Marthe & Marie, ou
comment choisir entre le yoga chrétien et l’action catholique. Voilà bien
présentée, me semble-t-il, la problématique que soulève la liturgie de ce jour.
C’est d’ailleurs un grand poncif de la catéchèse et de la prédication. On ne
prie jamais assez ; on n’agit jamais assez. Alors quand les deux choses
que sont la contemplation et l’action sont mises face à face, que
choisir ?
En lisant l’évangile de
ce jour trop rapidement, on pourrait en conclure, trop rapidement aussi, qu’il
vaut mieux privilégier la contemplation. Rester là, calme, ne rien faire
d’autre que d’essayer d’entrer en contact avec Dieu. C’est bien ce qui semble ressortir
de la réponse de Jésus à Marthe qui jalouse sa sœur Marie : Marthe,
Marthe, tu te donnes du souci et tu t’agites pour bien des choses. Une seule
est nécessaire. Marie a choisi la meilleure part, elle ne lui sera pas enlevée.
Faudrait-il donc suivre cette voie ? Les moines et les moniales auraient-ils
alors fait le seul choix acceptable aux yeux du Christ ? Les religieuses
cloîtrées vaudraient plus que les religieuses apostoliques ? Pire, dans ce
Carmel, les sœurs du chœur auraient-elles plus d’importance que la tourière ?
En nous interrogeant
ainsi, nous sentons bien que nous faisons fausse route. Il faut certes lire
chaque page d’évangile pour elle-même, mais sans la couper, sans l’isoler du
reste. Avant d’opposer ces deux sœurs, regardons l’Evangile dans son ensemble
et soyons attentifs à la manière d’agir de Jésus lui-même. Que
constatons-nous ? Que Jésus est un grand actif : il parcourt le pays,
enseigne les foules, pose des signes forts, guérit des malades nombreux. Mais… Jésus
est aussi un grand priant : combien de fois ces disciples l’ont-ils trouvé
au petit matin, en prière, à l’écart. La prière de Jésus devient ainsi comme le
moteur même de son action ; et son action, comme la révélation au monde de
sa grande proximité, sa grande intimité avec Dieu.
Le livre de
l’ecclésiaste nous apprend qu’il y a un temps pour tout. De même, il y a un
temps pour prier et un temps pour agir. Les deux ne s’opposent pas ; ils
se complètent. Que vaudrait notre action, même catholique, si elle était
déconnectée de la prière, déconnectée de toute vraie relation au Dieu vivant et
vrai ? Que vaudrait toute activité pastorale si elle ne renvoyait ces
auteurs et ses bénéficiaires à l’unique nécessaire : la fréquentation et
la suivance du Christ ? Ce ne serait que du vent, vaine agitation à peine
capable de brasser un peu d’air ! Que vaudrait notre contemplation si elle
ne nous menait pas aussi au Dieu vivant et vrai par les frères rencontrés et
soutenus, soutenus y compris par notre prière ? A quoi servirait ma prière
si elle ne me tournait pas vers chacun de ceux que le Christ met sur ma
route ? Ce ne serait qu’une sorte de yoga chrétien, tout juste capable de
me dé-stresser, de me faire évader de ce monde quelquefois trop envahissant.
Action et contemplation
sont définitivement à lier, comme nous sommes invités à lier amour de Dieu et
amour du prochain. Il n’y a pas d’action chrétienne qui ne me renvoie et ne
renvoie les autres à Dieu ; il n’y a pas de prière chrétienne sans retour
vers la vie, sans retour vers les frères. Marthe et Marie sont chacune un
aspect de la vie chrétienne. Il faut les tenir ensemble, sans en diminuer
aucune. La preuve nous en est donnée par les ordres contemplatifs : dans
les grandes traditions monastiques, il y autant de temps consacré au travail
qu’à la prière …et au repos. Nous n’aurons jamais fini de choisir entre Marthe
et Marie, parce qu’il n’y a rien à choisir. Nous avons à unifier notre vie à
l’exemple du Christ lui-même ; alors notre prière sera vraiment
efficace ; alors notre action conduira les cœurs à la conversion. Il y
Marthe et Marie en chacun de nous : à nous de savoir quand donner la
priorité à l’une ou à l’autre selon ce que les circonstances exigent. Pour
l’heure qui nous rassemble, assurément, c’est Marie qui doit avoir la première
place ! En doutiez-vous ?
Au début de nos
vacances, il est heureux que ce soit justement cette page d’évangile qui nous
soit proposée. Quel meilleur temps que celui des vacances pour réunifier notre
vie, pour redonner du sens à ce que nous vivons. Ce temps n’est pas simplement
donné aux hommes pour se reposer ; il est aussi un temps favorable pour se
rapprocher de Dieu, pour retrouver ce Dieu que les soucis du monde, du travail
et de la famille ont pu éloigner de nous. Au hasard de nos pérégrinations,
prenons le temps de nous isoler dans telle église, telle chapelle remarquable,
non pas comme un touriste de base qui les traverserait plus vite qu’il ne traverserait
la place du marché, mais comme un croyant qui sait que ce lieu est habité par
quelqu’un qui attend un signe, un geste, une prière, qui lui diront qu’il est
important pour nous comme nous sommes importants pour lui. Que ce temps de
vacances ne soit pas qu’un temps d’agitation supplémentaire ; nous aurions
perdu et notre temps et nos vacances s’il en était ainsi. Que Dieu nous en
préserve donc, lui qui a envoyé son Christ parler à notre cœur et nous entraîner
à sa suite. Amen.
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