(Homélie donnée au collège saint Etienne de Strasbourg, à l'occasion du baptême de 4 élèves).
Le
moins qu’on puisse dire, c’est que ça se bouscule aux portes du baptême
aujourd’hui. Il y a Jean le Baptiste et les foules qui viennent vers lui ;
il y a Jésus qui vient demander un baptême dont il n’a pas vraiment
besoin ; et aujourd’hui, il y a Louison, Jules, Raphaël et Hervé qui
demandent eux-aussi un baptême. Mais parlons-nous toujours de la même chose ?
Le
baptême de Jean, d’abord, ou, pour être plus juste, le baptême que donne Jean.
Ce n’est pas un sacrement au sens où nous l’entendons aujourd’hui, c’est-à-dire
un signe efficace de la grâce ; ce n’est pas davantage une entrée dans
l’Eglise, et pour cause : l’Eglise n’existe pas encore ! Alors
qu’est-ce que ce baptême ? Ce baptême est un signe de conversion du cœur
et d’humilité. Ceux qui s’approchent de Jean pour recevoir son baptême,
viennent dire leur désir de revenir vers Dieu, de changer de vie. Ils croient
qu’un autre monde est possible. C’est d’abord une démarche personnelle qui
n’engage qu’eux. C’est un signe de changement de vie que les pécheurs se
donnent à eux-mêmes et donnent à la société dans laquelle ils vivent. Ils sont
si nombreux à venir vers Jean que les autorités religieuses s’inquiètent et
envoient des gens à eux se renseigner. Que se passe-t-il là, au bord du
Jourdain ? Jean le Baptiste, nous l’avons entendu dans l’Evangile,
reconnaît que le baptême qu’il donne n’est pas le signe ultime ; un autre
viendra qui baptisera dans l'Esprit
Saint. Il a conscience que son geste n’est que transitoire. Il prépare à la
venue d’un autre, plus fort que lui.
C’est
ainsi que Jésus vient vers Jean. Il vient lui aussi recevoir ce baptême. Ce
baptême que Jésus reçoit est donc d’abord le baptême que donne Jean. J’avoue
que j’aurais aimé voir la tête de Jean, en voyant Jésus venir vers lui.
D’autres évangélistes soulignent cette surprise. Jean sait bien que Jésus n’a
pas besoin de conversion. Et pourtant, il demande ce baptême. Il signifie ainsi
publiquement que Dieu se fait vraiment homme, passant par les mêmes chemins que
lui, l’accompagnant sur la route de sa misère pour le conduire à la conversion
vraie. D’ailleurs, même si c’est bien le baptême donné par Jean que Jésus
reçoit, on peut s’interroger : est-ce bien le même baptême que les
autres ? Parce que, pour Jésus, il se passe quelque chose d’unique quand
il remonte de l’eau. Là où les autres étaient simplement mouillés et avaient
peut-être le cœur en paix, quand Jésus remonte de l’eau, il vit les cieux se déchirer et l’Esprit descendre sur lui comme une
colombe. Il y eut une voix venant des cieux : Tu es mon Fils
bien-aimé ; en toi, je trouve ma joie. Voilà qui donne un surcroit de
sens au baptême que reçoit Jésus. Ce n’est plus seulement un signe de
conversion, mais le signe que Dieu est bien avec cet homme particulier ;
mieux encore, le signe que cet homme particulier est Dieu ! Au moment de
son baptême, Jésus est révélé à lui-même après avoir été révélé aux pauvres à
travers les bergers, et au monde à travers les mages, au moment de sa
naissance. Une manière de dire que, si en grandissant Jésus s’était imaginé se
faire un film en pensant que Dieu l’envoyait vers les hommes pour les sauver,
désormais, il pouvait avoir la certitude d’être dans le vrai. Dieu trouve sa joie en Jésus ; il trouve
en ce Fils engendré il y a quelques années maintenant, celui qui lui correspond
et lui répond totalement. Dès le début de sa vie publique, rien ne sépare le
Fils du Père. On peut même dire, en lisant les évangiles, que plus Jésus se
révèle Dieu, plus Dieu se révèle homme. La prière de l’Eglise dit : il a vécu notre condition d’homme en toute
chose, excepté le péché. En Jésus, Dieu traverse nos vies, leur ouvrant un
avenir. Rien ne sera plus comme avant. Il y a bien un avant Jésus et un après
Jésus. Jamais plus le monde ne sera pareil.
Et
nous voici donc aujourd’hui à répondre à la demande de Louison, Jules, Raphaël
et Hervé. Ils demandent à leur tour le baptême, comme Jésus demandait jadis le
baptême à Jean. Demandent-ils la même chose ? Si le monde, après Jésus,
n’est plus tout-à-fait pareil à avant, le baptême n’est plus, lui aussi,
tout-à-fait pareil. Nous prenons toujours de l’eau, comme Jean le
Baptiste ; il dit toujours notre conversion, comme du temps de Jean le
Baptiste. Mais il dit plus que cela. Le baptême que nous recevons dit aussi
notre attachement à Jésus. Nous recevons ce baptême conformément à l’ordre de
Jésus ressuscité à ses disciples : Allez
dans le monde entier, de toutes les nations faites des disciples, les baptisant
au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit. En répondant à la demande de
Jésus, nous faisons entrer vos camarades dans une grande famille, celle que
Jésus a libéré une fois pour toutes du Mal et de la Mort. Louison, Jules,
Raphaël et Hervé, comme nous-mêmes au jour de notre baptême, deviendront dans un
instant des disciples de Jésus Christ, témoins de sa résurrection, témoins de
sa puissance de vie répandue par toute la terre. Avec saint Jean, le disciple
que Jésus aimait, le disciple qui nous a laissé un évangile et des lettres,
nous pouvons même affirmer que le baptême nous rend identique à Jésus puisqu’il
fait de nous des enfants de Dieu. Nous
ne le verrons pas et nous ne l’entendrons pas comme Jésus l’a vu et entendu sur
les bords du Jourdain, mais aujourd’hui, je puis vous l’assurer, l’Esprit va descendre sur vos camarades et
le Père va reconnaître en eux ceux en qui il
trouve sa joie. Parce qu’il y a de la joie chez Dieu quand des garçons et
des filles demandent à faire partie de sa famille. Le baptême que vous allez
recevoir marquera bien votre adoption par Dieu. Désormais, vous serez frères et
sœurs de Jésus ; vous deviendrez aussi nos frères et sœurs. Votre vie ne
sera plus tout-à-fait la même après que vous serez passés par les eaux du
baptême. Oh, vous serez encore vous ; vous aurez les mêmes qualités et
sans doute les mêmes défauts. Mais quelque chose aura quand même changé.
Vous-mêmes et ceux qui vous connaissent ne le remarquerez peut-être pas tout de
suite, mais … vous aurez changé et vous serez appelés à toujours changer.
En
effet, devenir chrétien ce n’est pas l’œuvre d’un jour, c’est l’œuvre d’une
vie. D’une vie placée sous le regard de Dieu ; d’une vie ouverte au désir
de Dieu de vivre pour toujours avec vous. Devenir chrétien, c’est accepter de
devenir toujours plus comme Dieu : saint
parce qu’il est saint. Cela ne s’apprend pas en un jour ; cela se
travaille toute une vie. Etre chrétien, c’est un art de vivre. La longue liste
de celles et de ceux que l’Eglise reconnaît officiellement saints vous montre
que les chemins de sainteté sont nombreux et variés. Mais tous ont un point
commun : la vie à la suite du Christ. En suivant Jésus, vous ne vous
tromperez jamais. En suivant Jésus, vous apprendrez les subtilités de cet art
de vivre. En suivant Jésus, vous réussirez votre vie.
Aujourd’hui,
certains veulent nous faire croire que tout cela (le baptême et tout le reste),
c’est une perte de temps, une survivance du passé appelée à disparaître. Ils
ont le droit de le croire. Mais nous avons le droit de leur montrer qu’ils se
trompent. On ne perd pas son temps à développer ses qualités ; on ne perd
pas son temps à cultiver une véritable relation avec Jésus qui veut notre
bonheur ; on ne perd pas son temps à essayer de nous rendre
meilleur ; on ne perd pas son temps à essayer de rendre le monde
meilleur ; on ne perd jamais son temps à aimer comme Jésus aime. On ne
perd jamais son temps quand on a fait le bon choix. Et quel meilleur choix
l’homme peut-il faire, si ce n’est le choix de la vie plus forte que la
mort ? Quel meilleur choix l’homme peut-il faire, si ce n’est le choix de
l’amour plus fort que la haine ? Quel meilleur choix l’homme peut-il
faire, si ce n’est le choix du pardon plus fort que la vengeance ?
On
a vu, ces derniers jours et de manière dramatique, ce que cela donne quand
l’homme vit avec une image déformée de Dieu. La fête du baptême de Jésus,
marquée par l’attestation du Père que Jésus est bien le sujet de sa joie, nous
redit que nous avons fait le bon choix, et que le chemin que nous suivons est
le chemin véritable qui mène à Dieu, à la suite de Jésus son Fils. Louison,
Jules, Raphaël et Hervé, soyez toujours fiers du choix que vous faites
aujourd’hui. Soyez toujours sûrs que Dieu marche avec vous. Soyez toujours
certains de n’être jamais seuls puisque l’Eglise vous accueille aujourd’hui.
Soyez toujours fidèles à Dieu qui vous reconnaît comme ses enfants. Et vous qui
les entourez aujourd’hui, soyez toujours à leur côté : notre foi construit
la leur ; leur foi naissante rend plus sûre la nôtre. Puissions-nous
ensemble donner de l’Eglise et du Christ un visage toujours plus vrai. Alors le
monde saura combien il est aimé de Dieu. Dieu trouvera en lui sa joie ; et
le monde trouvera en Dieu sa vie et son avenir. Amen.
(Tableau du Baptême de Jésus peint par Sieger KÖDER)
(Tableau du Baptême de Jésus peint par Sieger KÖDER)
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