La moisson est
abondante, mais les ouvriers sont peu nombreux. En cette année qui
ne voit aucune ordination sacerdotale dans notre diocèse, cette parole de Jésus
mérite que nous nous y arrêtions un peu, et que nous nous interrogions :
est-ce grave, docteur ? Est-ce grave qu’il y ait ce gouffre entre le
travail à accomplir et le nombre d’ouvriers ? Que faut-il faire pour augmenter
le nombre d’ouvriers ? Les années fastes, qu’a pu connaître notre diocèse,
vont-elles revenir ? Faut-il seulement qu’elles reviennent ?
A
bien lire l’Evangile, on peut dire que ce problème du nombre d’ouvriers est
récurrent, puisqu’il est déjà réalité au commencement, au temps de Jésus. Que
sont 72 hommes envoyés par deux pour évangéliser le monde entier, dont leur
nombre est le symbole ? Qu’est-ce que si peu pour tant de peuples ? Et
pourtant, Jésus lui-même n’augmente pas le nombre de ses troupes, mais donne
une consigne claire : Priez donc le Maître de la moisson d’envoyer
des ouvriers pour sa moisson. La
moisson que les disciples entreprennent n’est pas la leur ; elle est la
moisson de Dieu. C’est à son œuvre qu’ils participent. Et qui pourrait croire
que Dieu ne se donnerait pas les moyens de réussir son œuvre ? Qui
pourrait croire que Dieu se contenterait d’un sous-effectif ? C’est
peut-être que la solution est ailleurs ! La solution doit être dans la
confiance qu’ils mettent en Dieu justement. D’ailleurs regardez de plus près
encore : non seulement ils ne sont pas nombreux à être envoyés, mais en
plus les consignes données pour le voyage ne sont guère encourageantes : Voici que je vous envoie comme des agneaux
au milieu des loups. Ne portez ni bourse, ni sac, ni sandales. Nous comprenons
que la tâche sera ardue, risquée (des
agneaux au milieu des loups), mais encore qu’ils ne peuvent compter sur
rien, sur aucun artifice pour la mission : aucune richesse pour appuyer
leur démarche ; pauvres de tout, ils doivent être riches de Dieu, c’est
tout. A travers eux, c’est bien Dieu que les gens doivent pouvoir rencontrer ;
à travers eux, c’est bien Dieu qui marche sur la route des hommes.
Avec
pour seule arme une confiance absolue en Dieu qui peut tout et juste un autre
disciple pour compagnon, voici donc les disciples envoyés. Leur stratégie :
trouver bon accueil dans une maison, guérir
les malades de la cité et annoncer le
règne de Dieu. Et même s’ils ne sont pas accueillis, quand même annoncer
que le règne de Dieu s’est approché. On
ne sait jamais, il en restera toujours quelque chose.
Luc
ne dit pas combien de temps aura duré cette mission : nous savons juste qu’ils
sont partis et revenu, tout joyeux. La
mission a été un succès, le Mal a été combattu. Mais leur joie ne doit pas
venir de là, mais de la certitude que leurs noms
sont inscrits dans les cieux. Ces noms inscrits ne sont-ils que ceux des
disciples envoyés en mission ? Pour prendre une image plus compréhensible
aujourd’hui, n’y a-t-il que les noms des religieux, religieuses, prêtres, laïcs
engagés en pastorale à être inscrits dans les cieux ? Que deviennent alors
les autres, les vôtres ? Il nous faut écouter Paul dans l’épître aux
Galates pour bien comprendre. Il invite les croyants à se réjouir d’être une création nouvelle. Si tous
les croyants au Christ sont créature nouvelle, alors leurs noms sont
nécessairement inscrits dans les cieux. Et voilà que le chiffre 72 prend un
sens nouveau : s’il représente bien la totalité des peuples connus à l’époque,
nous pouvons affirmer qu’il représente aussi la totalité du peuple de Dieu. La mission
à laquelle Jésus invite ses disciples n’est donc pas réservée à une élite
consacrée ; elle concerne tout le peuple que Dieu se donne. Chaque baptisé
est invité à témoigner de sa foi, à annoncer le règne de Dieu par sa vie, à
oser parler du Christ. Et nous découvrons alors que si chaque chrétien tenait sa
place, les ouvriers ne manqueraient pas, alors que si on limite les ouvriers
envoyés aux seules personnes consacrées, le problème est réel. L’invitation à
la prière de Jésus ne concerne donc pas exclusivement la prière en faveur des
vocations sacerdotales et religieuses, bien que cette prière soit vitale et
nécessaire. Mais cela est aussi la prière adressée à Dieu pour que chaque
baptisé prenne au sérieux sa vocation, pour que chaque baptisé vive selon l’esprit
de son baptême. Le premier témoignage à donner aux hommes est bien le
témoignage d’une vie placée sous le signe de l’Evangile, le témoignage d’une
vie modelée par la parole du Christ vivant et vrai qui invite tous les hommes à
une vraie fraternité.
La
question des vocations sacerdotales et religieuses ne trouvera pas sa solution si
les chrétiens dans leur ensemble ne prennent pas au sérieux leur vocation
baptismale. Les personnes consacrées ne tombent pas du ciel ; cela se saurait.
Elles naissent et grandissent dans des communautés croyantes vivantes,
conscientes de l’importance de la place et du témoignage de chacun. Là seulement
peuvent naître des vocations particulières soutenues par tous les croyants. Ce n’est
que dans des communautés prenant la parole du Christ au sérieux que peuvent
naître des serviteurs de la Parole pour que le peuple ne manque jamais des
pasteurs indispensables. Renouvelons notre prière à Dieu pour qu’il envoie des ouvriers pour sa moisson. Renouvelons
notre prière à Dieu pour qu’il fasse de nous tous des témoins crédibles de sa
vie donnée et offerte à tous. Amen.
(Dessin de Coolus, Blog du lapin bleu)
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