Le temps du carême qui
s’est ouvert mercredi est une occasion de reprendre les fondamentaux de notre
foi. Autant donc commencer par la base : Dieu aime l’homme. C’est une
affirmation qui est devenue tellement banale que je me demande si nous sommes
encore capables d’en saisir toute la force. C’est une affirmation qui reste
pour moi une provocation comme rarement nous en rencontrons. Seulement, nous
nous sommes habitués.
Au commencement, l’amour de Dieu pour l’homme se
manifeste dans l’acte même de la création : l’homme est le seul à être
créé à l’image et à la ressemblance de Dieu, annonçant déjà un lien particulier
entre le créateur et le créé. Hélas, cela ne durera pas longtemps, tant il est
vrai que le créé cherche à s’affranchir d’un créateur qu’il trouve trop
présent, peut-être trop puissant. Mais
de son côté, Dieu non plus ne supportera pas longtemps les incessantes
valses-hésitations d’une créature qui ne sait plus ce qu’elle veut et qui
contamine toute la création avec son esprit pervers et destructeur. C’est le
drame du déluge. Dieu ne reconnaît plus le spectacle de sa création, et d’un
geste rageur, il détruit tout, ou presque. Ayant trouvé un juste, il va
préserver un « échantillon » de sa première création pour
recommencer. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : d’une re –
création ! Il suffit pour s’en convaincre de lire les premiers versets du
chapitre 9 de la Genèse, verset que la liturgie n’a malheureusement pas retenu.
Ils nous disent en substance ceci : « Dieu dit à Noé : ‘Soyez féconds, multipliez, emplissez la terre.
Soyez la crainte et l’effroi de tous les animaux de la terre et de tous les
oiseaux du ciel, comme de tout ce dont la terre fourmille et de tous les
poissons de la mer : ils sont livrés entre vos mains. Tout ce qui se meut
et possède la vie vous servira de nourriture, je vous donne tout cela au même
titre que la verdure des plantes. Seulement, vous ne mangerez pas la chair de
son âme, c’est-à-dire le sang’. » La même mission que celle confiée
jadis à Adam, ainsi qu’un interdit. Si Dieu avait oublié, le temps du déluge,
son alliance première, il revient vite de sa fureur pour établir une nouvelle
alliance, alliance définitive, au moins pour Dieu, qui s’engage à ne plus
commettre l’irréparable, quoi que l’homme fasse ! N’est-ce pas là la plus
grande preuve de l’amour de Dieu
pour l’homme ? Un engagement à le faire vivre, à le laisser vivre, même si
le projet de l’homme ne correspond pas au projet de Dieu ? Plus de
destruction ! Plus de vengeance divine !
En Jésus, l’amour de Dieu pour l’homme va aller à
l’extrême. Dans sa mort / résurrection, Jésus va au bout de l’amour de Dieu
pour nous. Il va jusqu’à affronter les forces de morts pour que les hommes
aient la vie ! Saint Pierre le dit dans sa première lettre : Le Christ, lui-aussi, a souffert pour les
péchés, une seule fois, lui, le juste, pour les injustes, afin de vous
introduire devant Dieu ; il a été mis à mort dans la chair, mais vivifié
dans l’Esprit. C’est en lui qu’il est parti proclamer son message aux esprits
qui étaient en captivité. Vous
rendez-vous compte : Jésus a donné sa vie, non seulement pour ses
contemporains et pour tous ceux qui croiraient en lui, par la suite ; mais
il aussi offert sa vie pour ceux qui ne l’ont pas connu, parce que déjà retenus
dans les filets de la mort. Nos frères orthodoxes l’ont bien compris, eux qui
représentent la résurrection du Christ par l’icône de sa descente aux enfers.
Il va jusqu’à affronter la Mort dans ses derniers retranchements pour que pas
un homme ne puisse dire : il m’a oublié !
L’évangile de ce dimanche est déjà une annonce de cette
mission de salut de Jésus. Il est déjà une illustration de cette volonté de
Jésus de ne pas fuir le mal, mais de l’affronter pour mieux le terrasser et le
vaincre. Son séjour au désert, dont saint Marc nous donne un écho furtif, nous
le montre tenté par l’Adversaire, vivant
parmi les bêtes sauvages, servi par
des anges. C’est l’image du paradis retrouvé : l’Adversaire n’est pas
vainqueur, puisque, autour de Jésus, tout n’est que paix et harmonie. N’est-ce
pas une Bonne Nouvelle qu’il faut annoncer à tous les hommes ? Il est venu,
le temps qui réalise la promesse de Dieu. Il est venu, le temps où tous les
hommes peuvent vivre en frère. Il est venu, le temps où Dieu établit sa demeure
au milieu de nous. Il est venu, le temps où l’alliance entre Dieu et les hommes
est devenue réalité. Désormais les hommes vont pouvoir s’engager envers Dieu
comme jamais ils n’ont pu le faire, l’Adversaire étant déjà vaincu en Christ.
Désormais les hommes ont part à cette victoire, obtenue par la mort et la
résurrection de Jésus.
Oui, Dieu aime l’homme ! C’est peut-être banal de le
dire, mais ce n’est pas banal de le croire. Tant d’hommes et de femmes vivent
aujourd’hui encore comme s’ils n’étaient pas touchés par cet amour. Tant
d’hommes et de femmes ne savent pas encore lire les signes de cet amour. Chrétiens,
nous avons à témoigner de cet amour. Chrétiens, nous avons à en vivre, ou à
commencer d’en vivre. Si l’Eglise demande pardon pour les erreurs du passé, ce
n’est pas pour se donner bonne conscience, mais pour reconnaître que ses
enfants ont quelquefois été des obstacles à l’amour de Dieu, et pour nous
inviter à être transparents à cet amour qui nous est offert comme un don
gratuit, comme un don à transmettre. Regardons courageusement notre passé pour
affronter sereinement notre avenir : c’est lui qui est à vivre, c’est lui
qui pourra bouleverser la vie de nos contemporains s’ils peuvent dire : voyez
comme ils s’aiment ; voyez comme ils sont aimés ; moi aussi, je veux
vivre de cet amour. AMEN.
(Dessin de M. LEITERER)
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