Le hasard du calendrier fait que, cette
année, la quatrième semaine de l’Avent est réduite à sa plus simple
expression : des premières vêpres du quatrième dimanche aux premières
vêpres de Noël, soit à peine vingt-quatre heures. Pour la plupart des personnes,
c’était encore moins long, puisque beaucoup n’auront même pas chanté les
vêpres. Ils étaient à la messe ce dimanche matin ; ils se sont déplacés ce
même dimanche, dans la nuit, pour entendre l’annonce de la naissance du
Sauveur. Très peu de temps, donc. En si peu de temps, nous aurons entendu
l’Evangile de l’Annonciation et maintenant celui de la Nativité. En entendant
le prédicateur de la basilique, ce matin, je me suis demandé si Marie n’allait
pas regretter le Oui sans condition qu’elle a donné à l’ange. A-t-elle bien
mesuré à quoi l’engageait ce Oui ? Je ne crois pas, et je ne crois pas que
quiconque puisse un jour envisager ce à quoi l’entrainerait le Oui à l’accueil
d’une nouvelle vie, et encore moins le Oui à l’accueil de Dieu au cœur de sa vie.
Cette nuit de Noël est aussi marquée pour
moi par la détresse de ces familles qui cette semaine auront porté en terre
leurs enfants, tués dans l’accident de leur car qui les ramenaient du collège à
la maison. Elle est marquée par la violence à laquelle doivent faire face les
chrétiens d’Orient qui ont encore vu des églises attaquées et pillées, des
membres de leurs communautés blessés ou tués par des extrémistes qui ne leur
laissent plus même le droit de crier vers Dieu leur détresse. Comment peut
retentir la joie de la Bonne Nouvelle de la naissance du Sauveur quand votre
vie est ainsi bousculée ? La fête qui nous rassemble en cette nuit
pourra-t-elle redevenir pour ces personnes l’annonce d’une espérance, l’annonce
d’une vie meilleure, l’annonce d’une vie qui a du prix pour Dieu ?
Pourtant, je ne saurais me laisser aller à
la désespérance, malgré tout. Car enfin, en cette nuit, le merveilleux fait
irruption pour toujours et pour tous dans la vie des hommes. Cette naissance
d’un enfant à l’autre bout du monde, dans une humble crèche, signe quelque
chose de nouveau. Dieu entre définitivement, totalement et irrémédiablement
dans la vie des hommes. Avec le prophète Isaïe, nous pouvons affirmer que le peuple qui marchait dans les ténèbres a
vu se lever une grande lumière ; sur les habitants du pays de l’ombre, une
lumière a resplendi. Cette naissance n’est pas une naissance de plus.
L’évangile entendu ce matin nous le redisait : celui qui va naître sera saint, il sera appelé Fils de Dieu. C’est
celui-là dont nous célébrons la naissance ce soir, non pas comme un
anniversaire, non pas comme un fait de l’Histoire, mais comme une réalité pour
notre monde, en cette année 2017 finissante. Aujourd’hui nous est né un
Sauveur, qui est le Christ, le Seigneur. Nous pouvons partager la joie de
Marie et Joseph qui accueillent leur premier-né dans des conditions plus que
précaires ; nous pouvons partager la joie des bergers qui se sont laissé
déranger par les anges et qui, les premiers, sont allés à la rencontre du Nouveau-Né.
Nous pouvons partager la joie des anges et avec eux chanter la gloire de Dieu
et la paix pour les hommes que Dieu aime. Cette naissance est le don de Dieu à
tous les hommes pour qu’ils retrouvent le chemin du cœur de Dieu. Comme le
disait saint Irénée, Dieu s’est fait
homme pour que l’homme devienne Dieu.
Nous avons assez de recul pour savoir que
cette naissance extraordinaire va entraîner une vie extraordinaire. Les noms
donnés à l’Enfant disent tout : Emmanuel :
Dieu avec nous ; Jésus : le
Seigneur sauve ! C’est le temps de la miséricorde qui s’ouvre pour
nous ! C’est le temps du salut qu’inaugure cette naissance ! C’est le
temps de la vie qui ne finira plus jamais. Né sur le bois de la crèche, il
mourra sur le bois de la croix, résumant ainsi une vie entière donnée au
service des hommes, de leur vie, de leur joie. En accueillant Jésus à la
crèche, n’oublions pas que c’est tout Jésus que nous accueillons. Il ne saurait
rester pour nous le sage enfant de la crèche. Il vient pour accomplir le projet
d’amour de Dieu pour les hommes. Il vient transformer la vie des hommes. Il
vient orienter le cœur des hommes vers Dieu et vers le frère, particulièrement
le plus pauvre. Nous ne pouvons pas nous réjouir de la naissance de Jésus si
nous ne nous réjouissons pas aussi de tout ce qu’il va réaliser, de toute
l’espérance qu’il porte et apporte.
En adorant l’Enfant de la crèche, venu
refaire toutes choses nouvelles pour vous, ne vous demandez pas s’il a le nez
de Marie ou les oreilles de Joseph. Souvenez-vous qu’il a le visage du frère
(ou de la sœur) qui vous est insupportable ; il a le visage du malade
abandonné sur son lit d’hôpital ; il a le visage du prisonnier libéré à
qui tout le monde tourne le dos ; il a le visage du réfugié qui a fui la
guerre et que chacun renvoie chez son voisin ; il a le visage de tout
homme, de toute femme, de tout enfant qui souffre et qui peine, qui cherche un
peu de réconfort ; il a le visage de tout homme, de toute femme, de tout
enfant qui cherche juste à vivre dignement. Un
enfant nous est né, un fils nous a été donné. Réjouissons-nous du bien
qu’il nous fait ; réjouissons-nous du bien que nous pourrons faire à sa
suite. Laissons-nous tenter par lui à vivre de sa vie, maintenant et toujours.
Amen.
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