Maître, cette
femme a été surprise en flagrant délit d’adultère. Or, dans la Loi, Moïse nous
a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi, que dis-tu ? Nous sentons bien,
en entendant cette interpellation de Jésus que l’histoire doit mal finir. Jean
a-t-il vraiment besoin de préciser que les scribes et les pharisiens parlaient ainsi pour le mettre à l’épreuve,
afin de pouvoir l’accuser ? Le seul fait qu’ils n’amènent auprès de Jésus
que la seule femme montre bien leurs intentions hostiles. Ils ne veulent pas
engager le procès de l’adultère mais bien celui de Jésus. Comment va-t-il s’en
sortir ? En faisant œuvre de miséricorde à plus d’un titre !
Curieusement,
il me semble que les premiers bénéficiaires de la miséricorde de Jésus soient justement
et paradoxalement… les scribes et les pharisiens ! En les renvoyant à leur
propre condition [Celui d’entre vous qui
est sans péché, qu’il soit le premier à lui jeter une pierre], il éclaire
ceux qui sont dans le doute et qui sont venus chercher conseil auprès de lui.
Il leur évite surtout d’être accusé d’avoir manipulé la justice, ce qu’ils ont
fait de toute manière en oubliant la moitié du crime d’adultère ! Jamais,
avant ce jour, nous aurions imaginé qu’un adultère se commette tout seul ;
il faut nécessairement être au moins deux ! Jésus ne les dénonce pas
publiquement ; il ne les place pas devant leurs contradictions ; il
les invite à s’examiner. Sans avoir besoin de dire grand-chose, il a instruit
ces ignorants qui, lorsqu’ils comprennent enfin, se sont en allés un par un, en commençant par les plus âgés. Deux
œuvres de miséricorde spirituelles en leur faveur ! J’espère qu’ils auront
été reconnaissants pour ce bénéfice.
Venons-en
à la femme accusée d’adultère. Vous remarquerez d’abord que Jésus ne semble pas
tellement s’intéresser à elle : il ne lui demande pas d’explication ;
il semble même ailleurs au départ, s’abaissant pour écrire, Dieu sait quoi, sur
le sol. Vous remarquerez aussi qu’elle ne se défend pas. Elle n’a pas le
réflexe si courant de dire : ce n’est pas moi ; c’est la faute de l’autre.
Elle est consciente de son péché, elle reste silencieuse. Veut-elle éviter d’aggraver
son cas ? Son silence manifeste-t-il son regret ? Sans doute. Quand
enfin il ne reste plus qu’elle et Jésus, celui-ci ne l’interroge pas sur son
crime, mais sur ses accusateurs : Femme,
où sont-ils donc ? Personne ne t’a condamnée ? Le motif de sa
présence importe peu ; Jésus n’est pas curieux de savoir ce qu’elle a
fait, avec qui elle l’a fait et comment elle l’a fait. Ce qui excite la
curiosité de Jésus, ce sont les autres, les accusateurs soudain évanouis. Après
tout, ce sont eux qui sont venus vers Jésus avec une demande, pas cette femme. Mais,
à cette femme qui ne demandait rien, va être fait une grande grâce : la
grâce du pardon. Personne ne t’a
condamnée ? Moi non plus je ne te condamne pas. Va, et désormais ne pèche
plus. Jésus est-il trop cool avec cette femme ? Veut-il nous dire que
l’adultère, après tout, ce n’est pas si grave ? Ceux qui attendaient un
grand traité sur le lien conjugal et son caractère sacré en sont pour leur
frais. Mais n’allez pas croire pour autant que Jésus favorise le péché. Il ne condamne pas la femme, mais il ne l’autorise
pas davantage à poursuivre : désormais
ne pèche plus. Saint Augustin a écrit dans son traité sur saint Jean :
Le Seigneur a porté condamnation, mais il
a condamné le péché et non pas le pécheur. En invitant la femme à ne plus
pécher, c’est bien l’adultère qu’il condamne ; ne recommence pas ! La
femme, elle, il la libère, il lui rend sa dignité. Les scribes et les
pharisiens voulaient exercer la justice ; Jésus exerce la miséricorde. Il va
au-delà de la justice en laissant une chance à un avenir pour cette femme. Il nous
rappelle ainsi que personne n’est à identifier à son péché, et s’il faut
condamner le péché, il faut faire miséricorde à celui qui le commet. Au péché,
la fin ; aux hommes, un avenir nouveau, libéré du péché, du mal et de la
mort. Voici que je fais une chose
nouvelle, dit Dieu par son prophète Isaïe. Cette nouveauté absolue, c’est
bien l’exercice de la miséricorde par Dieu lui-même. Il n’est pas celui qui
punit, il n’est pas celui qui condamne ; Dieu est celui qui nous sauve ;
Dieu est celui qui nous libère ; Dieu est celui qui nous ouvre un avenir :
si Dieu n’est pas ainsi, alors changez-en, trouvez-en un autre. Pour reprendre
saint Paul entendu dans la seconde lecture, une
seule chose compte : oubliant ce qui est en arrière [le péché, la vie
sans Dieu], et lancé vers l’avant [une
connaissance toujours plus grande de Jésus Christ], je cours vers le but en vue du prix auquel Dieu nous appelle là-haut
dans le Christ Jésus. Ce but, c’est bien notre avenir, à savoir une vie
libérée, une vie tout entière sous le signe du Christ. Au péché, la condamnation ;
au pécheur, la liberté et la vie. Nous retrouvons ce que le pape François ne
cesse de demander aux prêtres confesseurs : détester le péché mais aimer
le pécheur pour qu’il découvre la tendresse et la miséricorde de Dieu et qu’il
comprenne enfin à quel point il est aimé.
Faire
miséricorde, ce n’est pas être laxiste ; faire miséricorde, ce n’est pas autoriser
tout et n’importe quoi. Faire miséricorde, c’est aller au-delà de la justice et
laisser un avenir ouvert à l’autre, à celui qui m’a blessé, à celui qui a mal
agit envers moi. Nous saisissons alors mieux l’importance de la miséricorde ;
sans elle, sans l’avenir qu’elle ouvre, la vie n’est pas possible. Sans miséricorde,
il n’y a plus d’humanité ; sans miséricorde, il n’y a plus que des règles
à respecter impérativement sous peine de mort. Sans miséricorde, l’homme perd l’image
et la ressemblance avec Dieu voulu par celui-ci depuis les origines. La miséricorde
que nous exerçons est bien le signe que Dieu vit en nous et que nous vivons de Dieu.
Il
nous faut remercier la femme adultère : grâce à elle, Jésus a pu nous dire
qu’au-delà de la justice, il y a la miséricorde ; au-delà du péché, il y a
un avenir toujours possible ; au-delà du pécheur, il y a l’humanité que Dieu
veut réconciliée avec lui. Que ces dernières semaines de carême soient pour
nous celles d’un pardon accueilli, d’une liberté renouvelée, d’un avenir
retrouvé. Amen.
(Dessin de la revue L'image de notre paroisse, n° 207, mars 2004, éd. Marguerite)
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