Suffit-il
que quelqu’un, fût-ce Jésus, dise quelque chose pour qu’aussitôt nous y
accordions du crédit ? Suffit-il que quelqu’un, fût-ce Jésus, dise des
paroles profondes pour qu’aussitôt nous changions notre manière de vivre, notre
manière d’être ? Si tel était le cas, nous serions tous des piliers d’Evangile,
solidement enracinés en Jésus. Si tel était le cas, ce serait le paradis sur
terre. Puisque tel n’est pas le cas, apprenons des Apôtres à demeurer dans l’amour.
Le
discours de Jésus à ses Apôtres, au soir de sa mort, est limpide : il leur
demande de demeurer dans son amour, et
d’aimer vraiment, à leur tour, comme ils sont aimés de lui. Remarquez bien qu’il
dit ceci à quelques heures de son procès et de sa mort. Cet appel à l’amour
peut donc aussi s’entendre comme un appel à ne pas chercher à le venger, à ne
pas détester les adversaires de Jésus. Si tel était le cas, comment ses disciples
pourraient-ils accomplir leur mission et témoigner de lui, après sa
résurrection, devant ceux-là même qui l’ont mis à mort ? C’est bien cet
amour que Jésus leur porte qui va leur donner la force d’affronter leurs
opposants et d’annoncer clairement la Bonne Nouvelle de Jésus ressuscité.
Remarquons
aussi le verbe que Jésus emploie pour parler de l’amour. Il invite ses
disciples à demeurer dans son amour.
En français, nous pouvons le rapprocher du verbe « habiter ». Ce passage
d’évangile nous renvoie alors immanquablement au prologue de l’évangile de Jean :
le Verbe s’est fait chair et il a habité
parmi nous. De même qu’avec l’incarnation, Dieu a planté sa tente au milieu
de son peuple pour demeurer avec lui, de même avec la rédemption, l’homme est
invité à demeurer en Dieu et en son amour. L’homme et Dieu sont partenaires d’une
alliance scellée dans l’amour du Fils unique. L’homme n’est plus le serviteur
de Dieu, et devient son ami : je ne
vous appelle plus serviteurs, car le serviteur ne sait pas ce que fait son
maître ; je vous appelle mes amis, car tout ce que j’ai entendu de mon
Père, je vous l’ai fait connaître. En accueillant l’amour du Christ, en
vivant de cet amour, nous vivons dans l’intimité du Père, connaissant les
projets de son amour.
Dans
la jeune communauté croyante, cela se traduit de manière très concrète. Nous avons
entendu, en première lecture, la rencontre de Pierre et du Centurion Corneille,
et comment Pierre reconnaît que l'Esprit Saint précède l’œuvre de prédication
évangélique. Et Pierre va donner le baptême à Corneille et à toute sa
maisonnée. L’acte qu’il pose est révolutionnaire ! Corneille est non
seulement païen, mais encore ennemi : il est officier dans l’armée d’occupation !
Comment croire que lui aussi est appelé au salut ? Même pour Pierre cela n’a
pas été évident. Il suffit de lire dans les Actes le passage qui précède celui
que nous avons entendu. Il nous montre le combat que l’Apôtre mène avec
lui-même dans la vision qui se présente à lui. Pendant
qu’on lui préparait à manger, [Pierre] tomba en extase. Il contemplait le ciel
ouvert et un objet qui descendait : on aurait dit une grande toile tenue
aux quatre coins, et qui se posait sur la terre. Il y avait dedans tous les
quadrupèdes, tous les reptiles de la terre et tous les oiseaux du ciel. Et une
voix s’adressa à lui : « Debout, Pierre, offre-les en sacrifice, et
mange ! » Pierre dit : « Certainement pas, Seigneur !
Je n’ai jamais pris d’aliment interdit et impur ! » À nouveau, pour
la deuxième fois, la voix s’adressa à lui : « Ce que Dieu a déclaré
pur, toi, ne le déclare pas interdit. » Cette vision a préparé Pierre à poser cette affirmation :
En vérité, je le comprends, Dieu est
impartial : il accueille, quelle que soit la nation, celui qui le craint
et dont les œuvres sont justes. Quand nous reconnaissons l’amour de Dieu qui
demeure chez quelqu’un, l’ennemi devient ami, le païen devient croyant. Voilà ce
que fait l’amour de Dieu !
L’Apôtre
Jean va encore plus loin, en affirmant dans sa première lettre que l’amour est
le signe que l’homme connaît Dieu et qu’il est à Dieu : Celui qui aime est né de Dieu et connaît Dieu. Celui qui n’aime pas n’a
pas connu Dieu, car Dieu est amour. Nous ne couperons donc pas à la
nécessité d’aimer si nous nous disons disciples du Christ. C’est un caractère
de reconnaissance et de cohérence. L’Apôtre affirme ceci, plus loin dans le
même chapitre de cette épître : Si
quelqu’un dit : « J’aime Dieu », alors qu’il a de la haine
contre son frère, c’est un menteur. En effet, celui qui n’aime pas son frère,
qu’il voit, est incapable d’aimer Dieu, qu’il ne voit pas. Et voici le
commandement que nous tenons de lui : celui qui aime Dieu, qu’il aime
aussi son frère. Il n’y a donc pas deux manières d’aimer : ou tu
aimes, et tu aimes tout le monde (Dieu et les hommes), ou tu n’aimes personne !
C’est radical, mais efficace !
Avec l’Apôtre
Jean, nous découvrons la radicalité de l’amour et nous apprenons à demeurer
dans cet amour, à nous laisser habiter par lui. Avec l’Apôtre Pierre, nous
comprenons ce que cela signifie dans un cas très concret. En rentrant chez
vous, je vous invite à reprendre la lecture des Actes des Apôtres avec cette
clé que nous livre la liturgie de ce dimanche : avec les Apôtres, vous apprendrez
à demeurer dans l’amour et vous verrez votre vie changer en mieux. N’est-ce pas
le but de toute prédication ? N’est-ce pas le désir de tout croyant ?
Amen.
(Dessin de Jean-François KIEFFER, in Mille images d'évangile, éd. Les presses d'Ile de France)
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