Reconnaissons-le : il
arrive que des mots sortent de notre bouche sans que nous les ayons vraiment
réfléchis. Et souvent, sitôt dit, ils sont sitôt regrettés ; comme si nous
réalisions un peu tard ce qu’ils signifient. Je me demande s’il n’en est pas un
peu ainsi avec cet homme qui dit à Jésus : Je te suivrai partout où tu iras ! Sait-il seulement ce qu’il
vient de dire ? Sait-il que Jésus marche vers Jérusalem ?
Peut-être ! Sait-il que Jésus marche ainsi vers sa mort ? J’en
doute ! Jésus n’a confié ce secret qu’aux Douze ! Je crains vraiment
que cet homme ne saisisse pas bien la portée de son affirmation. A moins qu’il ne
soit extraordinaire de lucidité et qu’il ait réussi à percer les projets de Dieu !
Cette affirmation rejoindra ainsi la longue liste des affirmations faites à
l’emporte-pièce qui n’engagent que leurs auteurs, et encore !
Puisque la liturgie nous
remet en mémoire cet épisode de la vie de Jésus, il nous faut alors nous
interroger personnellement : que signifie cette phrase pour nous ?
Car enfin, nous la disons bien, peut-être pas avec ces mots, mais avec nos
gestes, nos symboles, nos sacrements ! N’y a-t-il pas quelque chose de
cette affirmation dans chaque sacrement ? En venant à la messe chaque
dimanche, n’est-ce pas une manière de dire que nous voulons être avec Jésus ?
En nous engageant à la suite du Christ par le baptême, n’est-ce pas justement
cela que nous disons : avec toi, Jésus, je veux aller partout ?
Alors que signifie cette
phrase lorsque l’on baptise par habitude plus que par conviction ? Que
signifie cette phrase pour l’enfant qui a fait sa première communion, et pour
qui celle-ci semble être sa dernière ? Que signifie cette phrase pour le
confirmand qui achève son initiation et qui lâche tout, juste après, parce que,
vous comprenez, il a tant à faire, le pauvre ? Que signifie cette phrase
pour les époux qui se séparent à la première tempête, rompant ainsi l’alliance
qu’ils avaient juré de garder ? Que signifie cette phrase pour les
prêtres, ordonnés au service de Dieu et des frères, lorsqu’ils se découragent
devant des situations ainsi énumérées ou trahissent gravement leur
sacerdoce ? Notre parole a-t-elle du sens ? Notre parole a-t-elle du
poids ? Ou faut-il se contenter de suivre le mouvement, et n’en pas
demander plus ?
Je te suivrai partout où tu iras ! Et si cette affirmation
sonnait pour nous comme un réveil ? Et si cette phrase était avant tout un
défi à relever, avec le Christ ? Pouvons-nous imaginer ce que serait nos
communautés si nous prenions Jésus et son Evangile au sérieux ? N’est-ce
pas là une provocation salutaire ? Je
te suivrai partout où tu iras, même si c’est difficile, même et surtout
sans savoir où tu veux me conduire. Je te suivrai parce que tu me montres le
chemin, ce chemin qui mène à la solitude du Vendredi Saint et de la Croix pour
parvenir à la clarté du matin de Pâques et au cri de joyeuse espérance. Je te suivrai partout où tu iras, parce
que là se trouve ma joie, là se trouve ma vie. Et tant pis pour ceux qui ne
comprennent pas ! Je te suivrai
partout où tu iras, même et surtout s’il y a des jours où je m’en trouve
indigne parce que mon péché, ma finitude, me semblent m’en rendre indigne. Je te suivrai partout où tu iras parce
que je sais que là se trouve ma purification, mon soutien sur le chemin de la
sainteté. Parce qu’il ne faut pas attendre d’être saint pour suivre le
Christ : il suffit de l’avoir rencontré, de vouloir l’écouter et de
partager avec lui ce qui fait notre vie.
Je te suivrai partout où tu iras ! Ce n’est donc pas seulement
une belle phrase, c’est une vraie profession de foi en Dieu, en l’homme, en
leur avenir commun. Elle devrait rappeler à chaque baptisé à quoi il s’est
engagé un jour ; à chaque communiant que Dieu est toujours présent,
invitant sans cesse au repas de son amour ; à chaque confirmé que Dieu
offre toujours et encore sa présence par son Esprit Saint ; à chaque
couple en difficulté que Dieu offre son amour et sa fidélité pour soutenir les
leurs ; à chaque pécheur que Dieu est miséricordieux et qu’il attend et
espère le retour du fils prodigue ; à chaque malade que Dieu lui-même
partage son lit de souffrance et ouvre un vrai chemin de vie ; à chaque
prêtre que là est justement sa vie puisque c’est aussi celle de Dieu.
Seigneur, je te suivrai partout où tu iras !
Si nous refaisions nôtre, en vérité, cette affirmation, le Christ aurait de
quoi reposer sa tête, parce qu’il pourrait la reposer en nous, en nos vies, en
nos cœurs assoiffés de sa présence. Seigneur, je te suivrai partout où tu iras ; ainsi tu pourras reposer en
moi, et moi en toi. N’est-ce pas à cela que Dieu nous invite d’abord ? Avec
le psalmiste, nous avons chanté : Garde-moi,
mon Dieu, j’ai fait de toi mon refuge ; j’ai dit au Seigneur, tu es mon Dieu…
Je garde le Seigneur devant moi sans relâche ; il est à ma droite : je
suis inébranlable. Puisse le Seigneur nous accorder ce que nous lui avons
demandé, et nous pourrons vraiment le suivre partout où il ira. Amen.