Alors leurs yeux à tous deux s’ouvrirent et
ils se rendirent compte qu’ils étaient nus ! Il y a quelque chose de
dramatique dans cette affirmation du Livre de la Genèse, parce que rien ne
préparait nos premiers parents à une telle découverte. Ils ont posé un choix,
contraire à la parole reçue de Dieu, et les voilà nus, dépossédés de cette
parole qui les a fait vivre. Ils ont posé un choix, contraire à la parole reçue
de Dieu et plus rien n’est comme avant. Il faudra maintenant vivre avec
ça : par un seul homme, le péché est
entré dans le monde ; à cause d’un seul homme, par la faute d’un seul, la
mort a établi son règne. S’ils avaient pu prévoir, s’ils avaient pu savoir,
auraient-ils écouté une autre voix ? Auraient-ils prêté attention à la
voix du serpent qui travestit la voix de Dieu ? Il est trop tard pour
s’apitoyer, trop tard pour faire de la théologie fiction : l’événement a
eu lieu. Il n’est plus temps de deviser sur le passé. On peut le regretter, mais
il nous faut vivre avec ce choix primordial et ses conséquences.
N’en est-il
pas ainsi pour nous, chaque jour : confrontés à la vie quelquefois rude,
toujours pressés, nous n’avons pas toujours le temps de réfléchir, pas toujours
le temps de mesurer toutes les conséquences de nos décisions. Et il nous faut vivre
avec ! Le temps du Carême où nous sommes voudrait nous permettre une prise
de recul pour évaluer les choix que nous avons fait et éventuellement redresser
la barre si cela est possible. Là où nos premiers parents se rendaient compte
qu’ils étaient nus sans savoir comment poursuivre, il nous est possible de
changer : en effet, de même que par la
désobéissance d’un seul être humain la multitude a été rendue pécheresse, de même
par l’obéissance d’un seul la multitude sera-t-elle rendue juste. Nous
mesurons pleinement, en méditant ce passage de l’épître aux Romains, combien
l’œuvre du Christ est fondamentale pour nous, pour notre salut. Nous mesurons
combien son comportement face à la tentation est riche d’enseignement. Après
quarante jours de jeûne, affamé, épuisé, il est confronté au Mauvais, au
serpent, à celui qui veut travestir encore une fois la Parole de Dieu, et qui
ne se gène pas pour le faire. Mais malgré sa fatigue, Jésus tient tête, grâce à
cette même parole : il est écrit, il
est encore écrit, car il est écrit ! Il semble tellement facile à
l’Adversaire de citer la Parole de Dieu pour induire en erreur, qu’il faut
toute l’attention du Fils unique pour ne pas se tromper quant à la Parole
authentique de son Père. C’est bien cette parole du Père qui tient le Diviseur
à distance. Lorsque nous sommes sûrs de Dieu, confiants en sa Parole, rien ne
saurait nous ébranler ! Le temps du Carême est un temps favorable pour
revenir à l’authenticité de la Parole et pour redécouvrir sa puissance à
l’œuvre dans nos vies. Avec elle, nous pouvons faire les bons choix. Avec elle,
nous ne nous trompons pas !
Alors leurs yeux s’ouvrirent ! Nous
pouvons profiter de ce carême pour vivre la même expérience : ouvrir les
yeux sur notre vie. Non pas pour nous désespérer ; non pas pour nous
condamner ; mais ouvrir les yeux pour nous sauver avec l’aide du Christ.
C’est ce que propose l’Eglise lorsqu’elle invite à la célébration de la
pénitence et de la réconciliation. Aidés
de la Parole de Dieu qui nous invite à une vie plus belle, nous pouvons
regarder notre vie, en découvrir nos faiblesses et décider de changer. Là où
l’Adversaire avait réussi à déstabiliser nos premiers parents, l’Eglise nous
propose de réentendre la Parole de Dieu vraie pour nous aider à nous libérer du
Mal qui ronge notre cœur. Prendre le temps du Carême pour relire à frais
nouveaux la Parole de Dieu nous aidera à accueillir la parole de paix et de
pardon que Dieu veut prononcer pour nous. Et nous aussi, nous verrons que nous
sommes nus !
Nus parce que
éloignés de Dieu, nus parce que rongés par le remord, nus parce que nous avons
défiguré en nous l’image de Dieu. Mais nous rendant compte de cela, nous
pourrons aussi espérer. Espérer en Christ, plus fort que le Tentateur ;
espérer en Christ qui a livré sa vie par amour de nous ; espérer en Christ
qui nous vaut d’être à nouveau des justes par sa seule obéissance à Dieu. La
célébration du sacrement de la pénitence et de la réconciliation ne nous
enferme pas dans notre mal : elle nous en libère. Nus comme nos premiers
parents après avoir ouverts les yeux sur la réalité de notre existence, nous
pouvons revêtir le Christ comme au jour de notre baptême. Il nous habille de
son innocence ; il nous habille de sa proximité de Dieu ; il nous
habille de son amour ; il nous habille de son pardon obtenu au prix de son
sang.
Alors leurs yeux s’ouvrirent et ils se rendirent
compte qu’ils étaient nus ! Par l’œuvre de salut opérée par le Christ,
ce qui était un drame pour nos premiers parents devient pour nous source d’espérance.
Heureuse faute de l’homme qui valut au
monde un tel Sauveur ! Ou comme il est écrit encore : là où le péché a abondé, la grâce a
surabondé ! Dieu nous aime tellement qu’il n’y a pas de péché assez
grand pour nous couper de son amour. Plus nous nous éloignons de Dieu, plus il
nous aime, plus il veut nous faire sentir son amour. Puissions-nous ouvrir les
yeux et nous rendre compte que sans lui, nous sommes nus ; par le pardon
offert sacramentellement par l’Eglise, il nous vêtira des vêtements du salut.
Durant ce carême, faisons le choix de révéler à Dieu notre nudité, laissons-le
nous envelopper de son amour. Amen.
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