Dieu lui-même rend la vie des hommes plus belle.
(Marc CHAGALL, Le sacrifice d'Isaac, 1960-66, Musée National Marc Chagall, Nice)
L’invitation que je nous adresse depuis le début du Carême à rendre notre vie plus belle est renforcée aujourd’hui par l’attitude de Dieu lui-même qui, le premier, intervient pour sublimer la vie des hommes.
Voyez
Abraham. Avec sa femme Sarah, il avait atteint un grand âge sans avoir
d’enfant. En l’appelant à marcher vers la terre qu’il lui donnerait, Dieu lui
avait fait la promesse d’une descendance nombreuse. Elle a commencé avec
l’enfant de la promesse, Isaac. Tout semblait donc bien parti. Mais voilà que Dieu
réclame à nouveau cet enfant : Prends ton fils, ton unique, celui que
tu aimes, Isaac, va au pays de Moriah, et là tu l’offriras en holocauste sur la
montagne que je t’indiquerai. Drôle de manière d’embellir la vie d’Abraham
et de Sarah, me direz-vous ! Pas trop vite, l’histoire ne fait que
commencer. Mais c’est le moment de nous interroger tous : qu’aurions-nous
fait à la place d’Abraham ? Aurions-nous renvoyé Dieu, son appel et sa
promesse, en disant : là tu vas trop loin ? Ou nous serions-nous
engagés comme Abraham, sur la voie de l’obéissance, quoi qu’il en coûte ?
Pour nous éviter un texte trop long, la liturgie a retranché du texte les
versets 3 à 8. Et c’est bien dommage, parce que nous aurions entendu, entre
autres, ceci : Isaac dit à son père Abraham : « Mon
père ! – Eh bien, mon fils ? » Isaac reprit : « Voilà
le feu et le bois, mais où est l’agneau pour l’holocauste ? » Abraham
répondit : « Dieu saura bien trouver l’agneau pour l’holocauste, mon
fils. » Et ils s’en allaient tous les deux, ensemble. Est-ce juste pour rassurer Isaac qu’il répond ainsi ou
parce qu’il sait déjà, au fond de lui, que Dieu est fidèle à sa promesse et que
cette demande est davantage un test qu’une réelle demande de la part de
Dieu ? La suite lui donnera raison : L’ange lui dit :
« Ne porte pas la main sur le garçon ! Ne lui fais aucun mal !
Je sais maintenant que tu crains Dieu : tu ne m’as pas refusé ton fils,
ton unique. » Abraham leva les yeux et vit un bélier retenu par les cornes
dans un buisson. Il alla prendre le bélier et l’offrit en holocauste à la place
de son fils. Abraham donna à ce lieu le nom de « Le-Seigneur-voit ».
On l’appelle aujourd’hui : « Sur-le-mont-le-Seigneur-est-vu. » Du
ciel, l’ange du Seigneur appela une seconde fois Abraham. Il déclara :
« Je le jure par moi-même, oracle du Seigneur : parce que tu as fait
cela, parce que tu ne m’as pas refusé ton fils, ton unique, je te comblerai de
bénédictions, je rendrai ta descendance aussi nombreuse que les étoiles du ciel
et que le sable au bord de la mer, et ta descendance occupera les places fortes
de ses ennemis. Abraham a donné sa confiance à Dieu, il écoute la voix de
son Dieu, il obéit à sa Parole, et il s’en trouve récompensé. La vie de tous
les hommes s’en trouve embellit, puisqu’il est communément admis qu’en cet
épisode réside le refus, par Dieu, de tout sacrifice humain, pratique pourtant
courante à l’époque, dans de nombreux peuples.
L’intervention de Dieu en faveur de
la vie des hommes, en faveur d’une vie plus belle pour tous les hommes, ne
s’arrête pas là. Il nous faut entendre Paul qui affirme : Si Dieu est
pour nous, qui sera contre nous ? il n’a pas épargné son propre Fils, mais
il l’a livré pour nous tous : comment pourrait-il, avec lui, ne pas nous
donner tout ? Pour que la vie de l’homme soit une vie libre, une vie
belle, il ne réclame rien aux hommes, il donne ! Il donne son Fils unique,
qui ira à la mort pour nous ouvrir à la vie de Dieu. En Jésus, il ne donne pas
un peu, il ne donne pas qu’à quelques-uns : en Jésus, il donne tout à
tous. Tous ceux qui l’accueillent, tous ceux qui écoutent son Evangile et en
vivent, se voient offrir une vie à la dimension de la vie de Dieu ; une
vie libre de tout mal, une vie libérée du Péché et de la Mort. Cette vie, Jésus
l’avait révélée, avant sa mort, à Pierre, Jacques et Jean, lorsqu’il les a
emmenés, eux seuls, à l’écart sur une haute montagne où il fut
transfiguré devant eux. L’apparition de Elie et Moïse avec qui Jésus
s’entretenait renvoie à deux réalités, me semble-t-il. D’une part, il y a un
renvoi à la fidélité de Dieu à son Alliance, Jésus s’inscrivant dans une
continuité de la Loi (représentée par Moïse) et des Prophètes (représentés par
Elie) ; d’autre part, il y a un renvoi à la nécessité de l’obéissance à
cette Parole de Dieu livrée aux hommes jusqu’à maintenant dans la Loi et les
Prophètes, et désormais aussi livrée en Jésus lui-même, Verbe fait chair.
La voix dans la nuée confirme le rôle irremplaçable de Jésus : Celui-ci
est mon Fils bien-aimé : écoutez-le ! A qui veut une vie plus
belle sont indiquées la voie (v.o.i.e) et la voix (v.o.i.x) à suivre et à
écouter. Ceux qui suivent et écoutent, partageront cette vie transfigurée que
Jésus révèle à Pierre, Jacques et Jean, parce que c’est bien à une vie de
ressuscité (une vie debout, une vie relevée) que nous sommes appelés. La gloire de Dieu, c’est l’homme
vivant ; la vie de l’homme, c’est de contempler Dieu, disait Saint Irénée de Lyon.
Cette contemplation de
la gloire de Dieu, c’est notre plus belle récompense ; c’est ce qui comble
tous les manques de notre vie. C’est cette contemplation de Dieu qui nous
permet, dès maintenant, d’écouter le Christ et de le suivre sur ce chemin d’une
vie plus belle que Dieu nous offre, en attendant de pouvoir le regarder
face-à-face, quand cette gloire promise sera notre réalité. Rendons grâce à
Dieu qui nous appelle à une vie toujours plus belle en Jésus, mort et
ressuscité. Il est la meilleure assurance que cette vie est possible. Amen.