Histoire de famille !
On nous casse tout ! Même la religion ! Avec un seul texte biblique, l’évangéliste saint Luc vient mettre à terre l’image du gentil petit Jésus qui obéit toujours à ses parents et qui ne fait que du bien. Pourquoi avait-il besoin de raconter cette fugue de Jésus ? Et pourquoi l’Eglise avait-elle besoin de nous faire entendre cette histoire le jour de la Sainte Famille ?
C’est vrai que c’est l’histoire d’une fugue, ou plutôt l’histoire d’un pèlerinage que Jésus semble vouloir prolonger. Ceux qui tiennent absolument à parler d’un petit Jésus toujours sage peuvent toujours rattraper la sauce en insistant sur le fait qu’il est resté au Temple, discuter avec les spécialistes de la Loi qui, d’ailleurs, font son éloge !
Mais c’est surtout l’histoire d’une famille, une famille qui vit comme les autres familles de son pays. Une famille unie, une famille priante qui va en pèlerinage à l’occasion de la grande fête de Pâque. Une famille qui connaît des moments de doute, d’anxiété. Une famille où les parents s’inquiètent encore de ce qui peut arriver à leur enfant. Une famille parmi tant d’autres. Seulement, cette famille-là a un enfant pas comme les autres. Et cet épisode au Temple va nous le révéler.
D’abord, Jésus a une connaissance inouïe des choses de Dieu. Pour que des anciens s’émerveillent devant un jeune homme, il faut déjà que ses questions et ses réponses soient d’une réelle profondeur. Il faut surtout que cet enfant ait un lien particulier avec ce Dieu au sujet duquel il les interroge. L’enfant lui-même révèlera ce lien à ces parents humains : maintenant qu’il est admis dans le cercle des adultes, il se doit aux affaires de son Père. Il vient rappeler qu’il est venu dans le monde dans un but précis : réaliser le projet d’amour de Dieu pour l’humanité. Douze années se sont écoulées depuis l’épisode merveilleux de sa naissance. Marie et Joseph ont pu légitimement oublier que leur fils leur a été donné pour l’accomplissement de ce projet. Pourtant, plusieurs fois, à travers l’histoire, Dieu avait ainsi suscité lui-même ses serviteurs par une naissance hors du commun. Ainsi, le petit Samuel dont la première lecture nous a relaté la naissance. Sa mère avait prié longuement pour un enfant et Dieu l’a exaucé. A vue humaine, c’est peut-être une naissance comme les autres. Mais à vue divine, cette naissance va servir le projet de Dieu. Ce petit Samuel va grandir auprès du Seigneur pour être prêt lorsque le Seigneur aura besoin de lui.
Jésus fait partie de ses serviteurs que Dieu suscite, sauf que lui, il est proprement le Fils de Dieu, entré dans une famille humaine, pour partager tout ce qui fait notre condition et ainsi mener à terme le projet de salut de Dieu. C’est cela que nous célébrons aujourd’hui. Dans le prolongement de la fête de Noël, l’Eglise vient nous redire que Jésus est pleinement l’un des nôtres : Jésus naît, grandit et accomplit tout ce que réalisent les jeunes de son âge. Même s’il vient de Dieu, même s’il est Dieu, il est totalement immergé dans ce monde auquel il porte la Parole même de Dieu.
Ensuite, nous sommes invités aujourd’hui à comprendre que nous sommes, nous aussi, de cette famille. Ce lien unique qui unit le Père et Jésus, devient le lien qui nous unit au Père. En révélant qu’il se doit aux affaires de son Père, il nous révèle que nos familles humaines ne se limitent pas à ceux qui la composent naturellement. Nous sommes tous reliés les uns aux autres. Jésus nous le redira clairement lorsqu’il nous laissera la prière du Notre Père. En nous demandant de nous adresser ainsi à Dieu, il nous introduit dans ce lien unique qui l’unit à son Père. A la question de Caïn, après le meurtre d’Abel : Suis-je responsable de mon frère ?, il n’est désormais plus qu’une réponse possible : « OUI ». Si nous prions tous Dieu en l’appelant notre Père, si nous sommes tous « enfants de Dieu » comme l’affirme Saint Jean, alors nous partageons les joies et les peines les uns des autres, comme c’est le cas dans toutes les familles ; sauf que pour nous, la famille ne se limite pas à papa, maman et les enfants. L’irruption de Jésus, donc de Dieu, dans la vie de nos familles met un point final à l’individualisme et nous ouvre à l’universalité. Désormais, je ne fais plus mon salut tout seul, en ignorant les autres. En envoyant son Fils dans le monde des hommes, Dieu les rend solidaires en tout, y compris en matière de salut, car son Fils est venu sauver tous les hommes. Nous qui vivons et marchons à sa suite, nous qui sommes témoins de ce salut offert à tous, nous ne pouvons que le transmettre, le faire découvrir aux autres. Il nous est interdit de ne pas en parler ! Il nous est interdit de dire que ce que vivent les étrangers chez nous, ou dans leur pays, ne nous concerne pas : ils sont de notre famille, même s’ils pensent autrement, même s’ils prient autrement !
A travers l’histoire de cette Sainte Famille, à travers l’histoire de ce Fils unique, nous sommes invités à lire et à vivre notre propre histoire. L’Eglise vient nous rappeler que nous venons aussi de Dieu et que nous allons vers lui. Peut-être nous faut-il nous laisser interroger par cet enfant sur notre manière de vivre notre pèlerinage familial sur cette terre ? Peut-être devons-nous interroger cet enfant pour le vivre mieux ? Osons aborder celui qui fait l’émerveillement de tous, au milieu du Temple. Osons le croire et le suivre lorsqu’il nous parle de son Père. Osons, avec lui, construire cette famille humaine où Dieu sera enfin tout en tous. AMEN.