Pendant
longtemps, et cela reste quelquefois vrai aujourd’hui encore, nous avions les
vêtements pour la semaine et le vêtement du dimanche. Et l’on ne confondait pas
les deux. D’ailleurs, quand quelqu’un se faisait particulièrement beau, on
disait qu’il s’était endimanché. C’était une manière de marquer la
particularité de ce jour, sa prééminence sur les autres jours. C’était une
manière de rappeler aussi que ce jour-là, on ne travaillait pas. Il y avait
assez des autres jours pour porter la tenue de service ; le dimanche, c’était
un autre jour, un autre rythme, et le vêtement le démontrait. Or voilà que nous
venons d’entendre le Christ lui-même dire à ses disciples : restez en tenue de service et gardez vos
lampes allumées. Nous aurait-on menti ? Avons-nous eu tort de nous
endimancher, de laisser là notre tenue de travail ? Sommes-nous bien
habillés ce matin ? Je vous propose une réflexion en deux temps pour essayer d’y voir plus clair.
Premier
temps : pourquoi nos ancêtres se sont-ils endimanchés ? Parce que
pour eux, ce jour était un jour particulier. C’est encore vrai pour les
chrétiens aujourd’hui, même si tous ceux qui portent ce nom n’en ont plus
vraiment conscience. Mais ce jour-là, c’est le jour du Seigneur, le jour où
nous faisons mémoire de la mort et de la résurrection du Christ. Chaque dimanche,
nous revivons le mystère de Pâques ; chaque dimanche, c’est comme à
Pâques. Nous faisons mémoire de toutes les merveilles que Dieu fait pour nous
et nous lui rendons grâce pour le don de son Fils sur la croix, don qui nous
vaut notre vie et notre salut. C’est un acte tellement fort qu’il vaut bien que
l’homme s’arrête, rompe avec le rythme quotidien, pour s’en souvenir et le célébrer.
La tenue du dimanche, c’était aussi une manière de dire que l’homme sortait de
son ordinaire, de son quotidien pour vivre un autre rythme, le rythme de Dieu.
Puisque Dieu avait fait quelque chose d’incroyable pour l’homme, l’homme ferait
quelque chose de pas ordinaire pour Dieu. Ce jour-là serait différent ; ce
jour-là, l’homme lui-même sera différent, l’homme lui-même vivra différemment. Il
vivra ce jour pour et avec Dieu. Jusque-là, ce n’est pas trop compliqué à
comprendre.
C’est
le deuxième temps de ma réflexion qui vient compliquer les choses ! Car
enfin, Jésus dit bien dans l’Evangile : restez en tenue de service ! Aurait-il quelque chose contre le
vêtement du dimanche ? Il faut alors nous interroger sur la nature de ce
vêtement de service. Qu’est-il donc ? Est-il vraiment le vêtement de
travail que nous ne devons jamais quitter ? Mais pourquoi alors nous
battre pour les 35 heures ou pour le maintien du repos dominical ? Il nous
faudrait donc travailler toujours ? Quel est donc ce vêtement de service ?
Et mieux encore, quel est ce service que nous ne devons jamais cesser d’exercer ?
La
parabole de l’intendant fidèle et sensé nous apporte, me semble-t-il, un
éclairage sur cette question. Ce ne sont pas les serviteurs, que l’intendant
doit gérer, qui doivent garder la tenue de service, mais bien l’intendant. La
parabole ne nous parle des domestiques que pour mieux souligner le rôle de l’intendant
placé à leur tête. Et quel est son rôle ? Selon la parabole, il ne doit
pas veiller à ce que les domestiques fassent bien leur travail ; il doit s’assurer
que les domestiques aient leur part de
blé, au temps voulu. La tenue de service n’est pas tant un vêtement de
travail qu’un état d’esprit. Le service permanent dans lequel nous devons
rester, c’est d’abord le service de la charité, le service d’autrui. Si l’intendant maltraite la domesticité au retour inopiné du
maître, il sera condamné. Son rôle est bien de veiller au bien-être des autres
serviteurs du maître. Chrétiens, n’avons-nous pas à veiller les uns sur les
autres ? N’avons-nous pas, au cœur de nos valeurs, au cœur de notre foi,
le souci de la charité envers tous ? Il n’y a pas de jours pour être
charitable ; il n’y a pas de jours pour s’abstenir de la charité. Voilà un
service que nous ne pouvons abandonner. La tenue du service de la charité doit
être pour nous comme une seconde peau.
Le
vêtement de service peut encore avoir un second sens, complémentaire du premier :
c’est aussi, me semble-t-il, le vêtement du service de la prière, et plus
particulièrement du service de la louange. C’est le verset suivant qui m’y fait
penser : Heureux les serviteurs que
le maître, à son arrivée, trouvera en train de veiller. Vraiment, je vous le
dis : il (le maître) prendra la
tenue de service, les fera passer à table et les servira chacun à son tour. Deux
paraboles que Matthieu nous rapporte de l’enseignement de Jésus sur son retour,
à la fin des temps, me reviennent ici en mémoire : la parabole des talents
et la parabole du jugement dernier. Dans la parabole des talents, le maître, à
son retour, chante la louange des serviteurs qui ont fait fructifier leurs
talents : serviteur bon et fidèle,
tu as été fidèle en peu de chose, je t’en confierai beaucoup : entre dans
la joie de ton maître. Dans la parabole du jugement dernier, cela est plus
évident encore lorsque le Roi dira à ceux
qui seront à sa droite : Venez, les bénis de mon Père, recevez en héritage
le royaume préparé pour vous depuis la création du monde. Oui, le Christ lui-même,
établi roi du monde, chante la louange de ses serviteurs. Et il le fait, dans
la parabole du jugement dernier, parce que ces serviteurs n’ont jamais quitté
le service de la charité : chaque
fois que vous l’avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi
que vous l’avez fait ! Nous retrouvons quelque chose de la rencontre
de Jésus avec Marthe et Marie. Le vêtement du service de la charité et le
vêtement du service de la prière ne sont qu’un seul et même vêtement : il
nous faut connaître la volonté de Dieu
en chaque instant pour l’accomplir toujours, au bon moment.
Pour
revenir au vêtement du dimanche de nos ancêtres, j’en conclus que nous n’avons
pas tort de nous endimancher pour marquer le jour du Seigneur. Nous aurions
juste tort de nous « désendimancher »
pour ce qui concerne la prière et la charité.
Car chaque jour que Dieu fait pour nous, nous avons à porter le vêtement du
service de la charité et de la prière ; chaque jour, nous avons à porter
le souci du frère et le souci de Dieu. Si le dimanche est davantage réservé à Dieu,
il n’est pas dit que ce jour-là nous sommes autorisés à nous désintéresser des
frères ; et il n’est pas interdit, les jours de semaine, de s’occuper
aussi et de Dieu, et des frères. Que ceux qui vivent un temps de vacances
soient bien convaincus que la prière et la charité n’en prennent jamais, de
vacances. Et que ceux qui sont au temps béni de la retraite, soient
pareillement convaincus que charité et prière ne seront jamais retraité.
Restez en tenue de
service et gardez vos lampes allumées. Soyez comme des gens qui attendent leur
maître à son retour des noces pour lui ouvrir dès qu’il arrivera et frappera à
la porte. Heureux les serviteurs que le maître, à son arrivée, trouvera en train
de veiller. Vraiment, je vous le dis : il prendra la tenue de service, les
fera passer à table et les servira chacun à son tour. Je
prie Dieu qu’il en soit ainsi pour chacun de nous. Amen.
(Dessin de Jean-François KIEFFER, in Mille images d'Evangile, éd. Presses d'Ile de France)
(Dessin de Jean-François KIEFFER, in Mille images d'Evangile, éd. Presses d'Ile de France)
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