Cela
devait bien arriver, n’est-ce pas ? Ne comprenant pas vraiment qui est Jésus,
la foule finit par le laisser parler sans plus rien comprendre à ce qu’il dit. Elle
écoute, mais elle n’entend rien à ce qu’il dit. Ce que dit Jésus ne concerne
plus l’entendement de la foule. La tension qui oppose celle-ci à Jésus grandit
encore un peu. Viendra le moment où elle ne voudra même plus l’écouter, préférant
le faire taire une fois pour toutes en le clouant sur la croix.
Quand
on sait que saint Jean n’a pas de récit d’institution eucharistique, mais
seulement ce chapitre 6 pour nous parler de l’Eucharistie, on peut comprendre
cette rupture. Le récit du dernier repas de Jésus chez les autres évangélistes donne
un cadre à la présence perpétuelle de Jésus à son peuple ; ce qu’il fait
au cours de ce dernier repas, ses disciples doivent le faire à leur tour, à
travers le temps et l’histoire pour affirmer la présence de Jésus au milieu de
son peuple. Jean, en optant pour un discours sur le Pain de la vie, choisit d’approfondir
le sens de ce repas. En un sens, il est plus clair que les autres en
explicitant ce rite qui deviendra familier des chrétiens ; mais en l’explicitant,
il en donne toute la portée. Et la foule n’est pas prête à entendre tout ce que
Jésus dit à ce sujet. Déjà écouter Jésus dire : Moi, je suis le pain vivant qui est descendu du ciel : si quelqu’un
mange de ce pain, il vivra éternellement, semblait difficile à accepter ;
mais là, en conclusion de son discours, il enfonce le clou : Si vous ne mangez pas la chair du Fils de l’homme,
et si vous ne buvez pas son sang, vous n’avez pas la vie en vous. C’est
sans doute l’affirmation de trop. Il dit clairement qu’il est la vie même de l’homme.
Jésus devient incontournable. L’invitation faite par la Sagesse à partager le
repas qu’elle a préparé pour les hommes devient invitation à « consommer »
Jésus lui-même. Jésus se fait notre nourriture, notre essentiel, notre vie. Il
affirme clairement sa divinité. Quelle prétention ! Et cela vous étonne
que ses auditeurs se querellent entre eux ?
Pourtant,
c’est bien cela que nous devons comprendre dans les gestes eucharistiques que
les prêtres refont depuis lors. En consacrant le pain et le vin, ils rendent Jésus,
le Fils unique de Dieu, présent totalement. C’est à lui, c’est-à-dire à Dieu lui-même,
que nous communions quand nous entendons sa Parole proclamée. C’est à lui, c’est-à-dire
à Dieu lui-même, que nous communions quand nous mangeons le pain consacré,
signe de sa présence réelle à l’Eglise. Il nous faut pleinement mesurer que
nous nous coupons de la vie si nous ne mangeons plus ce pain consacré, si nous
ne mangeons plus le corps de notre Seigneur. Ne pas participer au repas de l’Eucharistie
pour un disciple du Christ n’est pas grave, c’est juste impossible. Ce rassemblement
dominical n’est pas fait pour compter les troupes mais pour que les troupes
puissent puiser à la source même de la vie ce qui est indispensable à leur
propre vie. La Parole de Dieu partagée en communauté nourrit notre foi ;
le Pain de la vie reçu en communion nous fait participer au sacrifice du Christ
qui a livré sa vie pour nous. C’est sa vie que nous accueillons chaque dimanche
pour faire grandir notre vie.
Comme
autrefois à la foule rassemblée autour de lui, Jésus nous redit en chaque
eucharistie qu’il est notre vie ; il nous redit qu’il a donné sa vie par
amour pour nous ; il nous redit sa présence éternelle à notre vie. Toutes
nos faims trouvent en lui leur apaisement. Notre vie trouve son sens dans le
sacrifice qu’il a consenti pour nous ; notre vie trouve son sens dans sa
vie donnée, livrée sur la croix. Comment pourrions-nous manquer de nous
approcher de lui ? Comment pourrions-nous préférer quelque chose d’autre à
cette rencontre hebdomadaire avec Jésus ? Tenons-nous si peu à notre
propre vie pour faire le choix de ne pas la nourrir de ce pain rompu, livré
pour notre salut ? Tenons-nous si peu à notre vie pour accepter de la voir
s’amoindrir par paresse spirituelle et confort personnel ? Participer au
repas de l’Eucharistie n’est pas une obligation d’ordre moral ; c’est une
obligation d’ordre vital. C’est toute notre vie qui se joue ici, dans la vie
donnée du Christ.
Que
la célébration de nos eucharisties nous donne d’entendre ce que la foule n’a
fait qu’écouter. Puissions-nous toujours garder au cœur le désir de nous
approcher de la table eucharistique pour y puiser notre vie pour aujourd’hui et
pour l’éternité. Amen.
(Dessin de Jean-Yves DECOTTIGNIES, in Mille dimanches et fêtes, éd. Les Presses d'Ile de France)
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