Un
prêtre qui avait passé toute sa vie au service des plus pauvres, se dépensant
sans compter, avait été interrogé par des journalistes sur le sens de sa vie et
l’intérêt de faire le bien sans avoir de retour. Ne craignait-il pas d’avoir
raté sa vie s’il venait à découvrir que Dieu, finalement, n’existait pas ?
Sa réponse fut la suivante : si Dieu existe, comme je le crois, je
tiendrai ma récompense de lui ; s’il n’existe pas, comme vous semblez l’affirmer,
je n’aurai pas à regretter d’avoir fait le bien ; j’aurai fait preuve d’humanité,
et c’est déjà bien assez. N’est-ce pas cela qui est en jeu au moment où nous
nous retrouvons pour célébrer la passion de notre Seigneur Jésus Christ ? Savoir
ce qui permet de dire qu’une vie est réussie, intéressante à vivre ?
Mon serviteur
réussira, dit le Seigneur dans le livre du prophète Isaïe. Pourtant, ce qu’il
décrit de son serviteur, c’est tout, sauf une réussite à vue humaine : il était si défiguré qu’il ne ressemblait
plus à un homme… il était sans apparence ni beauté qui attire nos regards, son
aspect n’avait rien pour nous plaire. Méprisé, abandonné des hommes, homme de
douleurs, familier de la souffrance… nous l’avons méprisé, compté pour rien. Quelle
est donc cette réussite qui réduit le serviteur de Dieu à néant ?
Devant
le Christ crucifié, la même question vaut : l’abandon, les railleries, la
souffrance, la croix : sont-ce là les signes de la réussite de la mission
de Jésus ? Devant la croix, devant tant de douleur, nous pouvons nous
interroger : Jésus avait-il raison d’être juste, bon, miséricordieux,
proche des hommes, désirant leur vie et leur liberté ?
Le
Vendredi Saint n’est qu’un grand paradoxe, je vous l’accorde. Mais comme souvent,
pour ne pas dire toujours, les épreuves et les échecs permettent à la vie de
grandir. Si nous nous plaçons à l’époque des disciples, ce vendredi est un jour
sombre, la fin de l’histoire : nous,
nous espérions que c’était lui qui allait délivrer Israël, mais avec tout cela,
voici déjà le troisième jour qui passe depuis que c’est arrivé, confesserons
deux disciples rentrant chez eux à Emmaüs. Comment ne pas les rejoindre dans
leur sentiment d’échec, dans leur perte d’espérance en contemplant la croix
dressée ? Que devient la promesse de réussite formulée par Dieu alors que
tant d’hommes se sont prononcés contre lui : les chefs des prêtres, les
pharisiens et les scribes, Hérode et Pilate, et même la foule : tous l’ont
condamné à une mort infâmante, tous ont signé son échec. Même Dieu s’est tu !
Pourtant,
la première parole de Dieu que la liturgie nous livre, c’est cette promesse de
réussite, cette certitude formulée par Dieu lui-même que l’échec n’est pas
possible pour celui qu’il envoie. Une vie donnée aux autres ne peut simplement
être exclue du monde des hommes. Jamais on a vu Dieu abandonner un de ses
serviteurs : pourquoi commencerait-il avec Jésus ? Cette vie
crucifiée n’est-elle pas le résultat du service auquel Jésus nous invitait hier
soir ? La gloire du service ne s’affirme-t-elle pas justement dans une vie
offerte, librement, jusqu’à l’extrême ? Le chemin qui mène du monde des
hommes au monde de Dieu, s’il passe par le service de tous, ne suppose-t-il pas
une vie totalement donnée, totalement livrée à ceux que l’on sert justement ?
Y avait-il une autre issue possible dès lors que le service de tout homme
devenait la route à suivre ? Le service des hommes par Dieu lui-même aurait-il
été total s’il n’avait pas été jusqu’à la croix ? Sur la croix, Dieu prouve,
si besoin était, que rien ne l’empêcherait de servir l’homme pour que celui-ci
soit vraiment libre et vraiment vivant. La croix signe l’immense amour de Dieu pour
chacun de nous ; elle réaffirme son engagement total en faveur de l’homme.
Devant la croix, l’homme ne pourra que proclamer : il nous a servis et aimés
jusque-là, jusqu’au don ultime de sa vie.
Oui,
cette vie offerte semble bien avoir été une nécessité pour Dieu et pour les
hommes. Pour Dieu, parce qu’elle signe son engagement absolu au service des
hommes, acceptant même de s’anéantir totalement. Pour les hommes, parce que ce
jour ne saurait être le dernier jour de leur histoire. Leur monde ne s’arrête
pas de tourner ; leur Dieu n’arrête pas de les aimer, quand même. Mais cela,
il leur faudra un peu de temps pour s’en rendre compte. Pour ceux qui croient
en Jésus, il n’y a que cette promesse pour ne pas désespérer : mon serviteur réussira ! Devant la
croix et la contradiction qu’elle apporte à cette promesse, souvenons-nous de
cette autre promesse de Dieu : s’il
remet sa vie en sacrifice de réparation, il verra une descendance, il
prolongera ses jours : par lui, ce qui plaît au Seigneur réussira. Par suite
de ses tourments, il verra la lumière. Amen.
(Crucifixion, Miniature...., reproduite par Nelda VETTORAZZO, Les principales fêtes chrétiennes, Centro Russia Ecumenica, 2007)
(Crucifixion, Miniature...., reproduite par Nelda VETTORAZZO, Les principales fêtes chrétiennes, Centro Russia Ecumenica, 2007)
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