrouve désormais celles et ceux qu’elle a aimé et qui nous ont déjà quitté : sa mère, son époux, son frère, sa tante, et tant d’autres… Et nous serons invités un jour à la même joie. A cause de Jésus, dit encore Paul. Nous n’avons pas à nous fatiguer pour savoir comment cela arrivera, il nous suffit de faire confiance à Dieu, d’essayer de le suivre et d’accueillir cette espérance comme la seule vérité. Dieu nous l’a promis, Jésus nous a obtenu la réalisation de cette promesse, l’Esprit Saint nous fait aimer cette promesse. Que peut-il arriver de mauvais à qui se confie à Dieu ? Rien, nous dirait sans doute marraine.
A ceux qui, malgré tout, sont tristes et abattus, Jésus lui-même vient redonner confiance, comme il l’a fait jadis sur le chemin d’Emmaüs. La Parole qu’il nous fait entendre aujourd’hui, le pain et le vin que nous partagerons, les signes d’affection que nous échangeons, nous révèlent ce Dieu qui nous aime et veut notre bonheur au point de livrer son Fils sur la croix. A cause de Jésus, la mort n’est plus qu’un passage vers l’autre rive, celle où Dieu lui-même nous attend ; à cause de Jésus, la tombe devient comme le berceau de cette nouvelle vie. Les fleurs qui sont là disent que nous croyons que la vie est la plus forte que la mort, même aujourd’hui. La lumière que nous avons ranimée sur le cercueil nous dit la présence de Dieu lui-même au cœur de notre épreuve. L’eau bénite que vous pourrez offrir en sortant manifestera votre foi en cette vie éternelle que marraine a partagé depuis son baptême. L’encens que je ferai monter vers Dieu nous fera nous souvenir qu’elle est désormais pleinement ce qu’elle n’a cessé d’être : une fille du Dieu vivant et vrai !
Puisqu’il en est ainsi, que faisons-nous ici ? Sommes-nous venus prier pour elle ? Sommes-nous venus pour nous ? Un peu des deux sans doute ; mais soyons tous assurés que déjà elle prie pour nous. Pourquoi, maintenant qu’elle voit Dieu face à face, cesserait-elle de faire ce qu’elle faisait si bien ici bas ? Elle prie pour que nous réussissions à vivre au mieux, fidèles à la foi de notre baptême. Elle ne nous abandonne pas, mais elle nous accompagnera autrement jusqu’à ce que Dieu nous appelle nous aussi à la gloire de son Royaume. Car c’est bien là notre espérance, c’est bien là ce que nous avons en commun avec Anna, avec marraine : la certitude que notre vie n’est pas vaine ; la certitude que nous allons vers notre accomplissement, vers un bonheur que rien, pas même la mort, ne saurait nous enlever. Oui, puisque Jésus est ressuscité, marraine est ressuscitée ! Puisque Jésus est ressuscité, nous ressusciterons un jour. Alléluia !