Les détails,
tout est dans les détails, en cette semaine sainte. Dimanche, c’était l’ânesse
et son ânon qui nous interpellaient ; aujourd’hui, c’est le repas auquel
nous sommes invités qui doit faire sens pour nous. Car ce repas n’est pas n’importe
quel repas. Il nous renvoie d’abord à ce fameux repas que nos frères ainés dans
la foi avaient partagé au moment où Dieu venait les libérer. Souvenez-vous…
Il y
a longtemps, du temps où il avait décidé de libérer son peuple d’Egypte, Dieu
invita les Juifs à un repas rapide, pris sur le pouce, la ceinture aux reins,
le bâton à la main. Un repas vite fait : viandes rôties, pains non levés,
herbes amères, pour marquer le début d’une ère nouvelle : le temps de la
Pâque, le temps du passage de Dieu, le temps de la libération. Pressés de
sortir de ce lieu d’esclavage qu’était l’Egypte, les Juifs n’avaient pas le
temps de déployer porcelaine et cristal pour marquer ce grand jour. La
libération se fera à la sauvette, et le repas de Dieu se réduira presque à un
sandwich. Ils auront tout le temps de déployer les fastes lorsqu’ils
célèbreront le souvenir de cette nuit, une fois libérés. Pour l’heure, il s’agit
de se tenir prêt. Lorsque Dieu passera pour libérer son peuple, il faudra
s’engouffrer dans cette brèche qu’il ouvrira, de peur que quelqu’un d’autre ne
la referme. Il faudra être prêt à suivre le Libérateur. Il n’est plus temps de
s’installer : Dieu attend déjà sur la route, au-dehors, au-devant…
Il en va
de même pour nous ce soir. A table ! semble être le mot d’ordre de cette
liturgie du Jeudi Saint. La raison profonde de notre présence, c’est bien
l’appel du Christ à venir nous asseoir à sa table pour le repas d’adieu qu’il
donne avant sa mort. Un de ces moments graves où il n’est plus temps de plaisanter.
Saint Paul rappelle aux chrétiens de Corinthe le sérieux et les exigences de ce
repas. Un repas simple et rapide (du pain et du vin) qui proclame la mort et la
résurrection de Jésus dans l’attente de son retour dans la gloire. Un repas
rapide qui nous interdit de nous installer, qui nous pousse à nous tourner vers
nos frères, à l’image du Christ lavant les pieds de ses disciples. Ce geste de
Jésus au soir du Jeudi Saint révèle le sens profond de la mort / résurrection de
Jésus et de l’Eucharistie qui la commémore. Ce sens dévoilé, c’est le don de
toute la vie pour le service des autres, pour le salut du monde. L’Eucharistie
bien vécue est celle qui nous ouvre aux autres par le partage et le service.
S’asseoir ensemble à la même table signifie bien porter le souci de tous ceux
qui sont autour de nous et de ceux qui n’ont pu venir. La messe ne nous replie
pas sur nous-mêmes, jamais.
Ce repas
que nous allons partager dans un instant est un repas rapide, un repas offert
et non mérité. Ce n’est pas à cause de notre sainteté légendaire que nous
sommes accueillis par le Christ, mais parce que le Christ a voulu que sa table
soit ouverte à tous, surtout aux pécheurs. Il ne saurait y avoir d’exclus de la
table de l’amour ! Les mets consommés (pain et vin devenus corps et sang
du Christ) sont ceux-là mêmes qui nous donneront la force de vivre de la Bonne
Nouvelle. Car il ne s’agit pas seulement de manger pour vivre ; il s’agit
de manger pour agir ; il s’agit de manger pour témoigner. Témoigner que Dieu
ouvre les bras à celles et ceux qui s’approchent de lui ; témoigner que l’homme
est plus important que la loi et donc qu’aucune loi ne mérite qu’on lui
sacrifie ne serait-ce qu’un homme ; témoigner que le pardon finit par
vaincre toutes les violences ; témoigner que la miséricorde est la clé du
bonheur ; témoigner que la grandeur de l’homme consiste à se courber pour
être à la hauteur des petits, et que le service est l’unique façon d’être grand
devant Dieu ; témoigner que Dieu ne demeure dans aucune église ni
cathédrale, mais qu’il marche sur la terre des hommes ; témoigner enfin qu’il
n’y a pas de pain ni de richesses qui ne doivent être partagés !
A ceux
qui pensent que c’est là chose impossible à vivre, il faut rappeler que ce pain
et ce vin offerts sont signes de la vie du Christ donnée, déchiquetée, écrasée
afin d’éveiller la terre à un nouvel esprit.
Quand le Christ nous invite, en chaque eucharistie, à manger son corps
et boire son sang, il nous invite d’abord à accueillir sa façon de vivre, à
accueillir sa Bonne Nouvelle. Il nous nourrit de sa propre vie pour que nous
soyons forts, pour que soyons des Christ à notre tour. En communiant, nous
proclamons que sa mort n’a pas été inutile puisqu’aujourd’hui encore, sa vie se
propage en nous et nous met en mouvement. Dans ce repas simple et rapide qui nous
est toujours offert, laissons-nous configurer au Christ pour, comme saint
Augustin aimait à le rappeler, devenir vraiment ce que nous recevons :
le corps du Christ. Amen.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire