En ces
jours-là, parut un édit de l’empereur Auguste, ordonnant de recenser toute la
terre… Et tous allaient se faire recenser, chacun dans sa ville d’origine. Ainsi est planté
le contexte de la fête qui nous réunit en cette nuit : la vanité d’un homme
voulant connaître le nombre de ses sujets. Joseph,
lui aussi, monta de Galilée, depuis la ville de Nazareth, vers la Judée, jusqu’à
la ville de David appelée Bethléem… Il venait se faire recenser avec Marie, qui
lui avait été accordée en mariage et qui était enceinte. Quand on sait l’état
des routes, les dangers des voyages, et l’absence de transport confortable, c’est
une folie que de jeter sur la route une femme enceinte. Marie et Joseph se
plient à la volonté d’un homme comme ils se sont pliés, quelques mois plus tôt
à la volonté de Dieu. Ils font ce que l’on attend d’eux. Et Dieu se fait ainsi
migrant !
Or pendant
qu’ils étaient là, le temps où elle devait enfanter fut accompli. Elle mit au
monde son fils premier-né ; elle l’emmaillota et le coucha dans une
mangeoire, car il n’y avait pas de place pour eux dans la salle commune. On aurait pu s’attendre
à quelque chose de plus glorieux pour la naissance du Fils de Dieu. Nous n’aurons
rien de plus que la vanité d’un homme, la difficulté à trouver un peu de place,
et une mangeoire. Quel palais pour le Fils du Très-Haut ! Celui qui doit
sauver le monde, Jésus, naît pauvre parmi les pauvres. Et les premiers
visiteurs ne sont que des bergers, le bas du bas de l’humanité, rameutés par un
ange du Seigneur. Et pourtant, quelle fête !
A relire l’évangile de Luc, il ne semble
pas que le contexte soit un obstacle à la joie de la naissance. Même le ciel
est en fête : Et soudain, il y eut
avec l’ange une troupe céleste innombrable qui louait Dieu en disant :
Gloire à Dieu au plus haut des cieux, et paix sur la terre aux hommes, qu’il
aime. Dieu lui-même se réjouit de cette naissance et c’est bien assez. Les
hommes auront tout le temps de se réjouir quand cet enfant, devenu grand,
accomplira le salut promis. En Jésus, Dieu se fait migrant, quittant le trône
de sa gloire pour partager notre humanité la plus simple. Il ne quitte pas la
gloire du ciel pour la gloire d’un palais, mais pour la vie la plus ordinaire
qui soit, avec son lot de joies et de peines. Une humanité pleinement assumée. C’est
peut-être cela qui fera dire à saint Irénée que la gloire de Dieu, c’est l’homme vivant. Voilà fixé l’horizon de la
mission de cet enfant : prendre sur lui tout ce qui fait une vie d’homme,
pas seulement les bons côtés, pas seulement la vie d’une minorité (celle qui
vit dans les palais), mais la vie de tous les hommes (y compris ceux qui sont
jetés sur les routes, ceux qui sont déconsidérés, ceux qui sont pauvres) pour les
mener au salut.
Quand Dieu se fait migrant, marchant sur
nos routes humaines, c’est donc pour que Dieu et les hommes puissent se
rencontrer. Il n’est pas comme les dieux de l’Olympe qui se contentent de
regarder les hommes pour s’en amuser ; non, il est Dieu de l’Alliance, Dieu
qui veut faire de l’homme un partenaire, un égal. Dieu ne va pas sans l’homme,
pas plus que l’homme ne peut aller sans Dieu. Pour reprendre la citation
intégrale de saint Irénée : la
gloire de Dieu, c’est l’homme vivant ; la vie de l’homme, c’est la vision
de Dieu. L’homme ne vit pleinement que lorsqu’il voit Dieu, lorsqu’il prend
en compte ce partenaire d’Alliance. En Jésus, Dieu et l’homme sont à jamais
liés. La joie que connaît le ciel en cette nuit, la joie de Marie et de Joseph
d’accueillir leur enfant, la joie des bergers devant la vision de cet enfant,
doit devenir la joie de tous les hommes. Cette joie doit être notre joie
aujourd’hui, parce que nous ne vivons pas dans le souvenir d’un événement
passé, mais parce que aujourd’hui, en cette fête de Noël, Dieu vient à notre
rencontre, Dieu vient assumer notre humanité, totalement, pour nous permettre
de vivre parfaitement quand nous le contemplons, quand nous le servons. Et nous
pouvons le contempler, et nous pouvons le servir à travers chaque homme, chaque
femme, chaque enfant qui croisent notre route. Quand Dieu se fait migrant, les
hommes deviennent responsables les uns des autres. En effet, en chaque humain
que je rencontre, je suis invité à voir et à servir Dieu lui-même. Jésus nous
le rappelle lorsqu’il nous dit : ce
que vous avez fait à l’un de ces petits qui sont mes frères, c’est à moi que
vous l’avez fait !
En cette nuit, Dieu se fait migrant pour
nous offrir la vie, pour nous offrir la paix. C’est bien ce que proclame le
chant des anges. Cette paix devient possible parce que Dieu et l’homme se
rencontrent et se reconnaissent. La paix n’est jamais le fruit d’un chacun chez
soi ; elle est le fruit d’une rencontre et d’une reconnaissance mutuelle. En
cette nuit où le Tout-Autre vient nous rencontrer, apprenons de lui à
construire cette paix proclamée par les anges. Puisque Dieu se fait migrant
pour nous offrir sa vie et sa paix, acceptons de sortir de nous-mêmes, allons à
la rencontre des autres et le miracle de Noël (vie et paix pour tous) deviendra
réalité. Amen.
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