Deux moments différents de l’histoire de l’humanité
dans son rapport à Dieu nous sont présentés en ce dimanche et pourtant une même
certitude les anime : Dieu est présent à son peuple. Deux moments qui,
pour nous, sont une page d’histoire, certainement, mais qui nous concerne
encore dans notre rapport à Dieu et dans notre manière de célébrer de jour consacré au Seigneur.
Le premier moment nous est rapporté par cette belle
page du livre de Néhémie. Elle se situe à un tournant de l’histoire de ce
peuple qui a bien souffert. Néhémie est un personnage qui émerge après l’exil.
Israël avait été battu militairement, Jérusalem et son Temple ravagés, et le
peuple déporté à Babylone. En un mot, il ne restait rien de la foi de ce
peuple ; il ne restait rien de son espérance ; il ne restait rien de
son avenir. Le peuple a touché le fond, étranger dans une terre étrangère, ne
pouvant plus célébrer son Dieu. 50 ans de captivité, puis l’espoir reprend avec
le retour des premiers déportés, mais ce n’est plus pareil : Israël n’est
plus libre, Israël est sous domination étrangère. Encore 93 ans, et c’est la
première mission de Néhémie : il veut rebâtir Jérusalem. C’est dans ce
cadre qu’est proclamé la Loi de Moïse, de l’aube jusqu’à midi. Sans doute
a-t-il fallu cette épreuve de l’exil et de l’abandon pour que le peuple
retrouve le sens de ce jour si particulier : Ce jour est consacré au Seigneur votre Dieu ! Sans doute
faut-il avoir touché le fond dans sa vie spirituelle pour mesurer l’importance
de ce rappel adressé au peuple choisi par Dieu. De l’aube jusqu’à midi, le peuple se rassemble en une grande
liturgie de la Parole. On est loin des cinquante minutes qu’on nous accorde royalement
actuellement dans la plupart des paroisses pour célébrer toute la liturgie du
dimanche ! Lorsque le peuple entend la Loi de Dieu donnée jadis à Moïse,
il se met à pleurer : sans doute mesure-t-il à la fois la distance qui le
sépare de cette Parole et la présence indéfectible de Dieu à son peuple.
Peut-être se rendent-ils compte aussi que ce Dieu qu’ils ont cru absent et
indifférent à leurs épreuves, les accompagnait en fait et attendait simplement
un signe de leur part pour leur manifester à nouveau sa tendresse. Les péchés
du peuple qui les avaient éloignés de Dieu et qui avaient entraîné l’exil,
étaient maintenant lavés par ces larmes versés à l’écoute de la Parole. Dieu,
par cette parole proclamée et reçue dans la foi, reprenait toute sa place dans
le cœur et dans la vie du peuple qu’il s’était choisi.
Pour vivre le deuxième moment de l’histoire de
l’humanité dans son rapport avec Dieu, il faudra encore attendre plus de 400
ans et le début de la mission d’un certain Jésus, de Nazareth. Le pays est
encore sous domination étrangère, mais la liberté religieuse est garantie par
l’occupant. Le peuple n’en est plus à pleurer en écoutant la Parole de Dieu.
Sans doute s’est-il trop habitué à elle ! Et voici que Jésus vient à la
synagogue, celle de son enfance, celle où il a appris à prendre sa place dans
la communauté croyante. Il lit un extrait du prophète Isaïe et commente : Cette parole que vous venez d’entendre,
c’est aujourd’hui qu’elle s’accomplit ! A ceux qui pensaient que la
domination étrangère qui se prolongeait excessivement était le signe que Dieu
abandonnait encore son peuple, Jésus vient redire qu’au contraire, Dieu est
toujours là, veillant et intervenant pour que, dès maintenant, la Bonne Nouvelle soit annoncée aux pauvres,
les prisonniers soient libérés, les aveugles et autres malades, guéris. En
un mot, dès aujourd’hui, les promesses de Dieu, transmises par les prophètes de
jadis, se réalisent. Il suffit d’avoir les
yeux fixés sur lui, Jésus, pour découvrir, dans son œuvre et ses paroles,
la réalisation du projet d’amour de Dieu. C’était vrai au temps de Jésus ;
c’est encore vrai aujourd’hui.
Ces deux moments de l’histoire ont en commun de se
dérouler lors d’une liturgie. Le peuple est rassemblé, au jour consacré pour le
Seigneur, pour écouter sa Parole, renforcer sa foi, vivifier son espérance. En
ce jour, le temps est suspendu : ne compte que le jour du Seigneur et
l’hommage qui lui est dû. Nous sommes aujourd’hui au jour du Seigneur. Nous
sommes rassemblés pour écouter sa Parole (ce que nous sommes entrain de faire)
et pour recevoir de lui ce qu’il veut encore nous donner (ce que nous ferons
durant le temps de l’eucharistie et de la communion). Pourquoi vouloir presser
Dieu ? Pourquoi vouloir que tout se termine avant que Dieu lui-même n’en
ait fini de nous prodiguer ses dons ? C’est tout ce jour qui est consacré
au Seigneur, et l’eucharistie qui nous rassemble en est le sommet. Plus
j’avance dans mon ministère, moins je comprends ceux qui réclament une messe ne
dépassant pas 50 minutes grand maximum. Si la liturgie est d’abord l’œuvre que
Dieu réalise pour nous, comment puis-je lui demander d’aller plus vite, parce
que mon rôti n’est pas prêt ou parce que j’ai encore mille choses à faire, mille
choses qui semblent bien plus importantes que d’être là, auprès de lui, à
l’écouter, à manger avec lui ? L’Eucharistie est bien ce repas où Dieu
lui-même nous invite : c’est lui qui nous rassemble, lui qui nous parle,
lui qui nous sert à sa table. Lorsque vous êtes invités, pressez-vous vos hôtes
d’en finir rapidement pour que vous soyiez de retour chez vous dans cinquante
minutes ? Quand vous recevez des amis chez vous, acceptez-vous qu’ils vous
pressent pour rentrer après 50 minutes ?
Il nous faut cesse revenir à ce que l’Eglise nous
propose de vivre dès lors que sonnent les cloches de nos paroisses. Il nous
faut entrer dans un temps qui est hors du temps fixé par nos montres, et entrer
dans le temps de Dieu. Certes, exception faite de la nuit pascale qui demande
le temps de parcourir vraiment la Parole de Dieu, ce n’est plus de l’aube jusqu’à midi que nous nous
rassemblons ; mais la Parole de Dieu, pour être célébrée, reçue et méditée
demande un peu de temps, un peu de silence aussi pour qu’elle puisse porter du
fruit. La liturgie n’est pas un atelier de collier de perles que l’on enfile
les unes à la suite des autres, le plus vite possible, pour passer ensuite à
autre chose. Célébrer demande du temps, des chants, des prières, de l’écoute et
donc du silence, de la beauté et de la patience. Ce n’est pas une course que l’on
voudrait finie avant même qu’elle n’ait commencé. Chaque moment a son
importance, chaque geste sa signification profonde qu’il nous faut réapprendre
pour ne pas être saisi d’impatience quand on a l’impression qu’il ne se passe
rien. Les maîtres de vie spirituels nous apprennent d’ailleurs que c’est
souvent dans ces riens que Dieu agit le mieux, que Dieu agit le plus.
Que nous soyons prêtres, religieux ou religieuses,
acteurs de la liturgie ou paroissiens de base, l’impatience du dimanche matin peut
nous guetter tous. Ne nous habituons pas à célébrer trop vite ; ne nous
contentons pas de venir pour assister à quelque spectacle sacré (le prêtre et
les servants d’autel quand il y en a, ne jouent pas une pièce de théâtre :
ils servent votre prière). Ne demandons pas à l’Eglise d’entrer dans notre
temps qui galope et qui toujours nous manque, mais acceptons d’entrer dans le
temps de l’Eglise, le temps de Dieu pour qui mille ans sont comme un jour. Je
laisse aux mathématiciens le temps de calculer ce qu’il nous faudrait comme
temps pour obtenir 50 minutes pour Dieu et je vous promets que notre
eucharistie sera finie bien avant. En attendant, profitons de ce temps avec lui
puisque ce jour est un jour consacré au
Seigneur notre Dieu. Amen.
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