Reconnaissons-le :
il y a, dans la présentation que certains peuvent faire du Carême, une notion
qui peut nous décourager si elle est mal comprise, la notion d’effort à faire. Aussi
loin que je me souvienne, chaque année, les catéchistes nous parlaient des efforts
à faire, des choses dont il fallait se priver, d’un truc à trouver pour montrer
vraiment que nous voulions être amis de Jésus. Le plus décourageant, c’est que,
quel que soit l’effort choisi, il semblait ne jamais suffire, puisqu’il fallait
sans cesse recommencer, en trouver un autre l’année suivante. Cela semblait un
cercle infernal, sans fin. Est-ce mon effort qui n’est pas bon ou bien Dieu qui
est difficile à satisfaire ? Comment sortir de cette impasse ?
Cela
m’aura pris du temps pour trouver une issue et laisser là les improbables
efforts de Carême. Il aura simplement fallu que je comprenne que Jésus n’attendait
pas tant de moi que je renonce à des choses, mais plutôt que je fasse le bon
choix. Et le bon choix, c’est lui. Tant que vous regarderez ce que vous devez
quitter pour plaire à Jésus, vous serez dans une impasse. Mais dès lors que
vous regardez Jésus que vous gagnez, tout le reste ne vous semble que des
balayures, des riens que vous laissez volontiers pour ce trésor qu’est l’amour
du Christ pour vous. Autrement dit, et pour être vraiment clair, Dieu n’attend
pas d’abord des preuves de notre amour pour lui, mais plutôt une preuve que
nous nous laissons aimer de lui, que nous accueillons son amour dans nos vies. N’est-ce
pas là ce qu’explique Paul à Timothée lorsqu’il écrit que Dieu nous a
sauvés, il nous a appelés à une vocation sainte, non pas à cause de nos propres
actes, mais à cause de son projet à lui et de sa grâce ? Ce qui est
premier, ce ne sont pas nos efforts, mais l’amour de Dieu pour nous, le projet
d’amour que Dieu porte pour chacun. Quiconque a découvert ce projet pour lui ne
peut résister ; il se laisse embarquer par Dieu, il se laisse saisir par
son amour ; et ce qui semblait effort irréalisable auparavant, devient
réponse amoureuse à un projet qui nous dépasse et qui nous conduit à la joie
véritable.
Regardez
Abram lorsqu’il est choisi et appelé par Dieu. Nous ne savons rien de lui
lorsque Dieu l’appelle, ni son âge, ni sa vie antérieure. Nous ne savons pas s’il
a été bon, ni ce qu’il fait pour gagner sa vie. Nous ne savons même pas s’il
connaissait Dieu, s’il avait l’habitude de converser avec lui. Nous savons
juste que Dieu est à l’initiative d’une rencontre, à l’initiative d’un projet,
et qu’Abram se lance, sans poser de question. Il ne sait pas où il doit aller,
ni pourquoi la bénédiction de Dieu ne peut se réaliser que là-bas, ailleurs, au
loin. Après tout, il aurait pu objecter que l’endroit où il vivait n’était pas
mal non plus, et que si Dieu voulait le bénir, il pourrait bien le faire ici,
où il a toute sa famille, toute sa parenté, toute sa vie. Mais voilà, quand Dieu
saisit Abram, toute la vie de celui-ci est désormais en Dieu, et son bonheur ne
pourra être que dans la réalisation du projet que Dieu porte pour lui. Et si
pour cela il faut partir, eh bien Abram part. il renonce à tout son passé pour
un avenir fait de promesses.
C’est
cela le temps du Carême : une mise en route par Dieu vers l’accomplissement
d’une promesse. Et cette promesse n’est rien moins que notre vie, notre
bonheur, notre avenir. En suivant Dieu, en nous laissant aimer de lui, nous ne
quittons rien, nous ne perdons rien ; nous gagnons tout ! Et c’est
cela qu’il nous faut comprendre. Dieu nous offre tout dès lors que nous
répondons oui à son appel. Dieu nous offre sa vie dès lors que nous lui faisons
une place dans la nôtre. En vivant avec Dieu, nous comprendrons vite qu’il y a des choses d’avant qui ne sont pas
à leur place, et nous les abandonnerons, volontiers et sans effort, parce que
ce que nous gagnons est bien plus fort que ces choses, bien plus beau, bien
plus apte à remplir notre vie et lui donner sens.
N’est-ce
pas l’expérience que font Pierre, Jacques et Jean au jour de la transfiguration ?
Juste avant cet épisode, Jésus avait annoncé à ses disciples qu’il allait être
livré et condamné à mourir. Il avait aussi annoncé à ses amis qu’il leur faudrait
prendre à leur tour leur croix et le suivre (les fameux efforts à faire !).
Peut-être les a-t-il senti désorientés, un peu perdu devant tant de choses à
digérer. Alors, l’espace d’un instant, à trois d’entre eux, il se révèle tel qu’il
est depuis toujours et tel qu’il sera pour toujours : dans la gloire de Dieu
lui-même. A ceux à qui il vient de demander de prendre leur croix, il révèle le
but, ce qu’ils ont à gagner à le suivre sur ce chemin certes exigeant :
rien moins que la vie dans la gloire avec le Christ, leur maître. Je ne dis pas
que cela rend la croix plus supportable, mais cela éclaire d’un jour nouveau le
chemin à parcourir ; cela donne de la force et de l’espérance dans les
difficultés. Cela redit le projet de Dieu pour tous et pour chacun et nous
rappelle qu’il nous donne la grâce nécessaire pour le réaliser.
Ne faisons
donc pas des efforts de carême pour faire des efforts de carême ; mais
faisons une place plus grande au Christ qui vient nous sauver. Accueillons sa
grâce, accueillons sa vie en nous et nous n’aurons plus qu’une envie : lui
laisser toute la place nécessaire pour que ce ne soit plus nous, ni le Mal, ni
nos passions, mais lui qui vive en nous, aujourd’hui et toujours. Parce que tel
est son projet à lui, tel est son amour pour nous. Amen.
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