Utopie ou réalité, la vision du
prophète Isaïe entendue en première lecture ? Utopie ou réalité, le désir
de paix qui habite de nombreux hommes, femmes et enfants à travers le monde en
ce premier jour du mois de décembre ? Il faut relire cette belle page du
prophète pour comprendre, qu’avec Dieu, nos utopies peuvent devenir réalité.
Ce qu’Isaïe annonce, c’est une
vision qu’il a eue. Mais attention, lorsque l’on dit que les prophètes (parce
qu’Isaïe n’est pas le seul) ont des visions, nous ne sommes pas chez Madame
Irma. Isaïe, pas plus que les autres prophètes d’ailleurs, n’est un devin ;
il est un visionnaire. Dieu lui fait entrevoir le monde tel que Lui le voit. En
cela, notre lecture du jour est surprenante parce qu’elle montre qu’un jour, le
désir de Dieu et le désir des hommes ne feront plus qu’un. Dieu élèvera Jérusalem
au plus haut, faisant d’elle la lumière pour les nations. Les nations, pour
leur part, iront volontairement et joyeusement à la rencontre du Seigneur sur
sa montagne. Le désir de Dieu, qui est de sauver tous les hommes, trouvera un écho
favorable dans le désir des hommes d’être sauvés. C’est un monde nouveau qu’il
est donné de contempler à Isaïe. Un monde où la paix sera réalité parce que les
hommes n’apprendront plus la guerre. Ils transformeront toutes leurs
armes de destruction en outils utiles aux hommes : de leurs épées, ils forgeront
des socs, et de leurs lances, des faucilles. Ils n’apprendront plus la
guerre. Est-il plus belle manière, et plus forte manière de dire que la
guerre n’est pas une nécessité inévitable ? La guerre ne serait donc pas
quelque chose qui nous tombe dessus, mais quelque chose que nous avons cherché,
que nous avons appris. Pour vivre en paix, il suffirait donc de désapprendre la
guerre, de désapprendre les conflits toujours inutiles, basés sur des motifs
futiles. Au lieu d’apprendre la guerre, nous pourrions apprendre la paix, la
paix que Dieu nous offre, la paix qui rassemble les nations, la paix qui
construit un monde plus juste et plus fraternel. Ce qu’Isaïe annonce parce qu’il
l’entrevoit de Dieu lui-même, les hommes peuvent le réaliser s’ils [marchent]
à la lumière du Seigneur.
Nous comprenons alors pourquoi l’Eglise
nous fait relire les prophètes, et Isaïe en particulier, durant le temps de l’Avent.
Ce qu’ils ont annoncé aux hommes de leurs temps, reste vrai pour nous aujourd’hui.
Ce qu’ils ont annoncé aux hommes de leur temps, nous croyons que Dieu l’a réalisé
– et le réalise toujours – par le don de son Fils Jésus, venu dans notre monde.
Puisque l’Avent que nous inaugurons aujourd’hui, nous prépare aux fêtes de
Noël, comprenons que cette fête, ce n’est pas seulement accueillir l’Enfant Dieu,
mais accueillir le monde tel que Dieu le voit, tel que Dieu le veut. Si les
hommes ne veulent pas du monde tel que Dieu le voit, il pourra bien s’incarner
mille fois, s’abaisser à notre taille dix mille fois, nous n’arriverons jamais
à sa taille à lui. Si nous ne désapprenons pas la guerre, si nous n’apprenons
pas la paix, jamais Dieu, quand bien même il deviendra l’un de nous, ne pourra
sauver le monde. Si nous tenons à nos conflits, si nous tenons à nos
mesquineries, si nous tenons à nos armes, la terre ne pourra pas être labourée
par les socs de la Parole de Dieu. Si nous tenons à nos langues mauvaises, à
nos insinuations perfides, à nos jugements péremptoires, jamais la lumière
du Seigneur ne pourra nous éclairer et nous attirer. Puisque nous
marchons vers Noël, nous devons entrer dans ce mouvement qui transforme tout ce
qui détruit en source de construction. Le monde nouveau, le monde de paix ne se
fera pas malgré nous ; mais il viendra plus vite grâce à nous. Chacun est
important dans cette réalisation. Chaque petit effort individuel vers plus de
paix rejoindra le désir de Dieu de sauver les hommes. Chaque petit effort
individuel vers la paix aidera Dieu dans la réalisation de son projet d’amour
pour tous. Il n’y a pas un peuple qui ne soit pas concerné ; il n’y a pas
un homme qui ne soit pas concerné.
L’utopie d’Isaïe, l’utopie de tant d’hommes
et de femmes qui désirent ardemment vivre en paix, deviendra réalité, si nous commençons,
ici et maintenant à la construire. Peut-être faut-il commencer par rêver
davantage cette paix possible entre tous les peuples du monde. Peut-être faut-il
rêver davantage ce monde nouveau pour désirer le réaliser et s’y mettre concrètement.
Comme le dit si souvent le pape François, en cette matière aussi, la politique
des petits pas est efficace. Un pas l’un après l’autre, un nouveau petit pas
chaque jour, et notre utopie sera notre réalité, parce que nous l’aurons
construite, pas à pas. Marchons à la lumière du Seigneur, contemplons le
monde qu’il voit et désire, pour le désirer à notre tour et déjà le construire.
Amen.
(Dessin de Jean-Yves DECOTTIGNIES, in Mille dimanches et fêtes, Année A, Les Presses d'Ile de France)