Tout ceci, tout ce que nous célébrons en ce temps de Noël, ne sont-ce que de belles histoires ? N’y aurait-il donc pas quelque vérité cachée dans cette belle histoire d’hommes venus de loin, suivant une étoile dans le ciel, cherchant le roi qui vient de naître dans le palais d’Hérode avant de finalement s’agenouiller devant un enfant humble, né dans une étable ? La naissance de Jésus, son Epiphanie : belles histoires pour enfants sages ? C’est chaque année, pratiquement, que revient ce questionnement, parce que chaque année, il y a au moins un enfant inscrit au catéchisme qui finit par avouer, qu’à la maison, maman ou papa lui a dit que ce n’était pas vraiment sérieux ; et voilà le petit Jésus rangé avec Blanche Neige et Cendrillon, dans le même livre ! C’est à se demander si les gens ne font pas simplement plaisir au curé et aux catéchistes à Noël en venant aux diverses célébrations : vous comprenez, ce sont les seuls à y croire encore : on ne va pas les décevoir, à leur âge !
Et pourtant, n’est-ce pas vrai que Dieu, en Jésus, s’est fait l’un de nous ? Ne savons-nous plus lire les signes qui nous sont donnés, comme jadis ces mages, venus d’Orient, ont su lire un signe dans le ciel (une étoile qui se levait) et se mettre en route pour voir et comprendre ? Il ne nous est donné rien de plus que jadis : un enfant couché dans une mangeoire dans lequel nous sommes invités, à la suite des mages, à adorer notre Dieu, acclamer notre roi et reconnaître notre Rédempteur ! Un enfant que nous avons à accueillir dans notre vie, à laisser grandir pour qu’il puisse nous élever au rang même de Dieu. Cet enfant, en qui même les païens peuvent reconnaître leur Sauveur, est venu pour le salut de tous : pour le salut de son peuple, pour le salut de tous les peuples représentés par ces étrangers. La prophétie d’Isaïe (les nations marcheront à ta lumière, et les rois, vers la clarté de ton aurore) est réalisée. Autour de cet enfant, l’humanité peut retrouver son unité, chacun peut reconnaître en l’autre, en l’étranger, un frère à aimer parce qu’aimé de Dieu même. Ce n’est pas une belle histoire ; c’est l’histoire réelle de l’alliance entre Dieu et l’humanité. Et cette alliance, en Jésus, est pour tous et pour tous les temps.
Si nous acceptons que toutes ces histoires ne sont pas seulement de belles histoires, il nous faut alors faire un pas de plus, et affronter une autre question : tout ceci, tout ce que nous célébrons en ces jours, ne serait-ce qu’un anniversaire alors ? Ne célébrons-nous que des événements du passé, comme nous célébrons la victoire de telle ou telle bataille, la fondation de notre république ou que sais-je encore ? Bref, Noël, l’Epiphanie, une belle page de l’Histoire de l’humanité dont nous nous souvenons simplement. Il n’y aurait nul besoin de croire ; c’est une commémoration. On ne nous demande pas de croire à la révolution pour célébrer le 14 juillet ! C’est un événement marquant de notre histoire. De même, Jésus, du moment que l’on admet son historicité, ne serait alors qu’un grand homme dont nous pouvons sans honte nous souvenir. Nul besoin de croire en lui pour reconnaître l’héroïcité de sa vie, pour reconnaître qu’il a marqué l’histoire de l’humanité.
Pourtant, l’essence même de la liturgie, c’est de nous faire participer, non pas à un anniversaire des événements que nous célébrons, mais bien à l’aujourd’hui de cette histoire, à l’aujourd’hui de la naissance de Jésus, à l’aujourd’hui de son Epiphanie. La prière d’ouverture le souligne bien : Aujourd’hui, Seigneur, tu as révélé ton Fils unique aux nations ! La bénédiction solennelle le redira avec force : Aujourd’hui, le Christ s’est manifesté au monde. Aujourd’hui ! Un petit mot qui change tout. Un petit mot qui nous situe dans cette alliance avec Dieu ; un petit mot qui nous place, avec les mages, dans ce peuple d’étrangers qui reconnaît Jésus comme Dieu, Sauveur et Rédempteur ! Non, ce n’est pas une belle histoire pour enfant sage ! Non, ce n’est pas qu’une histoire du passé ! Noël, l’Epiphanie, c’est notre salut qui se joue aujourd’hui ! C’est pour notre temps, notre vie, notre salut d’aujourd’hui, que Dieu prend chair et se révèle à tous, nous y compris. Ce n’est ni notre passé qui est célébré, ni notre avenir qui est projeté : ce qui se joue, c’est notre aujourd’hui avec Dieu. Dieu n’est ni du passé, ni pour l’avenir seulement ! Dieu, c’est aujourd’hui qu’il choisit de vivre avec nous ; c’est aujourd’hui qu’il choisit de se montrer à nous et à tous ; c’est aujourd’hui qu’il se propose de conduire notre vie vers un à venir. C’est donc aujourd’hui qu’il me faut lui répondre. Je peux choisir Dieu aujourd’hui, fort de ce que je sais de notre passé, de ces alliances sans cesse reproposées par Dieu ; je peux choisir Dieu aujourd’hui, les yeux fixés vers l’avenir qu’il me promet : voir Jésus, le Christ, au terme de ma route ici-bas ; contempler enfin celui que j’aurai cherché et accueilli dans cet enfant.
Ne cantonnons pas Dieu dans un passé qui serait révolu ; ne l’enfermons pas dans un avenir lointain : c’est aujourd’hui qu’il vient à nous ; c’est aujourd’hui qu’il nous sauve ; c’est aujourd’hui que nous devons le chercher, le trouver et le suivre. Amen.
(icône de l'église orthodoxe de Zagreb, Croatie)
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