Pierre avait dit
à Jésus : « Tu es le Messie, le Fils du Dieu vivant. » C’était
dimanche dernier que nous avions médité cette page d’évangile. Jésus interrogeait
ses disciples sur sa personne et Pierre a eu cette révélation. Mais ça, c’était
dimanche dernier. Aujourd’hui, le même Pierre se fait traiter de Satan par Jésus.
D’un extrême à l’autre ! Peut-être pour que Pierre, tout juste promus chef
des disciples, ne prenne pas la grosse tête ! Sans doute surtout parce qu’il
n’a rien compris à la révélation divine dont il a profité. C’est une chose de
reconnaître que Jésus est le Messie ; c’en est une autre d’accepter qu’il
soit Messie à la manière de Dieu et non à la manière des hommes ! C’est
vrai pour Pierre, c’est vrai pour nous aujourd’hui.
Quand
nous parlons de Dieu, ne rêvons-nous pas d’un Dieu tout-puissant qui
interviendrait plus que de nécessaire pour réparer les erreurs des hommes ?
Ne crions-nous pas à l’inexistence de Dieu, ou au moins à la difficulté de
croire en lui dès lors que les choses ne vont pas dans le sens du bien ?
Si Dieu existe, pourquoi permet-il la guerre ? Pourquoi permet-il que des
enfants meurent ? Pourquoi n’intervient-il pas devant toutes les
injustices commises ? C’est Pierre, qui n’a pas encore accepté le mystère
de la croix, qui parle ainsi en nous, ce même Pierre que Jésus traite de Satan. Comme
Pierre, nous avons à découvrir la manière dont Jésus est le Messie, la manière
dont Dieu exerce sa divinité.
Et
il y a de quoi être surpris, je vous l’accorde. Non Dieu n’intervient pas à la
manière d’un gardien de la galaxie ; il n’a rien d’un personnage de
Marvel. Il est le Dieu qui offre aux hommes leur liberté, y compris la liberté
de ne pas le suivre, y compris la liberté de ne pas croire en lui parce qu’il n’est
pas comme les hommes se l’imaginent. Il est le Dieu qui nous a fait à son image
et non le Dieu que nous faisons à notre image. Heureusement pour nous !
Nous
pouvons donc comprendre que Pierre, et l’humanité à sa suite, ait quelques
difficultés à accepter que Jésus soit Messie, non à la manière des hommes
(héros vengeur), mais à la manière de Dieu, Agneau de Dieu livré pour notre
péché. Nous pouvons comprendre qu’il faille aussi du temps et toute la patience
de Jésus pour enseigner ses disciples à ce sujet. Pour la première fois, Jésus le Christ commença à montrer à ses
disciples qu’il lui fallait partir pour Jérusalem, souffrir beaucoup de la part
des anciens, des chefs des prêtres et des scribes, être tué, et ressusciter le
troisième jour. Ce n’est jamais agréable, ni acceptable, d’entendre quelqu’un
que l’on aime, quelqu’un en qui on met son espérance, nous dire qu’il va
souffrir pour réaliser son dessein d’amour pour nous. Et pourtant, en ce qui
concerne Jésus, le mystère de la croix est incontournable. Aurait-il pu sauver
les hommes sans passer par la croix, en commandant des légions d’anges pour qu’elles
détruisent le Mal ? Sans doute. Mais l’homme aurait-il appris ainsi que l’amour
vaut mieux que la violence ? L’homme aurait-il appris ainsi que le don de
soi pour ceux que l’on aime est la plus haute forme de l’amour ? Quel
monde aurions-nous si Dieu lui-même déchainait la violence pour supprimer les
violents ? Comment apprendrions-nous à aimer inlassablement si Dieu exerçait
une vengeance contre les hommes ? Comment apprendrions-nous la puissance
du pardon ?
Le
mystère de la croix est incontournable pour Jésus et pour nous. Il faut que le
Fils de l’Homme aille jusqu’à la croix, pour de vrai, pour sauver l’homme, non
seulement de ses ennemis humains, mais plus encore de ces Ennemis fondamentaux
que sont le Mal et la Mort. Si Jésus ne va pas jusque-là, s’il ne descend pas
au séjour des morts pour affronter la Mort sur son propre terrain, il ne peut
la vaincre vraiment. La vie marquée du sceau de l’éternité doit être affirmée y
compris au royaume de la mort afin que tous les hommes soient sauvés, ceux qui
ont connu le Christ, comme ceux qui ont vécu avant lui ou tous ceux qui vivront
après lui sur cette terre. Ainsi seulement devient-il le Seigneur des vivants
et des morts.
Dès
lors, les hommes n’ont plus le choix ; s’ils veulent être disciples de Jésus
le Christ, ils doivent imiter leur Maître et Seigneur : ils doivent renoncer à eux-mêmes, prendre leur croix et
le suivre. Mais ils prennent leur croix avec la certitude que Jésus l’a
déjà portée pour eux, et l’a déjà vaincue pour eux. Elle n’est plus un obstacle
sur leur chemin vers Dieu, elle devient le passage vers Dieu. De même que Jésus
ne peut se soustraire à la croix, de même ne pouvons-nous nous y soustraire :
elle fait partie de notre vie chrétienne et pas seulement sous la forme d’un
bijou à porter au cou. Nous devons véritablement la porter jusqu’au bout pour
que le Christ puisse rendre à chacun
selon sa conduite, quand il viendra dans la gloire de son Père.
Il
n’est pas besoin de comprendre en totalité le mystère de la croix ; il
nous faut juste l’accepter en sachant que le Christ nous a devancés pour mieux
nous accompagner aujourd’hui. Sur son chemin de croix, il y a eu un certain
Simon de Cyrène pour l’aider à porter à sa croix ; aujourd’hui, c’est Jésus
qui se fait notre Simon de Cyrène pour que nos croix quotidiennes ne soient
plus un fardeau insurmontable. Avec Jésus, prenons notre croix, et marchons
vers Dieu, source de la vie, source de la joie. En lui est notre victoire. Amen.
(Photo prise en Irlande, Cathédrale St Patrick - Dublin)