Nous
terminons aujourd’hui la méditation du chapitre six de l’Evangile selon saint
Jean avec cette profession de foi de Pierre : Seigneur, à qui irions-nous ? Tu as les paroles de la vie
éternelle. Quant à nous, nous croyons et nous savons que tu es le Saint de Dieu.
Pourtant, cette finale ne doit pas nous cacher les difficultés rencontrées.
Depuis
quelques temps, nous avions souligné d’abord l’incompréhension grandissante,
puis l’opposition naissante face au discours de Jésus. Cette incompréhension et
cette opposition atteignent aujourd’hui leur paroxysme avec le départ de
nombreux disciples. Entendons-nous bien : il ne s’agit pas de membres du
groupe des Douze, choisis Jésus. Il s’agit bien de la désaffection de ceux qui,
ayant vu Jésus poser des signes ou ayant entendu son enseignement, l’avaient un
temps suivi. Mais là, pour eux, le dernier enseignement de Jésus, c’était trop !
Cette parole est rude ! Qui peut l’entendre ?
La réaction ne tarde pas : à
partir de ce moment, beaucoup de ses disciples s’en retournèrent et cessèrent
de l’accompagner. Sans même chercher à comprendre, sans même laisser à Jésus
une seconde chance, certains quittent le navire. C’est assez moderne comme
comportement : observez aujourd’hui toutes les stars des réseaux sociaux. Tant
qu’elles font le buzz, on les suit ; un mauvais tweet, une réaction pas à
la hauteur des followers, et tout s’écroule. Le peuple brûle aujourd’hui ceux
qu’ils adoraient hier.
Mais
revenons à Jésus, à son enseignement, et à nous face à Jésus, parce que c’est
bien cela qui est en cause. Voulez-vous
partir, vous aussi ? La question de Jésus vaut pour nous, et notre
réponse est attendue. Alors prenons le temps de la réflexion : n’avons-nous
pas déjà abandonné ? Plus fondamentalement, se pose la question de notre
rapport à Jésus et à son enseignement. Sommes-nous radicales comme ces
disciples qui s’en vont : dès que cela ne plaît plus, nous tournons les talons
et adieu la compagnie ? Sommes-nous pragmatiques, et choisissons-nous ce
qui nous plaît, ignorant au passage ce qui pique, ce qui nous dérange, ce qui
invite au changement ? Un peu de spiritualité ne peut pas faire de mal,
mais point trop n’en faut ? Ou sommes-nous capables de cette fidélité des
Douze qui, dans l’adversité, se recentrent et se resserrent autour de Jésus ?
Seigneur, à qui irions-nous ? J’entends, dans cette question de Pierre, à la fois le désarroi de
Pierre et en même temps sa pleine confiance. C’est comme si, parlant plus vite
qu’il ne réfléchit – ce qui, en passant, est la marque de fabrique de Pierre –
il s’interrogeait sur lui-même (si tu n’es pas celui que je crois que tu es,
aurai-je perdu du temps à te suivre ? Puis-je simplement revenir à ma vie
d’avant ?) tout en s’extasiant sur Jésus : Tu as les paroles de la vie éternelle, autrement dit : je n’ai
pas perdu mon temps à t’écouter, quelque chose a bougé en moi et j’ai besoin de
te suivre encore même si je ne comprends pas tout, même si je n’accepte pas
tout. La réponse n’est pas dans l’abandon et la fuite, mais dans le fait de
demeurer auprès de toi et de te suivre encore, toujours. Je sais, sans pouvoir
me l’expliquer, que je ne me suis pas trompé en te suivant, et que tu ne m’as
pas trompé en m’enseignant. Pierre se rend compte qu’il n’y a rien d’autre que Jésus
qui vaille la peine. Et même si certains sont déçus, et même si certains sont
choqués, lui restera fidèle, lui reconnaît que sa vie, et la vie de ses
compagnons, n’a de sens qu’auprès de Jésus. Il sait ce qu’il a vu et entendu et
il choisit de suivre encore, de faire confiance encore à Jésus d’abord. Tout ce
qu’il a vu faire par Jésus, tout ce qu’il a entendu dire par Jésus a plus de
poids que ces interrogations et peut-être ses doutes. C’est cela avoir foi en
quelqu’un !
Nous pouvons
réentendre alors et comprendre mieux la réponse du peuple à Josué, qui l’interrogeait :
Plutôt mourir que d’abandonner le Seigneur
pour servir d’autres dieux ! Rien ne vaut face à la tendresse de Dieu !
Rien ne vaut face à la miséricorde de Dieu ! Rien ne vaut face à la
puissance de Dieu ! Rien ne vaut face à l’amour de Dieu ! C’est le Seigneur notre Dieu qui nous a fait
monter, nous et nos pères, du pays d’Egypte, cette maison d’esclavage ; c’est
lui qui, sous nos yeux, a accompli tous ces signes et nous a protégés tout le
long du chemin que nous avons parcouru… Nous aussi, nous voulons servir le Seigneur,
car c’est lui notre Dieu. Oubliées les épreuves traversées ; oubliées
les révoltes maintes fois commencées ; oubliée l’odeur des marmites d’Egypte ;
ne seule chose compte : la foi au Dieu d’Israël, l’attachement à celui qui
vraiment nous rend libres même si quelquefois nous l’oublions, même si
quelquefois nous préférons d’autres dieux. Un seul vaut qu’on le suive :
celui qui a tout fait pour nous, celui qui sans cesse nous ouvre à la vie.
A la fin de
notre parcours avec saint Jean, prenons le temps de cette eucharistie pour mesurer
les merveilles que Dieu fait pour nous en Jésus Christ. Et si nous avions
quelques doutes encore, en rentrant, prenons notre missel et relisons
simplement l’une ou l’autre préface : chacune chante, à sa manière, tout
ce que Dieu fait pour nous par son Fils Jésus. Et après cela, reprenons la
question de Jésus : veux-tu partir,
toi aussi ? Qui, mieux que lui, peut remplir et combler notre vie ?
Qui, mieux que lui, peut nous mener à la vie véritable ? Amen.