Que dites-vous de moi ? Que dites-vous de vous ?
Régulièrement revient cette question de Jésus à ses disciples : Pour vous, qui suis-je ? Et on comprend bien son importance, tant il est vrai que se tromper sur Jésus, revient à se tromper sur notre foi, sur notre Dieu, sur notre espérance ! Une fausse déclaration au sujet de Jésus, et voilà tout un édifice qui s'écroule, un Dieu qui change, une espérance qui disparaît. Il suffit d'observer l'histoire des premiers siècles de l'Eglise pour se rendre compte que cette question de Jésus était loin d'être simple. Les réponses multiples qui ont été données et qui ont abouti à la rédaction de nos symboles de foi, témoignent des rudes discussions, pour ne pas dire batailles, qui ont pimenté la vie des premiers chrétiens. Jésus est-il vrai Dieu ? Dieu peut-il mourir sur une croix ? Jésus est-il vrai homme ? N'a-t-il pas joué à être homme ? Est-il un homme particulièrement saint qui a été adopté par Dieu ? Ce ne sont que quelques unes des questions qui ont agité les premiers croyants. En redisant tout à l'heure notre foi, nous donnerons la réponse de l'Eglise, la réponse de tout croyant à chacune de ces questions, et nous nous situerons communautairement et personnellement face à cette question de Jésus : Pour vous, qui suis-je ?
Cette question de Jésus, pour fondamentale qu'elle soit, en appelle pourtant une autre ? Je la formulerai ainsi : Et vous, que dites-vous de vous-mêmes ? C'est-à-dire : Qui est l'homme aujourd'hui ? Ou encore : Qu'est-ce qu'un chrétien en ce 21ème siècle ? Certes, Jésus ne l'a pas posée, mais ne l'a-t-il pas sous-entendue, lui qui, dans son double commandement de l'amour, liait Dieu et les hommes ? En préparant cette homélie, je me suis demandé si ce n'était pas aujourd'hui la première question à se poser. Qui sommes-nous ? Quand on voit comment va notre monde, quand on observe tant d'attaques contre des symboles religieux, contre des cimetières, quand on voit que même les morts ne sont plus en paix, n'y a-t-il pas lieu de s'interroger sur l'homme, sur ses rapports avec ses congénères, sur son rapport à Dieu ?
Qu'est-ce qu'encore un homme s'il vient à nier sa dimension religieuse ? Question rude pour un citoyen français, attaché à la laïcité au point d'en être aveuglé, et méconnaissant ainsi l'héritage religieux proprement chrétien qui a fondé pour une large part et le pays et le continent sur lequel il vit. N'en déplaise à certains, la France a existé avant la Révolution, et ce qui aujourd'hui est du service public était alors largement assuré par les religieux (écoles, hôpitaux, présence auprès des plus pauvres...) Nier la dimension religieuse de l'homme, c'est nier et effacer près de 17 siècles de notre histoire au seul profit du siècle des Lumières, qui, à contempler la décrépitude des règles morales élémentaires, n'éclaire plus beaucoup ! On a chassé la religion et Dieu pour fonder un vivre ensemble purement humaniste : l'idée était sans doute belle, mais l'homme ne se suffit pas à lui-même. La pleine stature de l'humanité, c'est la ressemblance et l'image de Dieu qu'elle porte en elle et qu'elle est appelée à découvrir par un cheminement spirituel. La vie avec le Christ n'a d'autre but que celui-là : rendre à l'homme la dignité qui est la sienne pour qu'il s'élève et construise un monde plus juste qui ne repose pas sur une idéologie politique (elles se sont toutes effondrées) mais sur ce qu'il y a à la fois d'unique et de commun à tous : la filiation divine en Jésus. Paul est plus que clair à ce sujet dans la seconde lecture entendue. En Jésus Christ, vous êtes tous fils de Dieu par la foi. En effet, vous tous que le baptême a unis au Christ, vous avez revêtu le Christ ; il n'y a plus ni Juif ni païen, il n'y a plus esclave ni homme libre, il n'y a plus l'homme et la femme, car tous, vous ne faites plus qu'un dans le Christ Jésus. La fraternité humaine se fonde sur le sacrifice unique du Christ sur la croix qui a ouvert ainsi à tous les hommes le chemin du salut, la dignité d'enfant de Dieu qui surpasse tout ce qu'on peut imaginer. Celui qui a compris qui il est vraiment ne peut plus se tromper sur Jésus, la personne à qui il doit ce qu'il est devenu.
C'est là que se compliquent les choses. Car quelle question aborder en premier ? Faut-il d'abord découvrir le Christ pour savoir qui je suis ? Ou dois-je d'abord me connaître pour bien saisir qui est Jésus et ce qu'il réalise pour moi ? Un début de réponse pourrait être d'engager un vrai compagnonnage avec Jésus, même si on ne sait pas très bien qui il est. Sa question de confiance, il ne la pose pas au début de son ministère, mais bien après que ses disciples et les foules l'aient entendu et vu à l'oeuvre. Peut-être faut-il faire cet effort de se mettre vraiment à l'école de Jésus pour découvrir d'abord ce qu'il a à nous dire, ce qu'il nous invite à vivre, pour constater alors qui il est vraiment. N'est-ce pas là la vraie démarche de celui qui cherche un sens à sa vie : non pas s'en inventer un, non pas suivre l'air du temps, mais se mettre patiemment et humblement à l'école d'un maître pour écouter, voir, et bien juger ? Se mettre à l'école de Jésus pour l'entendre nous proposer une conversion radicale, nous envoyer vers les autres pour construire avec eux et pour eux un monde meilleur, un monde qui ressemble à ce que Dieu en avait fait jadis, à la Création. Se mettre à l'école de Jésus pour nous sentir véritablement aimés, tel que nous sommes, par celui que Jésus appelle lui-même son Père et notre Père. Se mettre à l'école de Jésus pour découvrir en lui la source de la vraie vie, celle qui met en route, celle qui se partage et qui procure la joie véritable. Se mettre à l'école de Jésus pour nous découvrir vrais hommes appelés à partager la sainteté de Dieu.
Répondre à la question de Jésus avec honnêteté n'engage pas seulement notre foi ; c'est engager toute notre vie ! Ayant découvert qui est Jésus pour moi et ce qu'il réalise dans ma vie, je découvre vraiment qui je suis ; et par là, je découvre aussi que mes semblables partagent cet héritage avec moi. Voilà de quoi fonder solidement notre humanité ; voilà de quoi rappeler le rôle irremplaçable du Christ dans la construction de cette humanité ; voilà de quoi rendre à Dieu la louange qui lui revient. Puissions-nous ne jamais l'oublier ! Amen.
(Icône du Christ, collection de l'auteur)
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