Donne-moi à boire !
Qu’y a-t-il de curieux dans cette
demande ? Rien, en apparence. Qui, fatigué et assoiffé, n’a adressé cette
demande à quiconque pouvait étancher sa soif ? Non, cette demande n’a rien
que de très ordinaire. Pourtant, elle ne cesse de me surprendre.
Pourquoi ? Parce qu’elle est adressée par Jésus, celui-là même vers qui se
tournent les hommes et les femmes en manque de quelque chose. Dans l’Evangile,
il est en principe celui à qui s’adressent les demandes humaines. Ici, c’est
lui qui demande ; ici c’est lui qui mendie un verre d’eau. C’est cela qui
me surprend ! Et qui en même temps devient bonne nouvelle pour moi :
cela signifie que Dieu a besoin de moi ; Dieu veut avoir besoin de
l’humanité. Et je pense alors spontanément à ce magnifique passage de la Genèse
où Dieu, après la transgression d’Adam, se met à la recherche de l’homme :
Homme, où es-tu ? C’est le même désir qui est exprimé. Dieu veut donc
rencontrer l’humanité ; il n’est pas celui qui la surveille, ni celui qui
l’oblige, mais bien le Dieu de l’Alliance, de la rencontre libre et désirée.
Donne-moi à boire !
Celle
demande exprimée par Jésus au début de l’Evangile, la voilà reprise plus tard
par la femme à qui Jésus s’adressait. Pas tout à fait dans les mêmes termes,
mais dans l’esprit : « Donne-moi de cette eau ! »
Jésus éveille le désir d’une rencontre vraie chez cette femme. Elle commence à
avoir conscience que celui-là qui lui demandait à boire, allant à l’encontre de
toutes les conventions humaines, pouvait lui apporter quelque chose de plus que
cette simple eau qu’il lui demandait. Petit à petit, Jésus se révèle à cette
femme et révèle cette femme à elle-même. Soudain, c’est comme si toute la vie
passée de cette femme prenait un sens nouveau, s’éclairait du regard d’amour
que Jésus pose sur tout humain qu’il rencontre. D’une demande d’un peu d’eau,
nous passons à une discussion théologique, révélant que la vraie soif des
hommes ne pouvait être étanchée par l’eau naturelle. La vraie soif des hommes
ne pouvait être étanchée que par Dieu ; la vraie soif de Dieu ne peut être
étanchée que par des adorateurs en esprit et en vérité. En Jésus, le désir de
Dieu et le désir des hommes se rencontrent et se comblent mutuellement. Voilà
une autre bonne nouvelle. Ma quête d’absolu, ma quête de vérité se trouvent
réalisées en Jésus. Grâce à lui, je me connais véritablement ; grâce à
lui, je peux véritablement connaître Dieu.
Donne-moi à boire !
Il
y a une constante qui traverse tout l’Evangile, et qui manifeste que la
rencontre avec Jésus transforme vraiment une vie : tous ceux qui
bénéficient d’une telle rencontre ont un besoin irrépressible d’en parler, de
partager cette rencontre avec d’autres. La Samaritaine n’échappe pas à ce
besoin. Sa soif est communicative : elle court au village prévenir tout le
monde. Et tous viennent, assoiffés, rencontrer celui qui a bouleversé cette vie
humaine. A leur tour, les habitants du village voient leur soif étanchée :
« Nous l’avons entendu par nous-mêmes, et nous savons que c’est
vraiment lui le Sauveur du monde ! » Tout avait commencé par une
demande d’un peu d’eau ; et au final, le dessein d’amour de Dieu est
révélé aux hommes. Voilà encore une bonne nouvelle : je peux profiter de
l’expérience des autres, et les autres peuvent profiter de la mienne, pour
toujours mieux connaître Dieu, pour toujours se sentir désiré par Dieu. Ce Dieu
qui s’est révélé à mon voisin, veut entrer en alliance avec moi. Et je peux permettre
à d’autres d’entrer dans cette alliance, pour peu que j’accepte de m’ouvrir et
de ne pas garder pour moi ce que j’ai expérimenté avec le Christ. Et je
comprends mieux alors pourquoi l’annonce de toutes ces bonnes nouvelles devient
une urgence. Parce que le monde entier peut connaître Dieu ; parce que le
monde entier peut ainsi changer et s’ouvrir à cette Parole, à ce désir.
Donne-moi à boire !
N’est-ce pas encore la demande de
nos contemporains, voire notre propre demande ? N’avons-nous pas soif du
Dieu vivant et vrai, nous qui avons été plongé dans l’eau vive au jour de notre
baptême ? N’avons-nous pas à communiquer cette soif et ce désir de
rencontre autour de nous pour faire grandir ce Royaume qui nous est
promis ? Notre foi ne grandit que si elle est alimentée par une réflexion
vraie et constamment nourrie de la Parole de Dieu. Notre foi ne grandit que si
elle est vécue et partagée, en parole, mais aussi en acte, avec celles et ceux
que le Christ place sur notre route. Le village que nous allons prévenir de
notre rencontre, ce sont tous ces petits dont nous parle l’Evangile et qui sont
le moyen que le Christ choisit pour se rendre présent. Souvenez-vous de ce que
dit saint Matthieu, au chapitre 25 : « Ce que vous avez fait à
l’un de ses petits qui sont mes frères, c’est à moi que vous l’avez fait.
J’avais faim et vous m’avez donné à manger. J’avais soif et vous m’avez donné à
boire. J’étais malade ou en prison, et vous m’avez visité. J’étais un étranger
et vous m’avez accueilli…. » Il n’est pas difficile de comprendre
comment Dieu s’adresse à nous, comment il nous demande aujourd’hui encore à
boire et comment nous pouvons aider à étancher la soif de nos contemporains en
nous mettant activement au travail pour que grandisse le Règne de Dieu, pour que
la justice et la paix ne soient pas de vains mots, pour que l’entraide et le
partage ne soient pas que des belles idées. Et la bonne nouvelle, c’est que
nous ne pouvons nous y soustraire ! Nous devenons toujours plus chrétiens
– membres du corps du Christ – en témoignant de lui par nos paroles et notre
charité. Nous devenons toujours plus chrétiens en apaisant la soif des hommes
et des femmes que nous rencontrons. Je dirai même que notre propre soif
s’étanche à mesure que nous laissons l’Esprit de Dieu agir à travers
nous !
Donne-moi à boire !
Il
n’y a pas plus belle prière que celle là ! Elle nous fait demander l’eau
vive de la Parole qui transforme notre vie ! Elle nous fait supplier le
don de l’Esprit Saint qui nous ouvre aux dons que Dieu nous fait, nous met en
route et qui nous fait partager aux autres les dons que nous avons reçus. C’est
cela vivre son baptême ! Alors oui, Seigneur, donne-moi à boire,
maintenant et pour toujours. Amen.
(Dessin de Jean-Yves Decottignies, Mille dimanches et fêtes, éd. Presses d'Ile de France)
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