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vendredi 14 novembre 2014

33ème dimanche ordinaire A - 16 novembre 2014

Dans l'attente du retour du Christ, risquons !




Ta mort, Seigneur, nous la rappelons. Amen. Ta sainte résurrection, nous la proclamons. Amen. Ton retour dans la gloire, nous l’attendons. Amen. J’aurais pu vous chanter n’importe quelle anamnèse bien écrite, vous auriez entendu ces trois termes : la mort de Jésus et sa résurrection comme cœur de notre foi, et l’attente de son retour comme cœur de notre espérance. En un chant bref, après le récit de l’institution eucharistique, l’assemblée des croyants proclame ce qui est essentiel pour comprendre notre foi. Jésus a donné sa vie pour nous, Dieu l’a ressuscité et nous attendons qu’il revienne comme il l’a promis. De ces trois termes, l’un a rapidement posé problème quant à sa réalisation : celui du retour du Christ.
 
Il faut se mettre dans la peau des premiers chrétiens. Jésus avait dit à ses disciples, au soir de sa mort : Je pars vous préparer une place. Quand je serai parti vous préparer une place, je reviendrai et je vous emmènerai auprès de moi, afin que là où je suis, vous soyez, vous aussi. Cette promesse, beaucoup en attendaient la réalisation immédiate. Bon, on voulait bien attendre un peu, mais pas trop. Et quand Jésus tarde, quand certains de ses témoins viennent à mourir, la question du retour de Jésus se fait plus urgente : quand Seigneur ? Mais poser la question en termes de date, c’est faire fausse route. C’est ce qu’affirme Paul : Frères, au sujet de la venue du Seigneur, il n’est pas nécessaire qu’on vous parle de délais ou de dates. Vous savez très bien que le jour du Seigneur viendra comme un voleur dans la nuit. Ce n’est pas la date qui importe. Qu’il revienne dans dix jours ou dans cent ans, là n’est pas l’important. Ce qui compte, c’est notre attitude, notre capacité à être prêt au bon moment. Pour reprendre Paul encore, ne restons pas endormis comme les autres, mais soyons vigilants et restons sobres.
 
Être vigilant, c’est se tenir toujours prêt, pour ne pas se laisser surprendre. Etre vigilant, c’est travailler en vue de ce retour du Seigneur, comme la maîtresse de maison dont parle le livre des proverbes. L’éloge qui en est fait vient rappeler le but que se fixe cette femme : le bonheur et le bien-être de sa maisonnée, chaque jour ! Ainsi devrait-il en être du croyant qui attend son Sauveur : chaque jour, il devrait veiller au bonheur et au bien-être de ceux qu’il rencontre afin que tous soient prêts à accueillir le Seigneur le moment venu. Avec Jésus, il s’agit d’être au bon endroit, au bon moment. 
 
La parabole que raconte Jésus ne dit pas autre chose. Elle peut nous sembler choquante tant elle fait l’éloge de ceux qui ont réussi financièrement. Mais ce n’est pas tant ce détail qui doit retenir notre attention que l’attitude du Maître et de chacun de ces serviteurs. Le Maître part en voyage et confie ses biens en gestion à ses serviteurs, à chacun selon ses capacités. Petite remarque importante, car le Maître connaît le cœur de ses gens ; il sait ce qu’il peut leur confier et combien il peut donner à chacun ; il sait ce qu’il peut attendre de chacun. C’est un homme profondément juste, attaché à ses serviteurs, respectueux de ce qu’ils sont et de ce qu’ils peuvent. Il ne leur tend pas un piège, il ne se moque pas d’eux ; au contraire, il veut leur faire confiance en mettant entre leurs mains ses propres biens. Ce qu’il confie, ce n’est pas rien : un talent équivaut à 26 kg d’or ou d’argent ! Une vraie fortune ! Oui, c’est bien du respect et une immense confiance qu’il leur manifeste ainsi. 
 
Le maître parti, deux serviteurs s’en vont aussitôt faire valoir ce qu’ils avaient reçu. Nous ne savons pas ce qu’ils font, mais nous apprendrons plus tard qu’ils ont doublé leur capital. Sans doute ont-ils risqué gros ! De telles sommes ne se gagnent pas du jour au lendemain, et surtout pas sans risque : ce n’est pas le placement pépère de la banque du coin ! Le troisième serviteur a une réaction différente : il va creuser la terre et y cacher l’argent de son maître. Il a bien conscience de ce que représente une telle somme, et ne veut sans doute pas se faire voler. 
 
Le Maître, à son retour, demande des comptes : il avait confié un bien à chaque serviteur : l’heure est venue de le restituer. Les deux premiers rendent le dépôt avec le surplus gagné et sont accueillis par le maître avec joie. Ils ont su risquer ; ils sont  récompensés, de la même manière : ils partageront la joie du Maître. Le troisième serviteur rend simplement ce qui lui avait été confié et se trouve condamné. Cela peut  nous paraître surprenant, le Maître n’ayant jamais posé de condition au moment du dépôt. Jamais il n’a dit qu’il fallait en rendre plus. Alors pourquoi cette sévérité ? Parce que l’homme a été paresseux et peureux : il n’a pas osé, par peur de son maître. Non seulement, il se fait une idée fausse de celui-ci (c’est un homme dur qui moissonne là où il n’a pas semé, qui ramasse le grain là où il ne l’a pas répandu), mais en plus, ce qu’il fait est illogique, puisqu’il ne va même pas placer l’argent de son maître à la banque. Il n’a même pas un sou de bon sens. Il s’est en fait jugé lui-même par sa façon de réagir. 
 
Cette parabole est donc un avertissement. Comme il en va de ses serviteurs, ainsi en sera-t-il de chacun de nous : une vie nous est donnée ; des talents nous sont confiés. Viendra le jour où il faudra rendre des comptes. Qu’as-tu fait de ta vie ? Qu’as-tu fais de ce que Dieu t’a confié ? As-tu utilisé ces talents pour le bonheur et le bien-être de tes frères ? As-tu eu peur et t’es-tu caché ? Dieu ne nous demande pas de réussir à tous les coups mais de savoir risquer : risquer une parole de paix là où les hommes s’opposent ; risquer des gestes d’amitié là où la guerre l’emporte ; risquer de croire là où la méfiance prolifère ; risquer d’aimer là où grandit la haine ; risquer de vivre là où la mort veut avoir le dernier mot. Risquer, et croire que Dieu est avec nous et qu’il récompensera notre audace. Risquer, et entraîner les autres à faire de même pour faire grandir ce monde de justice et de paix auquel nous aspirons. Risquer de vivre et ne pas se contenter d’une vie tranquille, au coin du feu, où l’on ne dérange personne et où personne ne nous dérange. La foi nous pousse à prendre des risques… au risque de nous perdre si nous refusons de vivre. On ne peut pas être croyant et attendre simplement et sagement que le temps passe, et que vienne enfin ce jour de Dieu. C’est à chacun de faire ce qu’il peut afin de hâter la venue du jour de Dieu par des actes conformes à la volonté du Père. Nous n’échapperons pas à la nécessité de vivre en conformité avec notre foi ; nous n’échapperons pas à l’urgence de développer un art de vivre en accord avec notre foi. Il ne peut pas y avoir la vie ordinaire du lundi au samedi, et la vie de foi réservée au dimanche. Le croyant au Christ est un être unifié tout au long des jours, ou il n’est pas. A tout le moins doit-il essayer d’unifier sa vie. 
 
J’aime bien finalement cet Evangile parce qu’il m’oblige à me mettre en mouvement ; il m’oblige à bouger pour la cause de Jésus et la cause des hommes. Grâce à cet Evangile, je ne peux plus considérer ma vie de foi comme quelque chose de mou, comme une vie passée à attendre que le temps s’écoule et que Jésus enfin vienne. A chacun donc de s’observer, de découvrir le talent que Dieu lui a confié et de se mettre en devoir de le faire fructifier. Il est temps de chasser la peur de notre vie ; il est temps de prendre des risques. Amen.
 
(Dessin de Jean-François KIEFFER, Mille images d'Evangile, éd. Presses d'Ile de France)

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