« Si vous voulez
vivre comme des justes, évitez d’agir en présence des hommes pour vous faire
remarquer.» C’est bien ce désir de vivre comme Dieu nous
le demande, ce désir d’être juste devant lui, qui va conditionner notre marche
vers Pâques, notre chemin de carême. C’est ce désir de vivre selon le mode de
Dieu qui fait de nous des chrétiens, fiers de leur baptême. C’est ce désir de
vivre en Dieu, pour Dieu, avec Dieu pour un meilleur service du monde et de
l’Eglise, qui nous pousse à nous interroger tout au long des quarante jours à
venir sur la pertinence et le sérieux du baptême que nous avons reçu. Je
voudrais avec vous et pour vous méditer ce texte d’évangile que nous venons
d’entendre. Il sera notre guide et notre mesure pour ce temps de Carême.
« Si vous voulez vivre comme des justes, évitez
d’agir en présence des hommes pour vous faire remarquer. Ainsi, quand tu fais
l’aumône… » Première piste de
travail pour notre carême : vivre avec justesse nos gestes de partage et
de solidarité. « Lorsque tu fais
l’aumône, que ta main gauche ignore ce que donne ta main droite ». L’aumône, la solidarité (sous son appellation
moderne) exigent le secret, la discrétion, nécessaires au respect de celui qui
reçoit. Il y a bel et bien une manière perverse d’être solidaire : celle
qui met le donateur au centre du don et non plus celui qui en est bénéficiaire.
L’aumône, la solidarité ne doivent pas glorifier celui qui donne. Donne-t-on
pour être reconnu, louangé, acclamé ? Ou donne-t-on pour soulager, pour
aider, pour relever ?
Au jour de notre baptême, le prêtre, nous marquant de
l’huile sainte, nous rappelait que nous participions à la dignité royale du
Christ. Exercer avec justesse et discrétion notre charité nous fait mettre en
œuvre cette dignité, car nous veillons, comme Dieu veille, à ce que chacun ait
le nécessaire pour vivre. Exerçons cette dignité royale avec la même discrétion
que le Christ. Quand il nourrit les foules, soigne les malades, relève les
morts, ce n’est pas pour se faire mousser, mais pour que la gloire de Dieu soit
manifestée aux hommes.
« Si vous voulez vivre
comme des justes, évitez d’agir en présence des hommes pour vous faire
remarquer. Ainsi, quand tu pries… » Y a-t-il œuvre plus grande que la
prière pour dire à Dieu notre désir de vivre avec lui et pour lui ? La
prière est au croyant ce que la nourriture est au gourmand : un moment de
pur plaisir, à vivre seul ou à partager. En relisant l’invitation du Christ à
se retirer dans la chambre pour cet
acte d’intimité avec Dieu qu’est la prière, il est bon de s’interroger aussi
sur notre pratique. De quelle chambre Jésus parle-t-il ? Parle-t-il
uniquement de notre maison, discréditant ainsi la prière communautaire ?
Que faire alors de cette autre parole du Christ : « Là où deux ou
trois sont réunis en mon nom, je suis au milieu d’eux » ?
Ce qui est visé par Jésus dans ce
passage, c’est une manière perverse de prier, seul ou à plusieurs, qui nous met
au centre de la prière, oubliant que la prière s’adresse avant tout à Dieu.
Souvenez-vous de la parabole du pharisien et du publicain qui montent au Temple
pour prier. Alors que l’un ne chante que ses louanges, l’autre se tourne vers
Dieu, reconnaît sa petitesse et demande l’aide de Dieu. C’est ce dernier, nous
dit Jésus, qui est justifié (rendu juste !). Se retirer dans la chambre,
ce n’est pas s’interdire toute pratique publique de sa foi, mais bien se
retirer dans la chambre de son cœur pour s’ouvrir vraiment à Dieu. Que ce soit
seul ou en communauté, nous pouvons nous croire en prière et ne nous préoccuper
finalement que de nous, oubliant Dieu et sa Parole. Dans la manifestation publique
de la prière (messe ou célébration diverses), se retirer dans sa chambre, c’est
remplir son office avec un véritable esprit de service, sans chercher à se
faire remarquer par ceux à qui le service est rendu. Cela est vrai des prêtres,
des lecteurs, des choristes, des servants, des sacristains, des organistes, des
fleuristes et mais aussi de chaque participant au temps commun. Nous venons à
plusieurs pour ne faire qu’un devant Dieu. Nous participons tous à la même
action liturgique, faisant de notre prière à plusieurs voix la prière d’un seul
cœur : celui de la communauté des croyants qui se tournent, unis bien que
diversifiés, vers son unique Seigneur.
Au jour de notre baptême, le prêtre, nous marquant de
l’huile sainte, nous rappelait que nous participions à la dignité sacerdotale
du Christ. Nous l’exerçons individuellement lorsque nous prenons le risque de
la prière quotidienne pour que Dieu vienne transformer nos vies par son Esprit
Saint. Nous l’exerçons collectivement lorsque, avec les autres croyants, nous
voulons nous souvenir que tous, nous ne faisons qu’un en Christ, et que nous
participons ainsi à sa prière, toujours entendue et exaucée par le Père du
ciel. Exerçons cette dignité avec le même empressement que le Christ, lui qui
ne faisait rien d’important dans sa vie sans s’en ouvrir à Dieu dans la prière.
Comment pourrions vivre comme des justes aux yeux de Dieu si nous ne prenons
jamais le temps de l’écouter nous dire ce qu’il attend de nous, sans jamais
surtout l’écouter nous dire ce qu’il réalise pour nous ?
« Si vous voulez vivre comme des justes, évitez
d’agir en présence des hommes pour vous faire remarquer. Ainsi, quand tu
jeûne… » Ah, la belle histoire
que voilà. Il fallait bien, n’est-ce pas, au début du carême, que je vous parle
des privations nécessaires. Tous les ans, c’est la même chose ! Peut-être,
mais il ne tient qu’à nous que cette année, cela soit différent. Et qu’est-ce
qui pourrait être différent sinon l’esprit dans lequel nous vivons ces
privations ? Quoi jeûner ? Ce que vous voulez, mais de préférence
quelque chose qui n’apporte ni joie, ni bien être aux autres ! Ainsi mon
jeûne permettra à d’autres aussi de se sentir mieux. Régulièrement, il est
proposé à des familles de vivre un temps plus ou moins long sans télé. Le journal
La Croix avait même proposé, il y a quelques années de cela, de vivre sans télé
pendant un mois complet. Les conclusions de l’expérience étaient
intéressantes. Peu de gens pensaient tenir aussi longtemps au départ ;
mais tous, à l’arrivée, notaient le bienfait apporté : plus de relation
familiale, des parents qui jouent avec leurs enfants, la redécouverte du
silence, la joie de regarder un programme ensemble lorsque cela était autorisé
(1 fois pendant le mois). Bref, un jeûne qui procure de la joie parce qu’il a
rendu libre des gens qui ne se voyaient pas vivre sans la boite à images.
Pourquoi jeûner ? Pour être libre, pour être maître de ses choix. Une
contrainte pour plus de liberté. Une contrainte pour plus d’humanité. Une
contrainte pour un mieux être. Au début, nous ne voyons pas bien comment c’est
possible, mais à l’arrivée, nous re-découvrons le vivre ensemble. Voilà ce qui
nous est demandé ; voilà ce qui nous est promis.
Au jour de notre baptême, le prêtre, nous marquant de
l’huile sainte, nous rappelait que nous participions à la dignité prophétique
du Christ. Nous l’exerçons chaque fois que nous inventons de nouveaux modes de
vivre ensemble qui donnent à chacun une place. Nous l’exerçons lorsque, par
notre jeûne, nous disons que nous ne voulons pas vivre enchaînés par des modes,
par un désir de consommation à outrance. Il y a de la vie au-delà des réflexes
publicitaires ; il y a de la vie, et même plus de vie, là où les hommes sont avant d’être des hommes qui ont. Il y a de la vie et plus de vie possible, là où nous acceptons
de nous libérer du superflu pour retrouver l’essentiel.
Que ces quarante jours nous ouvrent un horizon
nouveau. Qu’ils nous permettent une redécouverte de la vie baptismale – vie
royale, sacerdotale et prophétique. Que nous retrouvions le goût des autres, le
désir de Dieu et le plaisir de vivre. Joyeux carême à nous tous !
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