Chaque année, nous avons droit à ce
passage de l’Evangile où Jésus interroge ses disciples sur sa propre
personne : Et vous, que
dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? Un sondage d’opinion en quelque
sorte, à moins que ce ne soit une manière d’évaluer les Apôtres :
comprennent-ils bien tout ce que je dis, tout ce que je fais ? Si
Matthieu, Marc et Luc ont en commun ce passage de la vie de Jésus, Matthieu est
le seul, par contre, à introduire la figure du Fils de l’homme. Vous pouvez
vérifier chez Marc et Luc, la question posée aux disciples au sujet des dires
de la foule n’est pas : Au dire des
gens qui est le Fils de l’homme ? mais bien : Qui suis-je au dire des gens ? (Mc 8,27). Beaucoup de spécialistes
s’accordent à dire que c’est la même chose, dit autrement. Mais, dans une
lecture spirituelle, partons du principe que ce n’est pas, pour Jésus, à ce
moment-là, une manière de parler de lui.
Qui est ce Fils d’homme ? Dans la
tradition du Premier Testament, l’expression fils d’homme apparaît très souvent
comme un synonyme d’homme. Elle désigne un membre de l’espèce humaine, avec
tout ce que cela suppose de fragilité, de petitesse, de condition pécheresse. L’expression
fils d’homme permet de souligner la grandeur de Dieu et sa bonté envers
l’homme, puisqu’on peut s’étonner qu’un être aussi faible ait été placé au
sommet de toute la création. Souvenons-nous du psaume 8, 5 : qu’est-ce que l’homme pour que tu penses à
lui, le fils d’un homme, que tu en prennes souci ? C’est le livre de
Daniel qui va donner à l’expression un sens nouveau en présentant le Fils
d’homme comme celui à qui sera remis la royauté sur tous les peuples.
L’expression souligne alors plutôt son rapport avec le monde de Dieu et accentue
sa transcendance.
Dans l’option que j’ai retenu au départ,
Jésus interrogerait donc ses disciples sur cette figure apocalyptique. Qui est
le Fils d’homme (ou Fils de l’homme) pour les gens ? Les diverses réponses
apportées par les disciples me confortent dans a lecture : Jean-Baptiste, Elie, Jérémie ou un des
prophètes ! Mais ce n’est pas Jésus, au dire des gens ! La foule
n’identifie pas encore Jésus avec ce Fils de l’homme ! D’où la question
plus précise posée aux seuls disciples : Et vous, que dites-vous ? Pour vous, qui suis-je ? Autrement
dit, est-ce que pour vous au moins c’est clair que je suis le Fils de
l’homme ? La réponse de Pierre n’en prend que plus de relief : Tu es le Christ, le Fils du Dieu
vivant ! Non seulement Pierre reconnaît que Jésus vient de Dieu, mais
il le proclame comme son Fils, reprenant ainsi ce que Dieu lui-même dira de
Jésus au moment de la transfiguration, qui a ce moment-là n’avait pas encore
eut lieu dans l’évangile de Matthieu. Nous comprenons donc pour quoi Jésus affirme
à Pierre : ce n’est pas la chair et
le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux. Comprendre
en profondeur qui est Jésus n’est pas le résultat d’une enquête minutieuse, ni
un montage intellectuel : c’est une grâce reçue de Dieu lui-même. C’est
une révélation !
Ceci devrait nous rassurer nous, les plus
anciens, qui nous lamentons souvent sur la jeunesse qui ne reconnaît plus ce
que nous lui avons enseigné au sujet de Jésus. Nous aurons beau parler de
Jésus, nous aurons beau construire des catéchèses extraordinaires, si nos
auditeurs ne sont pas ouverts à la rencontre avec Dieu, ils ne pourront pas
reconnaître en Jésus celui que Dieu envoie pour sauver le monde. Même Pierre
qui suit Jésus et vit avec lui tous les jours n’aurait pu reconnaître en Jésus le Christ, le Fils du Dieu vivant, si
Dieu ne le lui avait pas révélé. Cela rendra humble les catéchistes, les
prêtres et tous ceux qui essaient avec patience de présenter le Christ. Cela
nous rappelle aussi que doit être premier la mise en lien avec Dieu. Nous
devons permettre à ceux à qui nous nous adressons de faire l’expérience de
Dieu. Cela passe par l’approfondissement de notre vie intérieure et de notre
vie de prière. Avant de nous entendre parler de Dieu et de Jésus, il faudrait que
les hommes et les femmes de notre temps nous voient prier Dieu et agir en son
nom. Il faut que nos contemporains nous voient vivre de Dieu et qu’ils
constatent que cela nous rend profondément heureux. N’est-ce pas, la messe du
dimanche, ce n’est pas une obligation de plus, mais le rendez-vous joyeux ave
celui qui nous appelle à la vie ! Venir en aide à celui qui a besoin de
nous, ce n’est pas une manière de nous débarrasser de lui, ni une contrainte
morale voire humanitaire, mais bien l’expression de notre attachement à Dieu
qui vient croiser la route des hommes pour les soulager de leur misère.
Aujourd’hui nous est renvoyée la question
de savoir ce que nous avons appris de Jésus, ce que nous avons compris de Jésus
et de sa mission, et surtout la question de comment nous témoignons de lui,
comment nous vivons de lui. Est-il bien pour nous, chrétiens, le Christ, le Fils du Dieu vivant, celui
qui vient pour notre vie et notre joie ? Les hommes et les femmes
attendent des témoins authentiques pour qu’ils puissent croire à leur tour. Les
hommes et les femmes attendent des croyants qu’ils vivent de ce Dieu pour qu’à
leur tour ils découvrent la joie de croire et de vivre par Jésus. Et vous, que dites-vous ? Pour vous,
qui suis-je ? De notre réponse dépend l’avenir de nos contemporains et
l’avenir de l’Eglise qui est en France. Amen.
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