Il n’est pas
bien de prendre le pain des enfants pour le donner aux petits chiens. On aura beau
dire que la réponse initiale de Jésus à la Cananéenne était formulée ainsi pour
mieux éprouver sa foi, il n’en reste pas
moins qu’elle est sévère. Le Dieu auquel nous croyons est-il notre Dieu à nous
tout seul ? Ou pouvons-nous le partager à d’autres ? Faut-il être
blanc, européen, bien-pensant, issue de telle catégorie socio-professionnelle,
pour prétendre à la qualité de chrétien ? Telles sont bien les questions
auxquelles nous sommes renvoyés par l’ensemble des lectures de ce dimanche.
Cette
femme qui crie vers Jésus a le don d’agacer. Elle agace les disciples à tel
point qu’ils demandent à Jésus de lui donner
satisfaction, car elle les poursuit
de ses cris ! En gros, ce qu’ils demandent à Jésus, c’est de la faire
taire ! Jésus est-il venu pour cela ? Pour nous faire taire ? La
suite montre bien que non, puisqu’il va pousser cette femme à s’exprimer
davantage ; il va la pousser à dire sa foi. C’est pour cela qu’il est venu :
pour que nous prenions position, pour que nous nous interrogions sur Jésus et
que nous nous exprimions clairement. Puisque Jésus est sans gêne vis-à-vis d’elle,
elle sera sans gêne dans sa réponse : c’est
vrai, Seigneur, mais justement, les petits chiens mangent les miettes qui
tombent de la table de leurs maîtres. Elle reconnaît que Jésus est venu
pour Israël ; d’ailleurs, elle l’appelle Fils de David ! Mais elle affirme aussi qu’il peut avoir
quelque attention pour les autres, qui ne sont pas d’Israël, mais qui l’écoutent,
le suivent et le reconnaissent comme Seigneur.
Si les uns ont trop ou ne veulent pas tout ce qu’on leur propose, pourquoi d’autres
ne profiteraient-ils pas de leurs restes ? En donnant suite à la demande
de cette femme, en répondant à sa supplication, Jésus vient bien d’affirmer qu’il
est venu pour tous les peuples, que tous les hommes peuvent avoir accès au
salut qu’il va proposer dans sa mort/résurrection.
Ce
faisant, il ne crée pas de jurisprudence nouvelle, il ne fait qu’exprimer une
donnée contenue dans la première alliance : quand Dieu s’est choisi Israël
pour être son peuple particulier, il l’a établi comme lumière pour tous les
peuples. Grâce à sa relation particulière à Dieu, ce peuple devait éclairer les
autres peuples, au point qu’ils désirent eux-aussi suivre la loi du Seigneur. N’est-ce
pas ce que reconnaît le prophète Isaïe déjà ? Lorsqu’il rappelle au peuple
de Dieu la nécessité d’observer le droit,
de pratiquer la justice, il rappelle que le Seigneur accueillera
favorablement les sacrifices et les prières de ces étrangers qui se sont attachés au service du Seigneur pour l’amour de
son nom et sont devenus ses serviteurs. Il n’y a déjà plus lieu de se
revendiquer membre de ce peuple par sa naissance ; ce qui caractérise le
fidèle du Seigneur, c’est sa pratique, son attachement concret non pas à un
peuple, mais à l’alliance que conclut avec tous. Et ainsi la maison du Seigneur s’appellera « Maison
de prière pour tous les peuples ».
Si
vous relisez les Actes des Apôtres, vous constaterez qu’il ne suffit pas qu’un
prophète éminent annonce un fait pour qu’il soit accepté par tous. Il n’a même
pas suffit que Jésus, durant sa vie terrestre, accueille favorablement la
demande de la Cananéenne, ni qu’il donne en exemple un samaritain dans une de
ces paraboles, pour que ses disciples soient ouverts à tous. Relisez les Actes
des Apôtres et vous verrez Pierre lui-même lutter contre ces préjugés quand il
a le songe qui le mènera finalement chez le Centurion Corneille. Vous y verrez
aussi combien Paul a dû lutter pour que soit reconnue sa mission auprès des
païens. Nous en sentons les difficultés dans sa lettre aux Romains dans
laquelle il essaie d’expliquer qu’Israël garde une place de choix dans le
projet de Dieu puisque les dons de Dieu et
son appel sont irrévocables. Mais en même temps, il souligne la miséricorde
de Dieu envers tous les peuples, qui fait que des païens peuvent se convertir
au Christ et être sauvés. Sa réflexion aboutira à cette affirmation capitale
pour lui : il n’y a plus ni Juif, ni
païen, ni esclave, ni homme libre, il n’y a plus ni homme, ni femme, mais tous,
vous ne faites plus qu’un, en Christ. Comment exprimer mieux que cela l’universalité
du salut que Jésus offre ?
Ce
salut pour tous ne signifie pas que Jésus vient inaugurer le temps des soldes
de la foi ; il ne vient pas supprimer l’exigence de la foi. Inviter tout
homme au salut ne signifie pas que nous irons tous au paradis ! Mais que
tout homme peut y prétendre s’il accueille le Christ et vit de ses
enseignements. Il n’est plus besoin d’être d’un peuple particulier, d’un modèle
précis, d’une certaine couleur de peau pour entrer dans le Royaume. Il faut
accueillir Dieu et sa Parole, il faut faire
sa volonté. Là sont toutes les exigences du salut : croire au Christ,
vivre de sa Parole. Tous sont soumis à la même règle ! Que vous soyez
croyant de longue date ou jeune converti, la même chose est demandée. Il n’y a
pas d’ancienneté qui tienne ; il n’y a de passe-droit pour personne. Une
parfaite égalité devant Dieu.
Ma maison s’appellera
« Maison de prière pour tous les peuples » : l’universalité
de l’Eglise, née de l’ordre du Christ donné aux Apôtres au jour de Pâques (Allez, de toutes les nations faites des
disciples), réalise cette prophétie d’Isaïe. Présente aux quatre coins du
monde, annonçant inlassablement l’unique Evangile, la maison Eglise est maison
de prière pour tous les peuples. Gardons-nous de jamais en rétrécir les
contours ; soyons accueillant comme le Christ l’est pour tous, sous peine
de nous mettre nous-mêmes hors les murs, hors la maison du Seigneur. Amen.
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