Vraiment, tu es
Fils de Dieu !
C’est par cette profession de foi que s’achève l’évangile de ce dimanche. Parce
que ce sont les Apôtres qui s’expriment ainsi, nous aurions tort de croire que
cette parole est facile pour eux. Elle est le résultat d’un long processus, le
résultat d’une maturation, comme il en est pour nous. Les Apôtres, comme nous,
ont dû apprendre la foi et traverser les étapes qui y mènent.
Lorsque
nous retrouvons le groupe des Douze, la multiplication des pains vient d’avoir
lieu. Ils n’ont pas bien le temps d’en discuter avec Jésus, car aussitôt après avoir nourri la foule dans le
désert, Jésus obligea ses disciples à monter dans la barque et à le précéder
sur l’autre rive, pendant qu’il renverrait les foules. Ce n’était ni le
moment, ni le lieu pour de grandes considérations théologiques sur Jésus, son
pouvoir… Nous ne saurons donc jamais si le long processus de la foi des Apôtres
a commencé là, mais rien n’empêche de le croire. Le signe des pains multiplié
rappelle quand même assez clairement que Dieu a jadis nourri son peuple au
désert par le don de la manne.
Les
Apôtres se sont donc embarqués, direction l’autre rive. Jésus reste seul à
renvoyer les foules, puis se retire pour prier Dieu. Sur l’eau, le vent se
lève, la barque est secouée, à une bonne distance de la terre. Il y a beau
avoir des professionnels de la pêche dans la barque, sans doute l’angoisse
a-t-elle gagné certains disciples, si ce n’est tous. Et voilà que Jésus vint vers eux en marchant sur la mer. L’angoisse
des disciples grandit quand ils voient cette forme qui s’approche : les disciples furent bouleversés, ils
disaient : C’est un fantôme. C’est le temps de la peur. Les disciples
traversent une épreuve et Jésus n’est pas vraiment là. La barque est battue par les vagues et il y a cette
chose qui s’approche : vous pouvez imaginer ce qui peut se passer dans la
tête des disciples. La peur fait partie de ce processus qui mène à la foi. Pour
qui cherche Dieu en vérité, s’ouvre toujours une période d’incertitude, de peur
même : est-ce que je ne me trompe pas ? Est-ce qu’on ne me trompe pas ?
Une
deuxième période s’ouvre alors. Elle commence par une parole de Jésus : Confiance ! C’est moi, n’ayez pas peur !
Il indique ainsi le but de la foi : être libéré de nos angoisses, de nos
peurs. Et lui seul, Jésus, peut le faire. Il vient vers nous, dans nos vies chaotiques,
bousculées, pour cela : pour nous ouvrir à la confiance, pour nous
permettre de reprendre notre vie en main, libérés de toute peur. Avec Jésus,
nous pouvons traverser les épreuves. Avec Jésus, nous pouvons espérer une vie
meilleure. Avec Jésus, nous n’avons plus à craindre : il vient apporter amour, vérité, justice, paix, ainsi que
nous le chantions avec le psalmiste après la première lecture. Mais cette
parole de Jésus semble ne pas suffire à Pierre : Si c’est bien toi… Il doute encore, il veut des preuves et quelle
meilleure preuve que de pouvoir faire ce que fait Jésus : si c’est bien toi, ordonne-moi de venir vers
toi sur l’eau. Nous sentons le doute de Pierre : il sait qu’avec Jésus,
tout est possible : ne vient-il pas de nourrir une foule de plus de cinq mille hommes, sans compter les
femmes et les enfants, avec seulement cinq
pains et deux poissons ? Et en même temps, il n’est pas tout-à-fait
convaincu. Le doute fait partie de la démarche de foi, il permet à la foi de
grandir, de se purifier. Il faut que Pierre passe de la notion de fantôme qui s’avance
à la réalité de Jésus qui vient vers lui. Il doit être convaincu que, même
lorsque Jésus n’est pas là, immédiatement à côté de lui, il est capable de
faire de grandes choses avec Jésus, au nom de Jésus. Pour l’heure, il a encore
besoin de preuve : si c’est bien toi…
Jésus
va le prendre au mot : Viens ! Il
appelle Pierre. Il l’appelle à venir vers lui, en marchant sur l’eau, il l’appelle
à venir à la foi. C’est le moment décisif. A l’appel de Jésus, nous devons
répondre, tous, ou nous enfermer dans nos peurs. Pierre descendit de la barque et marcha sur les eaux pour aller vers Jésus.
Et ça marche ! Et Pierre marche sur l’eau ! Incroyable, me
direz-vous ! Mais Jésus n’a-t-il pas dit que si nous avions la foi, gros comme un grain de moutarde,
nous serions capables de grandes choses ? Pierre l’expérimente en s’avançant
sur l’eau, les yeux fixés sur Jésus. Oui, lorsque Jésus nous appelle, nous
pouvons sans crainte sortir de la barque de nos peurs pour avancer libres et
confiants vers celui qui nous attend. Jésus ne nous demandera jamais rien d’impossible !
Mais
alors, me direz-vous, pourquoi Pierre coule-t-il ? Parce que, un bref
instant, il n’a plus regardé Jésus, mais il a regardé le vent. Il a repris
peur, parce que sa ligne de mire n’était plus le Christ, mais les événements
qui se déroulaient autour de lui : le vent, la mer agitée et sa peur qui a
repris le dessus. Quand nous quittons Jésus des yeux, quand nous sortons Jésus de
notre cœur, le monde nous envahit, le monde peut nous faire peur ; et nous
coulons. Même si cet instant est bref, le temps de regarder le vent suffit. Il
n’y a alors que deux choix possible : soit nous nous coulons dans ce monde,
soit nous crions vers Jésus, comme le fait Pierre, sûr qu’il peut encore
quelque chose pour nous. Notre désir de croire prend alors le dessus, nous
retrouvons spontanément les mots de la foi : Seigneur, sauve-moi !
S’ouvre
alors le temps du salut, car Jésus ne peut rester sourd à nos appels. A qui
crie vers lui, Dieu fait miséricorde. A qui implore son aide, Dieu se donne. Aussitôt, Jésus étendit la main et le
saisit. C’est la première chose que fait Jésus : il sauve. Sa nature
profonde s’exprime dans ce geste ; il ne peut pas faire autrement que de
sauver ceux qui crient vers lui. Quand ils sont tous deux en barque, le vent tombe. Le calme est revenu, la
peur a disparu, la foi peut jaillir : ceux
qui étaient dans la barque se prosternèrent devant lui, et lui dirent : Vraiment,
tu es Fils de Dieu. Quand Jésus est là, au milieu d’eux, les Apôtres n’ont
plus peur. Quand Jésus est là, au milieu d’eux, le vent se tait, la mer se
calme, le mal n’a plus de pouvoir. Quand Jésus est là, ceux qui ont expérimenté
son salut, peuvent exprimer leur foi. Il faudra encore que les Apôtres
apprennent à dire cette foi en l’absence de Jésus, quand il ne sera plus
physiquement au milieu d’eux.
N’est-ce
pas là notre expérience ? Nous pouvons dire notre foi, et nous la
proclamerons ensemble dans un instant, parce que d’autres nous l’ont inculqué, parce
que nous avons appris des textes qui disent la foi des chrétiens. Mais nous ne
la disons jamais avec plus de vérité que lorsque nous avons expérimenté dans
notre vie la présence mystérieuse et agissante de Jésus, lorsque nous avons
goûté à sa présence aimante, rassurante au cœur de notre vie. A la suite des
Apôtres, nous connaissons le même cheminement : peur, doute, appel,
confiance, salut, proclamation de la foi. Et nous ne le faisons pas une fois
seulement ; nous savons bien que, tout au long de notre vie, nous passons
de l’une à l’autre de ses phases. Plus notre foi grandira, plus nous douterons,
plus nous voudrons des preuves, jusqu’au moment où le Christ nous accordera la
grâce de croire, tout simplement, parce qu’il nous aura fait voir le salut et
comprendre qu’il est toujours avec nous, même lorsque la barque de notre vie
est secouée par des vents contraires et qu’il nous semble qu’il est resté sur
le rivage. Dans sa prière au Père, sur le rivage où il nous attend, il œuvre déjà
avec nous, il nous porte devant son Père pour que nous ne sombrions pas. Quand nous
aurons cette certitude ancrée en nous, quand notre foi nous permettra de « sentir »
le Christ à l’œuvre alors même que tout nous semble difficile, alors nous
pourrons dire nous aussi, parce que nous le croyons sincèrement : Vraiment, tu es Fils de Dieu. Amen.
(Dessin de Jean-Yves DECOTTIGNIES, in Mille dimanches et fêtes, Année A, éd. Presses d'Ile de France)
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