Laissez-vous
réconcilier avec Dieu ! Cette invitation résonne comme un cri du cœur
dans la deuxième lettre aux Corinthiens. On sent, dans ces mots, toute la
tendresse paternelle d’un Paul à l’encontre de ses fils qu’il a engendré à la
foi chrétienne. C’est parce qu’il les aime qu’il pousse les Corinthiens à cette
acceptation d’une miséricorde offerte par Dieu en Jésus. Et qu’importe si ce
cri semble en contradiction avec ce qu’il leur écrit quelques lignes avant,
lorsqu’il précise : Dieu nous a
réconcilié avec lui par le Christ. En plaçant côte à côte cette affirmation
de notre foi et son cri du cœur, Paul souligne toute la tension de la foi
chrétienne entre ce qui est déjà donné et ce qui est à accueillir encore. Cette
juxtaposition entre ce qui est et ce qui est encore à venir est le signe même
de la liberté absolue que Dieu laisse à l’homme.
Nous
constatons ceci dans la parabole du fils prodigue que nous a livré l’évangéliste
Luc. Voici encore une histoire bien connue de tous. Un père, deux fils, un
héritage à partager. Le fils le plus jeune, impatient de vivre sa vie,
librement, demande une avance sur héritage. Le père ne semble pas hésiter :
le plus jeune dit à son père : ‘Père,
donne-moi la part de fortune qui me revient’. Et le père leur partagea ses
biens. A peine demandé, sitôt reçu. A peine reçu son bien, le plus jeune s’en
va. Il s’en va vivre sa conception de la liberté et de la vie. Et c’est
forcément loin de chez son père. C’est bien connu : un homme n’est
vraiment libre que s’il se coupe de ceux qui l’aiment. En tout cas, c’est ce qui
semble être vrai pour le plus jeune… et pour le plus âgé des fils aussi. Il suffit
de relire ce qu’il dit à son père, quand le plus jeune est revenu et que la
fête bat son plein. Il y a tant d’année
que je suis à ton service sans avoir jamais transgressé tes ordres. Paroles
terribles dans la bouche d’un fils. Elles soulignent combien il se sent esclave
de ce père, donc pas libre, pas vraiment fils. Peut-être a-t-il tout auprès de
son père, mais ce tout lui semble soudain bien lourd, aussi lourd qu’une chaine
au cou. Il ne s’est jamais senti libre, ne serait-ce que libre de faire la fête
avec ses amis ! Le fils ainé ne se reconnaît pas fils, mais serviteur d’un
père qui lui semble soudain indigne. Ce père accueille en fanfare le rejeton
qui a dilapidé une part de la fortune, mais lui, l’aîné, le fidèle, qu’a-t-il
en retour ?
Nous
retrouvons la tension que Paul a déjà souligné aux chrétiens de Corinthe. Cette
tension nécessaire entre le déjà là et le pas encore est fondatrice de notre liberté,
fondatrice de notre foi. Dieu offre tout à l’homme, y compris une miséricorde
infinie, signée par le baiser accueillant le fils prodigue et pécheur. Mais l’homme
doit s’ouvrir aux dons que Dieu lui fait. Sinon, ces dons ne sont que des
cadeaux même pas déballés, jamais utilisés. Or les dons de Dieu sont des dons pour
la vie et le bonheur de l’homme. Le jeune fils doit s’ouvrir à cette
miséricorde en laissant son beau discours de côté, en se laissant revêtir du
vêtement de la fête, en se laissant redevenir fils par le don de l’anneau
familial, en se laissant libérer par le don des sandales, marque de l’homme
libre. L’aîné doit accueillir cette miséricorde faite à son jeune frère en se
laissant entraîner dans cette fête que, pour l’instant, il refuse. S’il ne
franchit pas la porte avec son père, il se fermera à la miséricorde, il se
coupera de la famille, il restera esclave de ses mauvais sentiments. La miséricorde
du père s’adresse bien à ses deux fils ; elle n’a d’autre but que de
montrer à chaque fils combien il est aimé de son père, combien cet amour est
plus grand que les frasques du plus jeune et plus grand que la mauvaise
compréhension que l’ainé a de sa relation à son père ; il n’est pas un
serviteur, mais un fils. Et la miséricorde accordée au plus jeune après une vie
de patachon doit lui permettre de se sentir vraiment fils après une vie
comprise comme celle d’un serviteur.
S’ouvrir
à la miséricorde de Dieu est un défi pour tous : pour ceux qui se
reconnaissent grand pécheur devant l’Eternel, et pour ceux qui se croient
parfaits devant Dieu et devant les hommes. Il ne suffit pas que Dieu soit
miséricordieux envers nous ; il faut encore que nous acceptions cette
miséricorde, que nous l’accueillions dans notre vie, et que nous en témoignions
auprès de tous. Il nous faut laisser, dans notre vie, un espace à la
miséricorde de Dieu pour qu’elle puisse s’exercer et que nous puissions en
vivre. Amen.
(Dessin de Coolus, Blog du lapin bleu)
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