Ta mort, Seigneur,
nous la rappelons. Amen. Ta sainte résurrection, nous la proclamons. Amen. Ton retour
dans la gloire, nous l’attendons. Amen. J’aurais pu vous chanter n’importe quelle
anamnèse bien écrite, vous auriez entendu ces trois termes : la mort de Jésus
et sa résurrection comme cœur de notre foi, et l’attente de son retour comme cœur
de notre espérance. En un chant bref, après le récit de l’institution eucharistique,
l’assemblée des croyants proclame ce qui est essentiel pour comprendre notre
foi. Jésus a donné sa vie pour nous, Dieu l’a ressuscité et nous attendons qu’il
revienne comme il l’a promis. De ces trois termes, l’un a rapidement posé
problème quant à sa réalisation : celui du retour du Christ.
Il
faut se mettre dans la peau des premiers chrétiens. Jésus avait dit à ses
disciples, au soir de sa mort : Je
pars vous préparer une place. Quand je serai parti vous préparer une place, je
reviendrai et je vous emmènerai auprès de moi, afin que là où je suis, vous
soyez, vous aussi. Cette promesse, beaucoup en attendaient la réalisation
immédiate. Bon, on voulait bien attendre un peu, mais pas trop. Et quand Jésus tarde,
quand certains de ses témoins viennent à mourir, la question du retour de Jésus
se fait plus urgente : quand Seigneur ? Mais poser la question en
termes de date, c’est faire fausse route. C’est ce qu’affirme Paul : Frères, au sujet de la venue du Seigneur, il
n’est pas nécessaire qu’on vous parle de délais ou de dates. Vous savez très
bien que le jour du Seigneur viendra comme un voleur dans la nuit. Ce n’est
pas la date qui importe. Qu’il revienne dans dix jours ou dans cent ans, là n’est
pas l’important. Ce qui compte, c’est notre attitude, notre capacité à être prêt
au bon moment. Pour reprendre Paul encore, ne
restons pas endormis comme les autres, mais soyons vigilants et restons sobres.
Être
vigilant, c’est se tenir toujours prêt, pour ne pas se laisser surprendre. Etre
vigilant, c’est travailler en vue de ce retour du Seigneur, comme la maîtresse de maison dont parle le
livre des proverbes. L’éloge qui en est fait vient rappeler le but que se fixe
cette femme : le bonheur et le bien-être de sa maisonnée, chaque
jour ! Ainsi devrait-il en être du croyant qui attend son Sauveur :
chaque jour, il devrait veiller au bonheur et au bien-être de ceux qu’il
rencontre afin que tous soient prêts à accueillir le Seigneur le moment venu. Avec
Jésus, il s’agit d’être au bon endroit, au bon moment.
La
parabole que raconte Jésus ne dit pas autre chose. Elle peut nous sembler
choquante tant elle fait l’éloge de ceux qui ont réussi financièrement. Mais ce
n’est pas tant ce détail qui doit retenir notre attention que l’attitude du
Maître et de chacun de ces serviteurs. Le Maître part en voyage et confie ses
biens en gestion à ses serviteurs, à chacun
selon ses capacités. Petite remarque importante, car le Maître connaît le
cœur de ses gens ; il sait ce qu’il peut leur confier et combien il peut donner
à chacun ; il sait ce qu’il peut attendre de chacun. C’est un homme
profondément juste, attaché à ses serviteurs, respectueux de ce qu’ils sont et
de ce qu’ils peuvent. Il ne leur tend pas un piège, il ne se moque pas d’eux ;
au contraire, il veut leur faire confiance en mettant entre leurs mains ses
propres biens. Ce qu’il confie, ce n’est pas rien : un talent équivaut à
26 kg d’or ou d’argent ! Une vraie fortune ! Oui, c’est bien du
respect et une immense confiance qu’il leur manifeste ainsi.
Le
maître parti, deux serviteurs s’en vont aussitôt
faire valoir ce qu’ils avaient reçu. Nous ne savons pas
ce qu’ils font, mais nous apprendrons plus tard qu’ils ont doublé leur capital.
Sans doute ont-ils risqué gros ! De telles sommes ne se gagnent pas du
jour au lendemain, et surtout pas sans risque : ce n’est pas le placement
pépère de la banque du coin ! Le troisième serviteur a une réaction
différente : il va creuser la terre
et y cacher l’argent de son maître. Il a bien conscience de ce que représente
une telle somme, et ne veut sans doute pas se faire voler.
Le
Maître, à son retour, demande des comptes : il avait confié un bien à
chaque serviteur : l’heure est venue de le restituer. Les deux premiers
rendent le dépôt avec le surplus gagné et sont accueillis par le maître avec
joie. Ils ont su risquer ; ils sont
récompensés, de la même manière : ils partageront la joie du
Maître. Le troisième serviteur rend simplement ce qui lui avait été confié et
se trouve condamné. Cela peut nous
paraître surprenant, le Maître n’ayant jamais posé de condition au moment du
dépôt. Jamais il n’a dit qu’il fallait en rendre plus. Alors pourquoi cette
sévérité ? Parce que l’homme a été paresseux et peureux : il n’a pas
osé, par peur de son maître. Non seulement, il se fait une idée fausse de
celui-ci (c’est un homme dur qui
moissonne là où il n’a pas semé, qui ramasse le grain là où il ne l’a pas
répandu), mais en plus, ce qu’il fait est illogique, puisqu’il ne va même
pas placer l’argent de son maître à la banque. Il n’a même pas un sou de bon
sens. Il s’est en fait jugé lui-même par sa façon de réagir.
Cette
parabole est donc un avertissement. Comme il en va de ses serviteurs, ainsi en
sera-t-il de chacun de nous : une vie nous est donnée ; des talents
nous sont confiés. Viendra le jour où il faudra rendre des comptes. Qu’as-tu
fait de ta vie ? Qu’as-tu fais de ce que Dieu t’a confié ? As-tu
utilisé ces talents pour le bonheur et le bien-être de tes frères ? As-tu
eu peur et t’es-tu caché ? Dieu ne nous demande pas de réussir à tous les
coups mais de savoir risquer : risquer une parole de paix là où les hommes
s’opposent ; risquer des gestes d’amitié là où la guerre l’emporte ;
risquer de croire là où la méfiance prolifère ; risquer d’aimer là où
grandit la haine ; risquer de vivre là où la mort veut avoir le dernier
mot. Risquer, et croire que Dieu est avec nous et qu’il récompensera notre
audace. Risquer, et entraîner les autres à faire de même pour faire grandir ce
monde de justice et de paix auquel nous aspirons. Risquer de vivre et ne pas se
contenter d’une vie tranquille, au coin du feu, où l’on ne dérange personne et
où personne ne nous dérange. La foi nous pousse à prendre des risques… au
risque de nous perdre si nous refusons de vivre. On ne peut pas être croyant et
attendre simplement et sagement que le temps passe, et que vienne enfin ce jour
de Dieu. C’est à chacun de faire ce qu’il peut afin de hâter la venue du jour
de Dieu par des actes conformes à la volonté du Père. Nous n’échapperons pas à
la nécessité de vivre en conformité avec notre foi ; nous n’échapperons
pas à l’urgence de développer un art de vivre en accord avec notre foi. Il ne
peut pas y avoir la vie ordinaire du lundi au samedi, et la vie de foi réservée
au dimanche. Le croyant au Christ est un être unifié tout au long des jours, ou
il n’est pas. A tout le moins doit-il essayer d’unifier sa vie.
J’aime
bien finalement cet Evangile parce qu’il m’oblige à me mettre en mouvement ;
il m’oblige à bouger pour la cause de Jésus et la cause des hommes. Grâce à cet
Evangile, je ne peux plus considérer ma vie de foi comme quelque chose de mou,
comme une vie passée à attendre que le temps s’écoule et que Jésus enfin
vienne. A chacun donc de s’observer, de découvrir le talent que Dieu lui a
confié et de se mettre en devoir de le faire fructifier. Il est temps de
chasser la peur de notre vie ; il est temps de prendre des risques. Amen.
(Dessin de Jean-François KIEFFER, Mille images d'Evangile, éd. Presses d'Ile de France)
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