Aujourd’hui
commence donc la semaine qui nous mènera jusqu’à Pâques ; nous l’appelons « Semaine
Sainte » parce qu’elle nous permettra de revivre, comme si nous y étions,
les derniers moments de la vie de Jésus. Nous sommes invités à la vivre non pas
dans le souvenir de choses passées, mais avec cette certitude que c’est dans l’aujourd’hui
de notre vie que se déroulent ces événements ; c’est dans l’aujourd’hui de
notre vie que Jésus se livre à nous pour nous sauver. La célébration de ce dimanche
a comme particularité d’avoir deux proclamations d’évangile : il y a la
proclamation de la Passion que nous venons d’entendre et la proclamation de l’Evangile
rappelant l’entrée solennelle de Jésus à Jérusalem, faite au tout début de
notre rassemblement. Il est celui qui donne le sens de ce jour si particulier.
Je
ne sais pas si vous y avez été sensible, mais Luc n’a pas tout à fait le même
récit que Matthieu et Marc. Chez Luc, à
mesure que Jésus avançait, les gens étendaient leurs manteaux sur le chemin… et
toute la foule des disciples, remplie de joie, se mit à louer Dieu à pleine
voix. Chez Luc, les disciples seulement chantent la gloire de Dieu et de Jésus.
Ils savent maintenant qui il est ; ils ont vu les miracles, ils ont
entendu l’enseignement de Jésus. Pour eux, plus de doute : Jésus est celui qui vient, le Roi, au nom du Seigneur.
Ceci explique l’injonction faite à Jésus par quelques pharisiens : Réprimande
tes disciples ! Expriment-ils
ainsi leur crainte de voir la foule convertie à ce que les disciples ont déjà
compris de Jésus ? Peut-être ! Nul ne sait ce qui se passe dans le cœur
d’un homme quand il rencontre Dieu ! Nul ne peut maîtriser un cœur touché
par la grâce ! Nul ne pourra donc faire taire les disciples : si eux se taisent, les pierres crieront. Il
y a des évidences qu’on ne peut cacher plus longtemps aux hommes. Le temps de Dieu
est arrivé. Heureux ceux qui passeront du monde des hommes au monde de Dieu à
la suite de Jésus.
L’acte
premier de ce passage, c’est donc cette gloire proclamée par les hommes. Jésus n’est
sans doute pas dupe, lui qui avertissait déjà du danger à tenir sa gloire des
hommes. La vraie récompense de Jésus n’est pas dans ces acclamations. La proclamation
de la Passion en ce même jour nous rappelle la fragilité et la versatilité d’une
foule : aujourd’hui, elle étend ses manteaux et écoute la foule des
disciples acclamer Jésus ; demain cette foule criera : Mort à cet homme, laissant Jésus en croix
entre deux criminels, tandis que la foule des disciples se tiendra plus loin, pour regarder. S’il nous est
bon d’entendre la foule des disciples acclamer Jésus, cela ne doit pas nous
induire en erreur pour autant : ce n’est pas cette gloire que Jésus recherche,
il n’attend rien d’elle. A nous qui cheminons dans la foi, les acclamations de
la foule des disciples nous rappellent ce que nous pouvons croire au sujet de Jésus :
il est celui qui vient au nom du Seigneur.
Mais elles nous renvoient aussi à notre propre rapport à Jésus, tantôt le cœur tout
brûlant pour lui, tantôt plutôt tiède, quelquefois même froid selon ce que nous
vivons au quotidien.
Ne
crions-nous pas : Mort à cet homme,
lorsque nous refusons de faire miséricorde, lorsque nous demandons la fermeture
de nos frontières au prétexte que nous ne pouvons accueillir toute la misère du
monde, lorsque nous voulons inscrire dans la loi la déchéance de nationalité au
risque de créer des apatrides ? Ne crions-nous pas : Mort à cet homme, lorsque nous nous
enfermons dans nos petites vies tranquilles, ne faisant de mal à personne,
certes, mais oubliant de faire un peu plus de bien ? Ne crions-nous pas :
Mort à cet homme, lorsque nous n’avons
qu’indifférence pour les autres et pour le monde dans lequel nous vivons ?
Il est si facile de passer de la foule des disciples qui acclame à la foule qui
vocifère contre Jésus ! Il est si difficile de rester un authentique
disciple quand surgit l’adversité.
Dans
ce drame qui se joue, deux hommes pourtant sont porteurs d’espérance ;
deux hommes reconnaissent, au-delà de la personne de Jésus, quelque chose de
plus grand ; deux hommes ont déjà fait ce passage du monde des hommes vers
le monde de Dieu. Le premier, c’est l’un des criminels condamnés et crucifiés
en même temps que Jésus. Cloué sur une croix, il a cependant conscience que Jésus
peut encore quelque chose pour lui, qu’un salut est toujours possible : Jésus, souviens-toi de moi quand tu viendras
dans ton Royaume. Le second, c’est un étranger, un ennemi de surcroît :
le centurion qui, par nécessité de service, a assisté à tout cela. A la vue de ce qui s’était passé, le
centurion rendit gloire à Dieu : Celui-ci était réellement un homme juste.
Et voilà qu’il devient impossible de cataloguer les gens, de les ranger
soigneusement en les classant en bons et méchants. Le passage du monde des
hommes au monde de Dieu oblige à une vérité du regard. Rien n’est comme avant ;
toute chose est nouvelle.
Dès
le premier jour de cette semaine sainte, nous pouvons mesurer ainsi le chemin
qu’il nous reste à parcourir pour quitter ce monde des hommes et entrer dans le
monde de Dieu. Nous n’en sommes qu’au premier jour, à la première étape. Chaque
jour à venir nous dira comment, à la suite de Jésus, nous pouvons faire ce
chemin. A chacun de faire en sorte de n’en manquer aucun. Amen.
(L'entrée à Jérusalem, Miniature de O. Khizanetsi, Matenadaran, Erevan, 1307, reproduite par Nelda VETTORAZZO, Les principales fêtes chrétiennes, centro Russia Ecumenica, 2007)
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