Pourquoi,
Seigneur, nous laisses-tu errer hors de tes chemins ? La question posée
par le prophète Isaïe, au moment même où il vient de redire sa foi en Dieu,
« Notre-rédempteur-depuis-toujours », peut surprendre. Elle est la
question de beaucoup d’hommes et de femmes. Si Dieu est bon, si Dieu veut le
bonheur de l’homme, comment peut-il laisser l’homme s’en aller à sa
perte ? Comment peut-il laisser nos
cœurs s’endurcir et ne plus le craindre ?
La question posée par le prophète est fondamentalement celle de la manière
dont l’homme se situe face à Dieu, son Créateur, et en même temps la question
de la manière dont Dieu conçoit son rapport aux hommes.
Commençons par le point de vue de l’homme
sur Dieu. Il n’y a que deux manières d’envisager notre rapport à Dieu. Première
manière : nous estimons que nous n’avons besoin de personne, que nous
sommes notre propre origine et notre propre Dieu ; dans ce cas la question
du prophète Isaïe n’est au mieux qu’une curiosité, au pire la trace d’une
superstition inacceptable qui enferme l’homme dans une prison dont il doit se
libérer au plus vite. L’homme ne sera vraiment libre et heureux qu’une fois
débarrassé de toutes ces croyances qui le réduisent à n’être qu’un pantin entre
les mains d’un être supérieur que personne n’a jamais vu. Deuxième
manière : l’homme reconnaît qu’il n’est pas sa propre origine, qu’il est né
du désir de Dieu et que Dieu veut entrer en alliance avec lui. Au minimum,
l’homme reconnaît qu’il y a quelque chose,
sans trop savoir qui ou quoi, mais ça ne l’empêche pas de vivre, ni de faire ce
qu’il veut quand il veut. Pour lui, Dieu n’est ni un problème, ni vraiment une
question. C’est un peu comme ce voisin avec qui il faut composer au quotidien.
Nous savons qu’il est là, mais bon, tant qu’il ne nous dérange pas, tant qu’il
ne nous demande rien, ça va. Et puis il y a l’homme pour qui Dieu est
important. Il n’est pas qu’une vague connaissance ; il est quelqu’un avec
qui l’homme est en relation ; il prend du temps pour Dieu, comme nous le
faisons ce matin. Nous avons bravé le froid pour célébrer Dieu et les
merveilles qu’il fait pour nous. Mais que disons-nous de lui ?
Rejoignons-nous Isaïe dans son questionnement ? Il y aurait de quoi !
Notre monde n’est pas des plus apaisés ; des hommes en massacrent d’autres
au nom de Dieu, sans aucune vergogne. Nous pourrions redire avec le
prophète : Pourquoi laisser nos
cœurs s’endurcir et ne plus te craindre ? Nous croyons en Dieu, mais
nous constatons que le monde ne tourne plus rond, que les hommes se sont
éloignés de Dieu ; et nous pouvons croire, devant tant de violence, que Dieu
lui-même s’est retiré du monde. Comment peut-il encore vouloir avoir quelque
chose à faire avec des hommes qui le trahissent, qui pervertissent son
nom ?
Sans vouloir nous prendre pour Dieu, nous
pouvons deviner, à travers les Ecritures, la manière dont Dieu alors envisage
son rapport aux hommes. La Bible, que ce soit dans la Première ou dans la
Nouvelle Alliance, nous apprend que Dieu a un projet pour l’homme, un projet de
salut. Dieu ne s’envisage pas lui-même sans l’homme. Il l’a créé comme un vis-à-vis,
comme un partenaire à qui il a confié son bien, sa création. Il laisse l’homme
libre de ses choix, libre de ses orientations : à lui de choisir le Bien
ou le Mal, la vie avec Dieu ou la vie sans Dieu. La Bible nous dit aussi la
proximité de Dieu avec ceux qui, humblement, suivent ses chemins. Dieu veille
sur son peuple, Dieu prend soin de lui. Ils sont nombreux, les passages où l’on
voit que Dieu ne veut pas la mort du
pécheur, mais qu’il se convertisse et qu’il vive. Mais la Bible nous montre
aussi que Dieu ne force pas l’homme ; il ne le force même pas à croire en
lui. L’amour de Dieu pour nous va jusqu’à accepter que nous puissions croire
que nous n’avons pas besoin de Dieu. Ce qui fera dire à saint Jean : Voyez de quel grand amour Dieu nous a aimés.
Il y a là la réponse au questionnement d’Isaïe. Dieu laisse l’homme errer hors de ses chemins, parce que Dieu ne veut pas s’imposer à l’homme. La liberté
de l’homme est plus importante pour Dieu que l’affirmation de sa propre
existence. Cela ne signifie pas que Dieu se désintéresse de l’homme, ni qu’il
tourne le dos à ceux qui s’éloignent de lui. Au contraire : comme le dit
si bien Isaïe, Dieu vient rencontrer
celui qui pratique avec joie la justice. Dieu revient vers l’homme qui l’appelle du fond de sa misère.
Quand Jésus apprendra à ses disciples à
s’adresser à Dieu, il leur enseignera la prière du Notre Père. Elle dit tout du
rapport de l’homme avec Dieu. Elle nous permet, dans sa première partie,
d’adresser à Dieu notre louange pour ce qu’il est, pour sa volonté de salut
pour tous les hommes. Elle nous fait ensuite demander à Dieu nos besoins les
plus fondamentaux : le pain quotidien, le pardon de nos péchés sans lequel
notre relation à Dieu serait compromise, et sa protection contre le Mal. En ce
premier dimanche de l’Avent, l’Eglise de France a choisi d’utiliser pour la
première fois la nouvelle formule née de la traduction renouvelée en langue
française des lectionnaires. Nous ne dirons plus désormais Et ne nous soumets pas à la tentation, mais Et ne nous laisse pas entrer en tentation. Un changement qui doit
nous permettre de mieux comprendre que ce n’est pas Dieu qui tente l’homme, et
que l’homme peut toujours invoquer Dieu d’être présent à sa vie dans le temps
des épreuves et des difficultés. Ne nous
laisse pas entrer en tentation tout seul ; autrement dit : Sois avec nous toi dont le Fils a
affronté la tentation et en est sorti vainqueur. Sois avec nous pour que nous
puissions vaincre aussi ; sois avec nous pour que le Mal n’ait plus de
prise sur nous.
A la question du prophète Isaïe (Pourquoi nous laisses-tu errer hors de tes
chemins ?), l’Eglise nous fait répondre désormais : Ne nous laisse pas entrer en tentation. Même
si nous marchons loin de toi par moment, reste encore avec nous, sois toujours
avec nous. Nous pouvons le dire justement parce que, en Jésus, Dieu a répondu
favorablement à la demande d’Isaïe : Si
tu déchirais les cieux, si tu descendais… Nous sommes en route vers Noël,
cette fête au cours de laquelle Dieu est descendu parmi nous sous la figure
d’un Nouveau-Né. Préparons-nous à l’accueillir ; préparons-nous à être
avec lui comme lui est avec nous : toujours présent, toujours
bienveillant. Pour une fois, laissons-nous tenter par cet Enfant à naître, par
la vie qu’il nous propose, par le bonheur qu’il nous offre. Amen.
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