Depuis
le dimanche des Rameaux, les célébrations festives se succèdent, mais en
comprenons-nous toujours le sens et surtout l’articulation ? Je n’en suis
pas sûr et j’en veux pour preuve l’un des noms donnés à cette fête, nom auquel
je voudrais d’emblée tordre le cou parce qu’il me semble impropre à cette fête :
c’est le nom de Fête Dieu. Pour moi, cette
appellation a huit jours de retard, puisqu’elle s’applique davantage à la fête
de la Trinité lors de laquelle nous célébrons le mystère du Dieu unique et
Trine. La fête qui nous rassemble ce matin est d’abord une fête eucharistique,
c’est même la fête eucharistique par excellence. C’est en tous les cas
ce que nous pouvons retenir de la tradition de cette fête.
Sans doute le saviez-vous, mais il
est bon de nous le rappeler : la fête du Corps et du Sang du Christ est
célébrée pour la première fois en 1247, à Liège, grâce à une religieuse,
Julienne du Mont-Cornillon. En 1208, elle a bénéficié d’une vision, dans
laquelle le Seigneur lui-même lui fit comprendre la lacune d’une fête annuelle
pour honorer le Sacrement de l’autel[1]. Il faut donc bien
distinguer cette fête de la célébration du Jeudi Saint qui nous fait commémorer
le dernier repas de Jésus avec ses disciples. Même si cette année, nous
entendons le récit de l’institution de l’eucharistie selon Marc, le sens de
notre célébration de ce dimanche n’est pas tant de rappeler cette institution,
mais plutôt la permanence de la présence du Christ dans le Pain et le Vin
consacrés et partagés. Contrairement au Jeudi Saint, nous ne revenons pas aux
derniers jours de la vie terrestre de Jésus et à ce que Jésus a fait et dit à
ses disciples à ce moment-là. La fête de ce jour nous emmène bien plus
loin ; le moment de sa célébration nous le prouve. Cette fête du Corps et
du Sang du Christ est, en effet, justement placée dans le temps ordinaire, le
temps de l’Eglise. Sortant des fêtes pascales qui nous ont fait célébrer plus
solennellement le Christ, mort et ressuscité pour notre vie, ainsi que le don
de l’Esprit Saint au jour de la Pentecôte, nous avons logiquement repris le
temps ordinaire avec la fête de la Trinité –
proclamation de l’unicité de Dieu que nous confessons Père, Fils et
Esprit Saint – et nous le poursuivons avec cette fête du Sacrement du Corps et
du Sang du Christ. Cette fête nous rappelle que, dans l’ordinaire de notre vie,
Dieu ne nous laisse pas seul ; il est éternellement et réellement présent
à notre vie, dans ce qu’elle a de plus simple, de plus répétitif, de plus
difficile quelquefois aussi. Dieu est présent à notre vie, et il nous nourrit
de sa Parole (c’est le sens de la première lecture : Toutes ces paroles que le Seigneur nous a dites, nous les mettrons en
pratique) et il nous nourrit du Corps et du Sang du Christ. Il nous donne
tout pour que nous soyons forts afin que notre foi ne défaille pas face aux
difficultés de la vie. Avec le pape François (Homélie de la fête en 2015), nous
pouvons comprendre que l’Eucharistie
n’est pas la récompense des bons, mais la force des faibles, des pécheurs, le
pardon, le viatique qui nous aide à marcher, à avancer. Comment ne pas
prendre une journée pour rendre grâce à Dieu pour sa présence à notre
vie ? Comment ne pas adorer un Dieu dont le désir de salut pour nous est
permanent et quotidien ?
S’il est vrai que Dieu nous aime
tellement qu’il ne se passe pas un jour sans que nous puissions ressentir sa
présence et son amour, s’il est vrai que, dans le Pain et le Vin consacrés
devenus Corps et Sang du Christ, Dieu nous donne la force pour avancer,
qu’est-ce que cela suppose pour les croyants que nous sommes ? Cela
suppose d’abord que nous pouvons et nous devons y revenir souvent.
L’Eucharistie est notre force dans l’épreuve, notre soutien dans la tentation,
notre victoire dans l’adversité. Il ne saurait y avoir de vie authentiquement
chrétienne sans vie eucharistique. Célébrer l’eucharistie, ce n’est pas
accomplir un rite extérieur, mais bien faire de toute notre vie une vie
eucharistique, c’est-à-dire une vie sous le regard de Dieu, une vie dans la
force de Dieu, une vie qui porte le Christ, une vie offerte comme nous est
offerte la vie Christ. Cela suppose donc aussi que nous devons porter et
proposer le Christ à tous les hommes, et particulièrement à ceux qui souffrent,
à ceux qui sont blessés par la vie, à ceux qui désespèrent d’un avenir. Nous ne
pouvons pas garder jalousement pour nous, enfermé à double tour dans nos
tabernacles, un tel trésor, une telle force de vie, un tel réconfort. Nous
comprenons alors mieux le sens des processions qui se sont développées autour
de cette fête et qui connaissent un renouveau dans de nombreuses paroisses. Ce
jour, encore moins que les autres jours, nous ne pouvons nous réserver à
nous-mêmes le bonheur d’être proches du Christ, le bonheur de l’accueillir dans
notre vie par notre communion à son Corps et à son Sang. Au contraire, nous le
montrons solennellement pour qu’à sa vue, le cœur des hommes puisse être
touché, transformé, converti. Si nous n’y croyons plus, comment y croiraient-ils ?
Cela suppose enfin que nous devons avoir conscience d’être, nous aussi, le
sacrement de sa présence réelle, et que notre manière de vivre du Christ dit
quelque chose de ce Christ auquel nous croyons. Si notre foi ne se traduit pas
dans un art de vivre à l’image du Christ, comment les hommes qui nous voient
vivre pourront-ils croire au Christ qu’ils ne voient pas ? Que le Christ
auquel nous communions nous accorde la grâce de n’être jamais un obstacle à la
révélation de sa présence au monde !
Si nous croyons que le sacrement de
l’Eucharistie nous rend forts de la présence du Christ, croyons pareillement
qu’il rendra le monde fort de sa présence. Nous n’avons pas d’exclusivité sur
le Christ ; il a offert sa vie pour tous les hommes. Offrons-leur toujours
cette vie donnée du Christ à travers nos vies données à Dieu par la foi qui est
la nôtre ; offrons-leur la vie donnée du Christ à travers nos vies données
aux hommes par la charité qui doit être nôtre. Ainsi nous deviendrons vraiment
ce que nous recevons en chaque eucharistie : le Corps vivant du Christ.
Amen.
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