Homélie donnée au Carmel de Marienthal
Un peu provoquante, la question, je n'en disconviens pas, mais nous avons le droit de la poser ainsi aujourd'hui, après avoir entendu cette page d'Evangile (Lc 9, 51-62). C'est bien cette question qui me semble être au centre de cette page. Et elle nous oblige alors à nous interroger sur ce qui est nécessaire pour nous mettre à la suite de Jésus.
Certains diront : Pour suivre le Christ, il faut le vouloir ! On ne peut forcer personne. Et ils ont raison... en partie. Disons que c'est un bon début. Je te suivrai partout où tu iras, dit un homme à Jésus. Nous ne savons pas s'il a fini par le faire. Ce que nous savons, c'est ce que lui répond Jésus. Et honnêtement, qui d'entre vous s'attendait à pareille réponse ? N'aurions-nous pas préféré un "Mais bien sûr, viens, mon ami !" ? Or la réponse de Jésus énumère le style de vie de Jésus : Les renards ont des terriers, les oiseaux du ciel ont des nids, mais le Fils de l'homme n'a pas d'endroit où reposer sa tête. Un publiciste vous dirait qu'on fait mieux comme argument de vente. Le propos de Jésus n'est pas tant d'encourager que de préciser les qualités requises. Vouloir suivre Jésus, c'est bien ; le suivre vraiment, dans un quotidien, demande détachement, révision des priorités. Suivre Jésus, c'est le suivre sur le chemin du renoncement, de la simplicité pour ne pas dire de la pauvreté évangélique. C'est s'engager à une dose d'incertitude. Oui, dans un sens, pour suivre Jésus, il faut le vouloir, mais sans se tromper sur les exigences nécessaires pour réaliser cela.
D'autres alors diront : plutôt que de le vouloir, il faut être appelé par Jésus pour pouvoir le suivre vraiment. Et ils ont, eux-aussi, raison... en partie. Nous le constatons bien dans l'Evangile. Jésus dit à un autre : "Suis-moi" L'homme répondit : "Permets-moi d'aller d'abord enterrer mon père." Mais Jésus répliqua : "Laisse les morts enterrer leurs morts. Toi, va annoncer le Règne de Dieu." Là non plus, nous ne savons pas ce qu'il en a été au final. A-t-il suivi ou non ? Il a été appelé, mais avait encore des choses à faire. Être appelé par Jésus, c'est un bon début, encore faut-il être prêt à entendre cet appel à tout laisser, là, de suite, et se mettre en route. L'exigence de Jésus ne vise pas à détourner des conventions sociales, mais à rappeler qu'il y a urgence et pour l'appelé et pour ceux à qui il est envoyé. L'urgence, c'est celle du Royaume à annoncer.
Alors qui peut vraiment suivre Jésus ? La prière de l'Eglise y répond à sa manière dans la liturgie de ce dimanche. La prière sur les offrandes nous fera dire : Dieu qui agis avec puissance dans tes sacrements, fais que le peuple assemblé pour te servir soit accordé à la sainteté de tes propres dons. Peut vraiment suivre Jésus, servir Jésus, celui qui est accordé à lui, accordé à la sainteté de ses dons. Cet accordement est un don de Dieu qu'il nous faut demander, accueillir et vivre. Que voulez-vous ? Il ne suffit pas de demander et de recevoir ; il faut encore faire quelque chose avec ce que nous recevons. La liturgie des ordinations fait dire à l'évêque : Que Dieu lui-même achève en vous ce qu'il a commencé. C'est vrai de toute personne ordonnée ; mais c'est vrai aussi de tout baptisé. Cette phrase pourrait faire partie du rituel du baptême (lorsque nous sommes reconnu fils et fille de Dieu), du rituel de la confirmation (lorsque l'Eglise confirme ce qui a été réalisé en nous au jour de notre baptême), du rituel du mariage (lorsque des époux s'engagent l'un envers l'autre et que leur amour devient une icône de l'amour de Dieu pour chacun) et de l'Ordo Missae, c'est à dire du déroulement de l'Eucharistie. Une fois que nous avons reçu le Corps du Christ, n'est-ce pas à lui d'agir en nous, et à nous de le laisser faire en nous pour que cette sainteté du don reçu puisse être communiqué à toute notre existence ? Une fois que nous avons communié, n'avons-nous pas, selon le mot de saint Augustin, à devenir ce que nous avons reçu : le Corps vivant du Christ ?
Il ne suffit pas d'être appelé par Jésus pour être capable de le suivre ; il ne suffit pas de le vouloir pour pouvoir suivre Jésus ; il ne suffit pas d'être baptisé pour être chrétien ; il ne suffit pas de communier pour être du Corps du Christ... Il faut en toute chose que nous soyons raccord avec Jésus, qu'il devienne notre tout et qu'à notre tour nous le suivions là où il veut nous mener et non là où nous voudrions aller. Il faut qu'en tout, nous devenions comme le Christ, et qu'avec courage, nous prenions la route qui mène à notre Jérusalem, conscients des obstacles que nous rencontrerons. En suivant Jésus librement et non par instinct grégaire, nous parviendrons, malgré le chemin étroit et escarpé, à la gloire du Royaume. Nous savons que c'est là le but ; nous savons que nous y parviendrons parce que Jésus, le premier, a pris ce chemin. C'est sur ce chemin qu'il nous faut le suivre, consciemment. Appelés par lui, désireux en notre coeur de le suivre, nous parviendrons nous aussi là où le Divin Maître est entré le premier, si comme lui nous nous laissons conduire par l'Esprit. Amen.
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