Dieu
ne regarde pas comme les hommes : les hommes regardent l’apparence, mais
le Seigneur regarde le cœur. Cette parole du Seigneur au prophète
Samuel nous invite à entrer dans une posture spirituelle essentielle, celle qui
consiste justement à regarder le monde et les hommes avec le regard même de Dieu.
Il s’agit bien de nous défaire de nos préjugés, de nos croyances, de nos
discours tout fait, pour entrer dans une écoute vraie de ce que Dieu veut.
Dieu
ne regarde pas comme les hommes : les hommes regardent l’apparence, mais
le Seigneur regarde le cœur. Et David devient roi, alors que tout
s’y opposait. Il est le plus jeune, il est roux, il semble même oublié par son propre
père Jessé lorsque celui-ci présente ses fils à Samuel. C’est tout dire !
Il faut l’insistance de Samuel – N’as-tu pas d’autres garçons ? – pour
que Jessé aille quérir le jeune David, occupé à garder le troupeau. Remarquez
que Samuel lui-même s’est laissé prendre au jeu de l’apparence. A peine a-t-il
vu Eliab qu’il s’exclame : Sûrement, c’est lui le messie, lui qui
recevra l’onction du Seigneur ! Il avait peut-être le physique d’un
chef ; mais en avait-il le cœur ? Pour le Seigneur, la taille et l’apparence
ne comptent pas. Il cherche un homme selon son cœur, et cet homme ce sera
David. Ainsi Dieu en a-t-il jugé ! Il faudra que les hommes s’habituent à
cette manière de voir de Dieu. Elle n’est pas nouvelle. Autrefois n’avait-il
pas déjà choisi le plus jeune des fils de Jacob pour sauver tout son clan au
moment de la grande famine ?
Dieu
ne regarde pas comme les hommes : les hommes regardent l’apparence, mais
le Seigneur regarde le cœur. Et l’aveugle voit ! Il voit
parce Jésus ne l’enferme pas dans un passé supposé – Est-ce lui qui a péché
ou bien ses parents pour qu’il soit né aveugle – , mais lui ouvre un
avenir. Il voit parce que Dieu ne
regarde pas la lettre de la Loi – c’est jour de sabbat – mais l’esprit
de celle-ci : voici un homme qui a besoin d’aide pour vivre mieux, et quel
meilleur jour que celui du sabbat, le jour où l’on rend gloire à Dieu ! Il
voit enfin parce que Dieu veut manifester sa puissance et que l’aveugle se laisse faire quand un
inconnu lui met de la boue sur les yeux ; et non seulement il laisse
faire, mais il obéit et va se laver à la piscine de Siloé sur l’ordre de Jésus.
Nous ne savons pas ce que Dieu a vu en cet homme pour que son salut lui
soit manifesté ; nous savons juste
que le jour de Dieu était venu pour cet homme et que cet homme était bien
disposé !
Dieu
ne regarde pas comme les hommes : les hommes regardent l’apparence, mais
le Seigneur regarde le cœur. Et les voyants deviennent aveugles !
Ils sont aveuglés parce qu’incapables de dépasser leur conception du monde ;
peut-être que cet homme qui voit n’est pas vraiment l’aveugle qui se tenait à
la porte du Temple ; ce n’est sans doute que quelqu’un qui lui
ressemble. Ils sont aveuglés parce qu’ils sont incapables de s’ouvrir à la
nouveauté d’un Dieu qui se dérange pour l’homme, la nouveauté d’un Dieu qui
intervient en faveur des hommes. Il n’est pas le Dieu qui punit quelqu’un pour
le péché d’un autre ; il n’est pas un Dieu qui reste au repos, même le
jour du sabbat, alors qu’un pauvre a besoin d’une aide, d’un geste, d’un peu d’amour.
Ils sont aveuglés parce qu’ils refusent d’entrer dans ce regard de Dieu ;
aveuglés parce qu’ils refusent que Dieu puisse faire miséricorde ;
aveuglés parce qu’ils cherchent des explications convaincantes plutôt que d’entrer
dans une démarche de foi et d’action de grâce. Avec le regard de Dieu, l’aveugle
voyant devient disciples et les voyants aveuglés s’enferment dans le Temple de
leur certitude.
Dieu
ne regarde pas comme les hommes : les hommes regardent l’apparence, mais
le Seigneur regarde le cœur. N’est-ce pas cette même démarche que
nous propose le pape François depuis son élection lorsqu’il nous invite à
davantage sortir de nous, de nos certitudes, de nos églises, pour aller vers
les périphéries, sans crainte et sans jugement ? N’est-ce pas à ce regard
qu’il nous invite lorsqu’il nous demande de vivre l’Eglise comme un hôpital de
campagne pour ceux qui ont besoin de Dieu, besoin d’une parole, besoin d’une
reconnaissance de ce qu’ils vivent, même si cela est hors les clous du droit
canonique ? Puisque Dieu voit ce que nous ne voyons pas, puisque Dieu voit
ce que nous ne voyons plus et puisque Dieu voit surtout ce que nous ne voulons
pas voir, laissons-nous éclairer par son Christ, lumière du monde. Avec lui,
nous porterons un regard nouveau sur les hommes, nos frères ; avec lui,
nous porterons un regard nouveau sur notre propre vie. Voyants aveuglés, nous
retrouverons la vue avec lui en apprenant de lui à regarder comme Dieu. Alors,
dans un chant sans fin, nous pourrons rendre grâce à Dieu pour les grandes
choses qu’il nous donnera de voir. Amen.