Attention, danger ! C’est l’avertissement
que nous devons nous adresser après avoir entendu les textes de ce dimanche. En
quoi consiste le danger ? Celui de confondre morale et spiritualité. Ce serait
si facile aujourd’hui ! Pourtant, Jésus ne vient pas donner de leçon de
morale, mais proposer un chemin de vie spirituelle, un chemin qui mène à Dieu. Et
ce chemin, le pape François ne cesse de nous le rappeler depuis son élection,
passe par l’abandon de toute mondanité. Dieu n’a que faire de nos règles de
politesse, de savoir-vivre, de notre art de respecter des règles fixées par des
hommes… ce qu’il veut, ce sont des cœurs acquis à son amour. C’est tout le but,
me semble-t-il de son enseignement.
Certes, cet enseignement repose sur
une observation faite à l’occasion d’un repas auquel il avait été invité. Comme
le souligne bien Luc, Jésus dit une parabole aux invités lorsqu’il remarqua
comment ils choisissaient les premières places. Il observe quelque chose,
il en tire une leçon : il nous fait donc la morale, me direz-vous ! C’est
justement là l’erreur. Avant de vouloir refaire nos règles de vie en société,
ce que Jésus veut, c’est que nous ne nous trompions pas sur ce qui est
important. N’avez-vous pas remarqué comment ce qu’il dit des relations entre
les hommes peut influencer nos relations avec Dieu ? Si, dans nos rapports
avec les autres, nous ne nous situons que dans un rapport presque marchand (je
t’invite, tu m’invites), ne risquons-nous pas d’étendre ce type de rapport à
notre relation avec Dieu, et, pire encore, croire que Dieu entretient ce genre
de relation avec nous ? Nous serions donc les éternels obligés de Dieu,
lui qui fait tant pour nous ! Comment pourrions-nous lui rendre ce qu’il
nous donne ? Cela pourrait nous décourager et nous entraîner à laisser
tomber tout rapport avec lui. D’autres pourraient être tenté par cette autre
attitude, tout aussi désastreuse spirituellement, qui consiste à croire que Dieu
nous doit des choses en échanges de nos prières, de nos actes de charité, de
nos engagements en paroisse. Je chante à la chorale tous les dimanches, je suis
depuis des années au Conseil de Fabrique, je suis membre de l’EAP ou que
sais-je encore : j’ai donc une sorte de priorité, Dieu me doit une attention
plus particulière que celle qu’il accorde à tous ceux qui ne font rien dans la
paroisse. Jésus nous dit clairement que cela ne marche pas comme cela ;
cela ne devrait même pas marcher ainsi dans nos rapports humains. Je ne suis
pas gentil avec quelqu’un pour qu’il le soit avec moi ; je n’invite pas
quelqu’un pour qu’il m’invite en retour, et ainsi de suite.
De cet enseignement de Jésus,
enseignement qui concerne notre progrès spirituel, je dégage alors deux choses.
La première, c’est qu’il est urgent de cesser de croire que nous pouvons faire
quelque chose pour Dieu en retour de l’amour qu’il nous porte. Dieu est parfait en lui-même ; Dieu est
bon en lui-même. Comment croire que nos imperfections pourraient apporter
quelque chose à Dieu ? C’est toujours Dieu qui fait quelque chose pour nous,
et il le fait par grâce, parce qu’il nous aime. Et ce qu’il fait, a d’autant
plus de valeur, que nous ne pourrons jamais lui rendre la pareille. Dieu n’est
pas avec nous dans un rapport marchand, mais dans un rapport de gratuité, dans
un rapport d’amour. Il n’a pas besoin d’autre raison que l’amour qu’il nous
porte pour agir envers nous. Il n’attend de nous rien d’autre que de nous
laisser aimer de lui, parfaitement. La deuxième chose à retenir alors, c’est
que Dieu ne nous doit rien. Nous n’avons pas à exiger de lui qu’il fasse
quelque chose pour nous en échange d’un engagement plus poussé dans son Eglise
par exemple. Nous ne sommes pas, et nous ne serons jamais, les propriétaires de
Dieu. Dieu ne sera jamais celui qui doit s’exécuter dès que nous le prions ;
il n’est pas un caniche qui accourt dès que nous sifflons ! Encore une
fois, pour que cela soit bien clair, il n’y a pas de donnant-donnant avec Dieu.
Il y a l’amour de Dieu pour nous, amour qu’il nous faut accueillir, un point c’est
tout. Un amour sous condition n’est pas un amour ! Nous ne devons pas
aimer Dieu parce qu’il nous aime ; mais nous devons consentir à l’amour de
Dieu pour nous et le laisser transformer nos vies, transformer nos relations
humaines. Nous n’avons pas à chercher à être le préféré de Dieu ; nous le
sommes dès lors que nous reconnaissons que Dieu est Dieu, qu’il peut tout pour
nous, et que nous ne pouvons rien pour lui. C’est cela être humble devant Dieu :
reconnaître la grandeur de Dieu, reconnaître que sans lui nous ne sommes rien,
et lui en rendre grâce. La bonté de Dieu envers nous, c’est de nous sauver, non
parce que nous l’aurions mérité, mais parce qu’il nous aime.
Puisque la leçon de Jésus est une
leçon spirituelle, elle peut nous aider à grandir aussi dans nos rapports
humains. Imaginez un monde où tout ce que nous ferions, nous ne le ferions que
par amour, et non parce que des règles édictées par on ne sait qui, on ne sait
plus quand, nous y obligeraient ? Il n’y aurait pas besoin de jouer des
coudes pour gagner les premières places ; il n’y aurait pas à rendre les
politesses qu’on nous fait ; il y aurait juste à aimer, comme Dieu nous
aime, sans rien attendre en retour. Cela peut sembler un rêve, mais cela peut
devenir réalité, parce que c’est la réalité du Royaume où Dieu nous invite. C’est
la réalité du Royaume que nous pouvons construire dès ici-bas. Il nous faut
consentir à aimer ; il nous faut consentir à être aimé pour y parvenir. Dieu
échange nos mondanités contre son amour pour que nous ne confondions jamais
plus nos règles morales avec notre vie spirituelle. Amen.
(L'image pour notre paroisse, n° 212, août- septembre 2004)