Nous voici donc
au temps de l’Avent, temps d’attente, temps de préparation à Noël, temps de
préparation à l’accueil de l’œuvre de Dieu en nos vies. C’est un beau temps
liturgique, porteur de fruits spirituels pour peu que nous n’idéalisions pas le
don que Dieu veut nous faire. Car l’histoire biblique nous le prouve :
Dieu se révèle souvent différent de ce que les hommes en attendent. Pour nous
permettre de comprendre mieux encore, permettez que je vous raconte un conte
qui nous vient d’une autre tradition spirituelle que la nôtre, un conte des
lointaines Indes.
« Le brahmane Latchoumanane était
un homme très pieux. Tous les jours, à son réveil matinal, il prenait son bain
de tête rituel et partait aussitôt vers le temple, son panier d’offrandes à la
main. Il allait assister au puja du matin, ce culte hindouiste rendu à Dieu
trois fois par jours. Avec ferveur, il priait : Seigneur, je viens te rendre visite chez toi, sans que j’aie manqué un
seul jour. Matin et soir, je te fais des offrandes. Ne peux-tu pas venir chez
moi ? Attentif à cette prière quotidienne, Dieu lui répondit
enfin : Demain, je viendrai ! Quelle
joie pour Latchoumanane ! Il se met à laver à grande eau toute sa maison.
Il fait tracer sur le seuil des Kôlams, ces dessins en farine ou en pâte de
riz. A l’aube, il attache une guirlande de feuilles de manguier à l’entrée de
sa maison. Les lampes à huiles sont allumées sur le banc en maçonnerie que
possède toute maison indienne. Au centre de chaque kôlam s’épanouit une belle
fleur jaune de potiron. Et dans la salle de réception, des plateaux de fruits,
de galettes sucrées et de fleurs s’étalent à profusion. Tout est prêt pour
recevoir Dieu. Latchoumanane se tient debout pour l’accueillir. L’heure du puja
matinal approche. Un petit garçon qui passe par là aperçoit par la fenêtre
ouverte, les plateaux de galettes. Il s’approche : Grand-père, tu as beaucoup de galettes, là-dedans, ne peux-tu m’en
donner une ? Furieux de l’audace du gamin, Latchoumanane réplique :
veux-tu filer, moucheron ! Comment
oses-tu demander ce qui est préparé pour Dieu ? Et le petit garçon,
effrayé, s’enfuit. La cloche du temple a sonné. Le puja du matin est terminé.
Latchoumanane pense : Dieu viendra
après le culte de midi, attendons-le. Fatigué, il s’asseoit sur le banc. Un
mendiant arrive et lui demande l’aumône. Latchoumanane le chasse vertement.
Puis il lave soigneusement la place souillée par les pieds du mendiant. Et midi
passe… Dieu n’est toujours pas au rendez-vous… Le soir vient. Latchoumanane
tout triste attend encore la visite promise.
Un pèlerin se présente à l’heure du culte du soir : Permets-moi de me reposer sur le banc et
d’y dormir cette nuit. - Jamais de la vie ! C’est le siège réservé à
Dieu ! La nuit est tombée. Dieu n’a pas tenu sa promesse pense
Latchoumanane. Quel chagrin ! Le lendemain, revenu au temple pour la
prière du matin, le dévot renouvelle ses offrandes et fond en larmes : Seigneur, tu n’es pas venu chez moi comme
tu me l’avais promis ! Pourquoi ? Une voix lui dit alors : Je suis venu trois fois chez toi, et trois
fois tu m’as chassé… »
Même
si cette histoire nous vient d’une autre tradition religieuse, qu’elle nous
serve de leçon. La liturgie de ce premier dimanche de l’Avent nous invite à
nous préparer à accueillir ce Dieu qui vient à notre rencontre. A l’accueillir
et à le reconnaître. Comme Latchoumanane, nous pouvons être surpris. Lui
s’était préparé, et bien préparé. Mais il a manqué son rendez-vous parce qu’il
attendait Dieu différemment, parce qu’il n’a pas su le reconnaître dans ceux
qui passaient à proximité. Etre prêt est déjà en soi une chose importante. Le
temps de l’Avent est un temps favorable pour se préparer. Des activités nombreuses
rythment la vie de ce temps si particulier en Alsace : que ce soit des
choses toutes profanes comme la réalisation des Bredele ou des choses plus spirituelles comme les conférences
d’Avent, les concerts spirituels, le sacrement de la réconciliation… Mais tout
cela ne serait que vaine agitation si nous oubliions qui est celui que nous
attendons ! Tout cela ne serait que vaine agitation si nous n’étions pas
capables de reconnaître Celui qui vient à la rencontre de l’homme et de son
histoire. La liturgie du temps de l’Avent nous faire dire que c’est aujourd’hui
que Dieu va venir : l’heure est
venue, affirme saint Paul dans sa lettre aux Romains ; le salut est plus proche de nous maintenant
qu’à l’époque où nous sommes devenus croyants. Il faut non seulement être
prêt, mais encore accepter que Dieu se présente toujours autre, qu’il se révèle
à nous de manière inattendue. Il nous faut mettre de côté tous les « on
dit » sur Dieu pour le découvrir tel qu’il veut se révéler à nous, dans
notre quotidien, dans notre histoire d’aujourd’hui ! Et c’est sans doute
la chose la plus difficile à faire : ne pas rêver de Dieu comme une jeune
fille rêverait au Prince charmant ! Nous voudrions bien souvent un Dieu à
notre mesure, un Dieu sur-mesure. Mais à force d’imaginer comment Dieu doit
être avec nous, nous risquons fort de le laisser passer sans le
reconnaître !
Souvenons-nous,
durant ce temps de l’Avent, que c’est Dieu qui nous invite à l’attendre, que c’est
lui qui fait de nous des veilleurs, lui qui nous invite à aller à sa rencontre.
C’est lui qui nous attend, toujours. Puissions-nous devenir des veilleurs éveillés, attentifs aux vrais signes de la
présence de Dieu. A l’invitation du prophète Isaïe, marchons à la lumière du Seigneur ! Eclairés par lui, nous
ne risquons pas de nous égarer et nous pourrons aller à la rencontre de Celui qui vient, en confiance et en vérité Amen.
(Dessin de Jean-François KIEFFER, Mille images d'Evangile, éd. Presses d'Ile de France)
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