Il
est surprenant, ce dimanche du temps ordinaire qui aborde la prière sans jamais
vraiment dire comment faire. Nous aurions sans doute aimé un vrai traité sur la
prière, donné de manière exhaustive, pour que nous sachions enfin comment faire
au quotidien. Un discours du style : premièrement, pour prier, il faut…
deuxièmement, n’oubliez pas de… enfin, troisièmement, songez à… Mais non, rien
de tout cela. A la place d’un discours sur la prière, nous avons l’exemple de
deux priants : Abraham et Jésus.
Il
est surprenant, Abraham, quand Dieu lui confie son projet au sujet des villes
de Sodome et Gomorrhe ! Elles n’ont pas bonne réputation ; la clameur au sujet de Sodome et Gomorrhe
est grande ! Et leur faute, comme elle est lourde ! Même Dieu en
est incommodé au point de décider d’aller voir
si leur conduite correspond à la clameur venue jusqu’à lui. Nous comprenons
bien que cela ne peut plus durer ainsi. Dieu envoie donc ses messagers pendant
qu’il s’entretient avec Abraham à ce sujet. Le Père Markowitz, dominicain, qui
prêchait la retraite à laquelle je participais cette semaine, nous expliquait
la nécessité de cet entretien entre Dieu et Abraham, en nous rappelant que la vocation d’Abraham était d’être une
source de bénédiction pour tous les peuples. Ce sont les termes de l’alliance
fondamentale entre Dieu et Abraham ; si donc Dieu n’entretenait pas
Abraham de son dessein pour Sodome et Gomorrhe, il romprait de lui-même l’alliance qu’il a conclue avec son serviteur.
Ce n’est qu’en l’avertissant de ce qu’il entend faire, qu’Abraham peut exercer
sa vocation. On comprend donc aussi son marchandage avec Dieu. Malgré la rumeur
qui court sur ces deux villes, Abraham entend jouer sa part de
l’alliance : être pour ses villes source de bénédiction, autant que cela
est possible. Ce qui nous vaut cette belle prière d’Abraham qui intercède pour
ces peuples.
Elle
est surprenante, cette prière, qui ressemble davantage à un marchandage ;
mais elle a un but précis. Non pas tant d’abord de détourner Dieu de son
dessein que de préserver Dieu lui-même. Pour Abraham, Dieu ne peut pas agir
comme si la justice n’avait pas d’importance, comme si le juste devait mourir
avec le coupable, comme si le droit pouvait être bafoué par Dieu, sans
conséquence. Abraham n’intervient pas pour les villes, mais pour les justes qui
pourraient s’y trouver, pour ceux qui ne sont pas coupables de cette clameur
qui monte vers Dieu. Quelle image Dieu donnerait-il de lui s’il ne faisait pas
de différence entre le juste et le méchant ? Et Abraham de commencer sa
litanie : Peut-être y a-t-il
cinquante justes dans la ville…Peut-être sur les cinquante en manquera-t-il
cinq… Peut-être s’en trouvera-t-il seulement quarante ?… Peut-être s’en
trouvera-t-il seulement trente ?... Peut-être s’en trouvera-t-il seulement
vingt ?... Peut-être s’en trouvera-t-il seulement dix ? Abraham a
fait preuve de hardiesse ; il s’arrêtera là, à dix. Pour laisser à Dieu un espace, pas beaucoup (10), mais suffisant pour
que Dieu puisse accomplir sa volonté (Père Markowitz). Si Abraham nous
apprend que nous pouvons tout oser dans notre prière, même ce qui semble n’être
qu’un vulgaire marchandage, il nous apprend aussi qu’il faut savoir s’arrêter à
temps par respect pour Dieu, par respect pour sa liberté. Abraham a tout tenté,
il a abaissé considérablement le seuil fatidique ; le reste, c’est entre
Dieu et les habitants de ces cités. S’il avait poursuivi plus bas encore, il
aurait été inconvenant. En prière, tout est question de bonne mesure,
semble-t-il !
Elle
est surprenante, la question que les disciples adressent à Jésus, car enfin,
membres du peuple que Dieu s’est choisi, ils savent prier, ils participent à la
prière de leur peuple, au temple ou à la synagogue. Pourtant, ils veulent
plus ; ils veulent que Jésus leur apprenne à prier comme Jean le Baptiste, lui aussi, l’a appris à ses disciples. La
prière n’est donc pas neutre. Elle identifie celui qui la prononce. Les
disciples de Jean prient de telle manière, les disciples de Jésus prieront
comme Jésus le leur apprendra. Pour être tout à fait clair, si tu pries comme
Jésus l’apprend à ses disciples, tu es donc toi aussi un disciple de
Jésus ! On ne dit pas une prière par hasard ; elle traduit notre foi,
notre espérance, notre appartenance. Et prier comme Jésus l’a appris à ses
disciples, c’est prier le Notre Père. C’est bien là la réponse de Jésus à la
demande de ses disciples : Quand
vous priez, dites : Père, que ton nom soit sanctifié, que ton règne
vienne. Donne-nous le pain dont nous avons besoin pour chaque jour. Pardonne-nous
nos péchés, car nous-mêmes nous pardonnons aussi à tous ceux qui ont des torts
envers nous. Et ne nous laisse pas entrer en tentation. Nous dirons tout à
l’heure la version liturgique de cette prière, qui est le minimum requis pour
se dire chrétien. Il n’y a rien de plus dramatique pour un célébrant que de se
retrouver face à une assemblée qui ne saurait plus dire cette prière qui nous
identifie comme disciples de Jésus. Ce serait le début de la fin de
l’Eglise ! Ce qui compte donc, ce n’est pas tant la méthode que le contenu
de la prière ; notre prière doit s’inscrire dans la prière de Jésus.
Lorsque nous disons le Notre Père, nous nous unissons à la prière du Christ
dans la première partie de la prière, et nous nous conformons à son enseignement
dans la seconde partie. Avec Jésus, nous reconnaissons la sainteté de Dieu et
notre désir de le savoir connu par tous les hommes ; selon l’enseignement
de Jésus, nous demandons ensuite pour nous le pain quotidien, le pardon et la
libération du Mal. En fait, nous pourrions dire que Jésus nous demande de le
demander lui, à Dieu notre Père : Jésus n’est-il pas le pain qui nous
nourrit, la source du pardon offert et celui qui, par sa mort et sa
résurrection, nous délivre du Mal ?
A
l’école d’Abraham et de Jésus, osons nous mettre en prière. Osons nous
présenter devant Dieu, lui confiant nos soucis, nos joies, nos peines, et ceux
et celles de nos frères en humanité. Nos
chants n’ajoutent rien à ce qu’est Dieu, mais ils nous rapprochent de lui, par le Christ, notre Seigneur. C’est par lui que toute prière doit
être présentée devant Dieu ; c’est par lui que nous obtenons toute grâce
de Dieu. Amen.
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