Les Pharisiens
se concertèrent pour voir comment prendre en faute Jésus en le faisant parler. D’emblée est
posé le cadre de cette rencontre surprenante entre Jésus et des disciples des
Pharisiens et des partisans d’Hérode : un cadre hostile, un piège destiné
à faire tomber celui que la foule vient écouter en masse. Je ne sais pas si c’est
de la bêtise ou de l’inconscience de vouloir prendre Jésus en défaut sur sa
parole ; mais reconnaissons que cela donne un peu de panache à la démarche
de ses adversaires. Pouvez-vous imaginer un seul instant réussir à prendre en
défaut Jésus, en le faisant parler,
lui qui est le Verbe de Dieu selon saint Jean, c’est-à-dire la propre parole de
Dieu ?
Les
récents enseignements de Jésus (parabole des deux fils, parabole des ouvriers
homicides et parabole des invités à la noce) auraient quand même dû les mettre
en alerte. Certes, Jésus les a grandement énervés ; mais puisque c’est
justement son enseignement qui les excite, pourquoi l’attaquer sur ce point-là ?
Ils savent que c’est son point fort ; ils savent que sa parole a du poids ;
ils savent qu’il est écouté. Quand tu veux attaquer ton adversaire, trouve son
point faible ; ne le provoque pas dans le domaine où il excelle. N’ont-ils
donc point de bon sens ? Bref, dès le départ, nous pouvons sentir que l’affaire
est mal engagée, et ce n’est pas parce qu’ils viennent à plusieurs contre Jésus
seul qu’ils ont un avantage !
Mais
venons-en au piège lui-même. Ils sont futés quand même ; ils commencent
par passer de la pommade à Jésus : Maître,
nous le savons ; tu es toujours vrai et tu enseignes le vrai chemin de Dieu.
Tu ne te laisses influencer par personne, car tu ne fais pas de différence
entre les gens. Ce qu’ils disent là n’est pas faux, nous le savons bien. L’enseignement
de Jésus, sa parole, est le vrai chemin de Dieu. S’ils ne venaient pas en
adversaires, nous pourrions louer leur foi, comme Jésus le fit lui-même si
souvent pour celles et ceux qui venaient à lui avec un cœur pur. Mais voilà,
leur cœur n’est pas pur, leurs intentions ne sont pas bonnes ; ils sont
fourbes. Ils essaient de cacher leur piège derrière des paroles suaves. Du coup,
leur question passe presque pour anodine, un simple point de détail, une
précision toute bête à apporter dans un enseignement déjà riche. Donne-nous ton avis : est-il permis,
oui ou non, de payer l’impôt à l’empereur ? La question peut nous
sembler futile aujourd’hui, mais pour Jésus, elle est redoutable. S’il répond
oui, il s’affichera comme collabo, partisan des Romains, et les foules, qui n’attendent
qu’une seule chose, être débarrassé de l’envahisseur, se détourneront de lui. S’il
répond non, il sera considéré comme séditieux, appelant à la révolte, et c’est
ce même envahisseur, pourtant honni, qui se chargera de lui et règlera le
compte de ce gêneur. Nous pouvons mesurer davantage encore la fausseté des
paroles mielleuses qui ont introduit la question.
Comment
Jésus s’en sort-il ? En retournant le piège contre ses adversaires en
trois temps ! Premier temps : Montrez-moi
la monnaie de l’impôt. Ils lui présentèrent une pièce d’argent. Et déjà le
piège se referme sur eux : ils ont bien en poche une monnaie qui sert à
payer l’impôt. Ils ne semblent pas avoir cherché longtemps. Ils l’avaient à
portée de main. Ils pactisent donc eux-mêmes avec l’occupant. Deuxième temps :
l’effigie et la légende, de qui
sont-elles ? – De l’empereur
César. Si la possession de la pièce ne suffisait pas, voilà démontré qu’ils
savent que c’est de l’argent sale, comme nous dirions aujourd’hui. Ce n’est pas
la monnaie qui devrait avoir cours en Israël ; ils savent que c’est une
monnaie étrangère, marque de leur soumission à l’impie. Troisième temps :
l’enseignement de Jésus : Rendez
donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu. Comme pour
dire, ne me mêlez pas à vos compromissions. Ce qui est de ce monde, rendez-le à
ce monde ; ce qui est du monde de Dieu, rendez-le à Dieu. Il faut alors
encore préciser que la liturgie nous prive du dernier verset de ce passage de l’évangile de Matthieu. Il nous
dit la réaction des adversaires à la parole de Jésus : A ces mots, ils furent tout surpris et, le
laissant, ils s’en allèrent.
Qu’apprenons-nous
de tout ceci ? Premièrement : Jésus se pose en libérateur. Par son
geste, par sa parole, il redonne aux choses leur vraie valeur. Il libère nos
esprits étriqués de toute vision étroite ou partisane. Il nous invite à être
vrais. Nous sommes vraiment libres lorsque notre oui est oui et notre non est
non. En apprenant à rendre à César et à Dieu ce qui leur revient
respectivement, nous sommes engagés dans ce processus de libération. Nous sommes
vrais, et dans nos relations humaines, et dans notre relation à Dieu. Deuxièmement :
Matthieu nous apprend dans son évangile ce que Jean révèlera dans le sien :
nous avons à vivre dans le monde sans
être du monde ; non pas évadés dans une bulle spirituelle, mais
pleinement présent à la vie des hommes, sans toutefois entrer dans le jeu des
compromissions. Si nous avons appris de Jésus à être vrais, alors nous pouvons
nous engager dans ce monde, y compris en politique pour transformer le monde, sans
jamais céder à l’esprit du monde. Troisièmement : Ayant appris à être
vrais, sachant nous positionner justement dans ce monde qui passe, nous pouvons
alors avoir une parole vraie, une parole claire, une parole qui éclaire et
libère, une parole qui surprend aussi ceux à qui nous nous adressons. Notre parole
doit être comme la parole de Jésus ; c’est sa parole que nous devons faire
entendre, c’est de sa parole que nous devons vivre.
Pour
finir, laissons le dernier mot à la prière de l’Eglise ; l’oraison, que
nous avons adressée à Dieu au début de notre eucharistie, nous introduisait
magnifiquement à toutes ces découvertes. N’hésitons pas à la reprendre chaque
fois que nous sommes confrontés à l’adversité, aux vents contraires ; elle
nous indiquera toujours le chemin de la liberté et de la vérité, qui nous
permettra de rendre et à César et à Dieu, ce qui leur revient. Dieu éternel et tout-puissant, fais-nous
toujours vouloir ce que tu veux et servir ta gloire d’un cœur sans partage. Tout
est là, tout est dit. Amen.
(Image de Jean-François KIEFFER, in Mille images d'Evangile, éd. Les Presses d'Ile de France)
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