Passons de l'ignorance à l'intelligence des Ecritures.
(Tableau de Duccio di Buoninsegna, Jésus ressuscité apparaît à ses disciples, XIVè siècle,
Détail de la Maesta, Musée dell'Opera Metropolitana, Sienne)
Nous sommes tellement pris dans les tourments de la crise sanitaire que d’autres événements, pourtant historiques, nous échappent complètement. Ainsi cette déclaration signée par le conseil permanent de la Conférence des évêques de France, intitulée Lutter ensemble contre l’antisémitisme et l’antijudaïsme sera la pierre de touche de toute fraternité véritable. Elle a été remise le premier février 2021 au Grand Rabbin de France, au Président du Consistoire central et au Président du CRIF. Cette déclaration rappelle notre lien spirituel unique avec le judaïsme. Plus que jamais, écrivent les évêques, il faut rappeler l’importance des racines juives du christianisme. Nous ne pouvons pas considérer le judaïsme simplement comme une autre religion : les juifs sont nos ‘frères ainés’ (saint Jean-Paul II), nos ‘pères dans la foi’ (Benoît XVI). Souvenons-nous que Jésus, le Verbe de Dieu, a lui-même prié les Psaumes, lu la Loi et les Prophètes. Au cœur même de nos actions liturgiques et de notre prière personnelle, par la réception et la proclamation des textes de l’Ancien Testament, avec l’apôtre Paul, nous nous souvenons que ‘les dons et l’appel de Dieu sont irrévocables’.
Si je vous en parle ce matin, c’est parce que la liturgie nous invite, par deux fois, à nous souvenir de cela et à ne pas nous servir des Ecritures pour condamner les Juifs à cause de la mort de Jésus. C’est le pape saint Jean XXIII qui, en 1962, a fait disparaître avec raison la mention des juifs perfides de la grande prière du Vendredi Saint. Ecoutons le témoignage du Christ lui-même tel qu’il nous est redonné par Luc dans l’évangile entendu ce matin. Il aurait dû éviter tout antisémitisme au sein même de l’Eglise. Luc écrit ceci : Alors il ouvrit leur intelligence à la compréhension des Ecritures. Il leur dit : ‘Ainsi est-il écrit que le Christ souffrirait, qu’il ressusciterait d’entre les morts le troisième jour, et que la conversion serait proclamée en son nom, pour le pardon des péchés, à toutes les nations, à commencer par Jérusalem’. La mort de Jésus et sa résurrection ne sont ni un accident de l’histoire, ni un simple accomplissement de la volonté meurtrière de quelques-uns à l’égard de Jésus. La mort et la résurrection de Jésus étaient des incontournables pour que se réalise le projet de salut de Dieu, projet de salut intégral au sens où l’homme devait ainsi être définitivement et totalement libéré, y compris de la Mort et du Péché. Cette libération ne pouvait se faire sans que le Messie de Dieu, le Christ, n’affronte lui-même ces deux ennemis du genre humain et de Dieu : la Mort et le Péché. Cet affrontement était inévitable pour que nous puissions dire que nous sommes vraiment libres, vraiment sauvés. L’imputer à tout un peuple, parce que certains de ses chefs ont conduit à l’accomplissement de l’inévitable, est tout simplement hors de propos. Jésus ne le fait pas ; pas plus que ses Apôtres qu’il a envoyé pour témoigner de l’œuvre de salut réalisée par Dieu à travers lui.
Ecoutons bien Pierre dans son discours rapporté par le même Luc, dans son livre des Actes des Apôtres. Il commence par rappeler les faits : Hommes d’Israël, le Dieu d’Abraham, d’Isaac et de Jacob, le Dieu de nos pères, a glorifié son serviteur Jésus, alors que vous, vous l’aviez livré, vous l’aviez renié en présence de Pilate qui était décidé à le relâcher. Vous avez renié le Saint et le Juste, et vous avez demandé qu’on vous accorde la grâce d’un meurtrier. Vous avez tué le Prince de la vie, lui que Dieu a ressuscité d’entre les morts, nous en sommes témoins. Et c’est ensuite que Pierre nous montre qu’il ne leur en tient aucune rigueur en deux temps : D’ailleurs, frères, je sais bien que vous avez agi dans l’ignorance, vous et vos chefs. Premier temps : appelleriez-vous ‘frères’ ceux que vous considérez comme meurtriers ? Je ne crois pas. C’est la première manière de Pierre de montrer que l’accusation faite par les générations suivantes de déicide ne tient pas. Et si certains n’en étaient pas convaincus, Pierre enchaine immédiatement avec un second temps : Mais Dieu a ainsi accompli ce qu’il avait d’avance annoncé par la bouche de tous les prophètes : que le Christ, son Messie, souffrirait. Peut-on honnêtement tenir rigueur à des hommes ignorants de l’accomplissement de la Parole de Dieu, maintes fois répétée par ses prophètes ? L’appel à la conversion qui suit : convertissez-vous donc et tournez-vous vers Dieu pour que vos péchés soient effacés, n’est pas à comprendre comme un appel à devenir chrétien au sens où nous l’entendons aujourd’hui. La séparation Juifs/Chrétiens n’est pas encore réalité à ce moment-là. C’est un appel à vivre ce que les Apôtres eux-mêmes ont vécu : un retour profond et véritable à Dieu. C’est un appel à vivre ce que Pierre a lui-même vécu, lui qui avait tout autant renié le Christ, par trois fois, au moment de son procès ! C’est un appel à comprendre ce projet d’amour de Dieu pour son peuple et à quitter les voies du péché pour une vie de justice.
Quand
je constate qu’en 2021, il faut encore une déclaration solennelle des évêques
de France pour nous inviter à lutter contre l’antisémitisme et l’antijudaïsme,
je me dis que l’appel de Pierre à la conversion est toujours d’actualité… pour
les disciples du Christ. Nous avons toujours à lutter contre nos vieux démons ;
nous avons toujours à lutter contre notre propre ignorance du projet de Dieu ;
nous avons toujours à travailler à l’œuvre de Dieu en établissant et en vivant
une fraternité réelle avec tous les hommes, qu’ils soient chrétiens, croyants autrement
ou non croyants. Là est la volonté de Dieu ; là sera le signe que nous
avons compris que le Christ est vraiment ressuscité. A nous d’en être les témoins en nous faisant acteur intelligent de cette fraternité réelle. Amen.
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