C’est
une donnée commune à tous nos groupes sociaux : quand un groupe veut s’inscrire
dans la durée, il doit s’organiser. La jeune communauté croyante n’échappe pas
à cette règle. Très tôt, le livre des Actes des Apôtres s’en fait le témoin
aujourd’hui, elle s’organise et fixe les règles du jeu communautaire. Aujourd’hui,
nous avons entendu comment les Onze ont entrepris de redevenir Douze, selon le
projet initial de Jésus lui-même. Des Apôtres, nous pouvons apprendre à
organiser l'Eglise.
C’est
Pierre qui entreprend d’aborder la question : Frères, il fallait que l’Ecriture s’accomplisse. En effet, par la
bouche de David, l'Esprit Saint avait d’avance parlé de Judas, qui en est venu
à servir de guide aux gens qui ont arrêté Jésus : ce Judas était l’un de
nous et avait reçu sa part de notre ministère. Il est écrit au livre des Psaumes :
« Qu’un autre prenne sa charge ». Remarquez la délicatesse de
Pierre. On ne sent nulle condamnation, nulle charge de procureur contre Judas.
Si tel était le cas, les Apôtres auraient simplement pu ne pas le remplacer,
considérant cette place comme maudite. Au contraire, il inscrit Judas dans le
plan de Dieu : il fallait que l’Ecriture
s’accomplisse. Peut-être aussi une manière de dire que cela aurait pu être
un autre que Judas ! Peut-être Pierre se souvient-il même qu’il a lui-même
renié Jésus ! Ce n’est guère plus glorieux ! Pierre manifeste aussi
qu’il y a une différence entre une charge (celle d’Apôtre) et la personne qui
remplit la charge. La charge est immuable : il faut quelqu’un pour la
remplir. La personne peut changer. Et voici la communauté en recherche de celui
qui pourra remplir la charge d’Apôtre à la place de Judas qui, par sa trahison
et surtout son suicide, a manifesté qu’il n’en voulait plus.
Remarquez
ensuite la procédure : on en
présenta deux qui répondaient aux critères fixés par Pierre, à savoir des hommes qui nous ont accompagnés durant
tout le temps où le Seigneur Jésus a vécu parmi nous, depuis le commencement,
lors du baptême donné par Jean, jusqu’au jour où il fut enlevé d’auprès de
nous. En clair, quelqu’un qui a connu Jésus et qui l’a suivi depuis le
début. Quelqu’un qui a tout lâché, comme les Onze autres, pour apprendre de Jésus,
pour connaître Jésus, pour aimer Jésus. C’est indispensable puisque la mission
de celui qui sera choisi ne sera pas tant de gouverner ou régenter les autres,
mais être, avec les Onze, témoin de la
résurrection de Jésus. Voilà définit clairement ce qu’est un Apôtre et son
lien étroit avec Jésus, le Christ. Hors de ce rapport au Christ, il n’y a pas d’apôtre.
Hors de ce souci permanent d’être un témoin de la résurrection, il n’y a pas d’apôtre.
Et c’est la communauté tout entière qui suscite ce témoin, qui le cherche et
donc le reconnaît.
La
suite est tout aussi surprenante : il n’y a pas de campagne électorale,
pas de débat contradictoire entre les deux, pas de programme pastoral à
présenter. Il y a la remise entre les mains de Dieu du choix ultime. On fit cette prière : « Toi, Seigneur,
qui connais tous les cœurs, désigne lequel des deux tu as choisi pour qu’il
prenne, dans le ministère apostolique, la place que Judas a désertée en allant
à la place qui est désormais la sienne. On tira au sort entre eux, et le sort
tomba sur Matthias, qui fut donc associé par suffrage aux onze Apôtres. La communauté
se met à l’écoute de ce que Dieu veut. C’est lui, in fine, qui choisit.
Dans
le temps qui est le nôtre, beaucoup réclament des changements dans l’Eglise
parce que l’Eglise ne serait plus dans l’air du temps. Il faudrait la réformer
pour qu’elle plaise à nouveau aux hommes ! Or, les Apôtres nous montrent
qu’elle doit d’abord plaire à Dieu. La mesure des réformes ne peut être l’esprit
des hommes ; ce ne peut être que l'Esprit Saint. C’est lui qu’il faut
invoquer pour nous indiquer les changements nécessaires pour que l’annonce de
la résurrection de Jésus soit communiquée au plus grand nombre. Dans le
réaménagement pastoral effectué dans notre diocèse, était-ce bien la mesure qui
a servi à nos redécoupages ? Avons-nous tenté, ou tentons-nous
encore, de plaire aux hommes ou sommes-nous bien à l’écoute de l'Esprit Saint qui
nous souffle les changements nécessaires pour que toujours il y ait des témoins
de la résurrection ? Si notre seul désir est de répartir les prêtres qui
plaisent, quitte à les surcharger de missions, il y a fort à parier que très
vite, il faudra reprendre les choses. Si notre seul désir est de remplacer les
prêtres par des laïcs parce que l’Eglise, avec raison, ne se comprend pas comme
une caste sacerdotale mais comme un peuple, il y a fort à parier que nous irons
droit dans le mur. On ne ferait que remplacer un cléricalisme sacerdotal par un
cléricalisme « laïcal » : on en voit ça et là, depuis un moment,
les limites et les travers.
En
ce temps qui nous sépare de la Pentecôte, osons demander au Christ d’envoyer toujours
son Esprit Saint afin qu’il éclaire ceux qui ont à décider de l’avenir de l’Eglise.
Qu’il suscite aussi au milieu de nous les témoins nécessaires de la résurrection,
prêts à engager leur vie au service de tous. Amen.
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