Il
faudra nous y faire : avec la fête de Pâques, quelque chose de neuf a surgi.
Avec la fête de Pâques, Jésus, celui que nous connaissions comme homme, est
devenu le Christ, celui que nous reconnaissons comme Messie et Sauveur. Le temps
pascal que nous avons inauguré durant la grande nuit du passage, c’est avec
lui, Jésus le Christ, qu’il nous faut le vivre. C’est lui qui nous permet de
vivre à notre tour les différents passages qu’il nous faut effectuer, si nous
voulons vivre avec lui pour toute éternité. Le premier passage à vivre, c’est
celui du doute vers la foi.
Reconnaissons-le d’emblée : il
n’est pas plus facile de croire en la résurrection aujourd’hui que cela ne l’était
pour les Apôtres. Nous aurions aimé croire que ces hommes qui avaient vécu avec
Jésus, qui avaient entendu son enseignement, qui avaient vu ses signes,
auraient cru instantanément en Jésus ressuscité. L’événement de la Passion n’aurait
été pour eux qu’un mauvais moment à passer. Après tout, ils avaient entendu Jésus,
par trois fois, leur annoncer ces événements. Ils auraient dû comprendre instantanément
le sens profond de ce qui se jouait sous leurs yeux. Les évangiles nous racontent
qu’il en a été tout autrement. Il suffit de vérifier le nombre d’apparition
nécessaires pour qu’enfin ces hommes s’ouvrent à cette nouveauté radicale d’une
vie plus forte que la mort. Ni pour les Apôtres, ni pour nous, il n’a été
simple de croire en la résurrection. Personne ne décide du jour au lendemain de
croire en la résurrection de Jésus. Cet événement est tellement hors du commun,
tellement nouveau, qu’il n’y a qu’un moyen pour le reconnaître : c’est que
Jésus lui-même, celui-là même qui était mort, se révèle vivant à nous pour
toujours.
L’histoire de Thomas, racontée dans
l’évangile de ce dimanche, est révélatrice à ce sujet. Elle se déroule en deux
temps. Le premier temps, les Apôtres le vivent en l’absence de Thomas. Ils se
sont confinés dans un lieu verrouillé, par crainte des Juifs, nous dit
Jean. Nous sommes au soir de la résurrection : Jésus s’est donc déjà
révélé vivant à quelques-uns, et pourtant les Apôtres ne s’en trouvent pas
raffermis ; je crois même qu’ils ne savent trop que penser de ce qu’ils
ont pu entendre ou voir depuis le matin. Et voilà que Jésus vint, et il
était là au milieu d’eux. Il leur faudra malgré tout une parole de Jésus et
un geste (il leur montre ses mains et son côté) pour qu’ils se laissent
aller à la joie. Nous pouvons imaginer leur joie de partager ce moment avec
Thomas lorsqu’il rejoint le groupe. Mais nous pouvons aussi comprendre son scepticisme :
Si je ne vois pas dans ses mains la marque des clous… non, je ne croirai pas !
En fait, ce que demande Thomas, c’est de faire la même expérience que les
autres. Ce qu’ils ont vu, il veut le voir aussi. Qui a-t-il de mal à cela ?
Je sais bien, certains ne se priveront pas d’appuyer sur la parole de Jésus à
Thomas, huit jours après : Heureux ceux qui croient sans avoir vu. C’est
vrai pour tous ceux qui suivront ; c’est vrai pour nous. Nous n’avons pas
la chance de voir Jésus comme Thomas et les autres ont pu le voir. Est-ce que
cela rend caduque la demande de Thomas de voir comme les autres ? Je ne
crois pas, parce qu’à la différence de nous, il a marché avec Jésus avant sa
mort. Sa demande d’égalité de traitement est légitime parce que son expérience
de Jésus est la même que celle des dix autres.
Pour nous qui suivons des siècles
plus tard, il en va autrement. Nous sommes invités croire en Jésus sur la parole
de l’Eglise qui, à la suite des Apôtres, répand la bonne nouvelle de sa
présence réelle et agissante au cœur de notre vie. Mais il reste quand même
nécessaire, pour chacun de nous, de faire cette rencontre personnelle avec Jésus,
mort et ressuscité. Nous n’y couperons pas. Ce ne sera pas comme pour Thomas et
les autres, mais ce sera une rencontre, une parole, un signe, quelque chose qui
nous dit que c’est vrai, Jésus est ressuscité. Le signe le plus évident, c’est
la vie des communautés chrétiennes. Relisez les Actes des Apôtres dont nous
avons entendu un extrait significatif à ce sujet. Ce que vit ce groupe est
contagieux ; d’autres ont envie de le vivre si bien que chaque jour, le
Seigneur leur adjoignait ceux qui allaient être sauvés. La miséricorde que Dieu
fait aux hommes par son Fils mort et ressuscité, est rendue manifeste par l’art
de vivre des croyants au Christ. Et c’est par cet art de vivre des croyants au Christ
que d’autres peuvent être mis en contact avec le Ressuscité. Il y a un enjeu
majeur qui se joue dans la vie de nos communautés ; celui de son élargissement
à ceux qui ne connaissent pas encore le Christ, à ceux qui ne l’ont pas encore
rencontré. Et comment le rencontreront-ils ? Par notre manière d’être,
notre manière de vivre notre foi. La miséricorde que Dieu nous a manifestée au
moment de notre baptême doit déborder de nous, se répandre sur le monde. En ce
sens, le moment de pandémie que nous vivons, a quelque chose de ressemblant
avec ce temps de la Pâque de Jésus. Quelque chose de neuf devra jaillir de
cette épreuve, comme quelque chose de neuf a jailli de l’épreuve de la Passion.
Et les croyants au Christ sont tout autant concernés aujourd’hui que ne l’étaient
alors les Onze Apôtres. Ce monde nouveau qui devrait advenir après la crise,
monde nouveau dont on nous parle depuis quelques jours, ne se fera pas sur de
bons sentiments. Il nécessitera le passage du doute que nous connaissons
aujourd’hui, à la foi d’un monde nouveau possible ; sinon ce monde ne sera
qu’un rêve, une illusion.
C’est en passant du doute à la foi,
grâce à Jésus mort et ressuscité, que les Apôtres ont pu engendrer un monde
nouveau, un art de vivre nouveau dont le Christ était le cœur. Et c’est par cet
art de vivre qu’ils ont touché (que le Christ a pu toucher) le cœur de ceux qui
ne le connaissaient pas encore. C’est là, me semble-t-il, que nous serons
attendus. Il ne s’agit de faire confiance à tel parti plutôt qu’à tel parti,
pour nous sortir de la crise. Il s’agit d’accorder pleinement confiance au Christ,
celui qui a vaincu la mort, pour nous aider à reconstruire notre monde, à
reconstruire nos rapports humains mis à mal par la distanciation sociale. Comme
les Apôtres ont su inventer du neuf tout en restant fidèles à ce qui était
essentiel de leur vie d’avant, il nous faudra réinventer nos communautés
chrétiennes et humaines, pour que la fraternité, signe d’une vie toujours plus
forte que la mort, fasse sens et permette aujourd’hui, comme au temps des premiers
croyants, de reconnaître la présence du Ressuscité. Que le Christ miséricordieux
nous fasse passer du doute à la foi pour qu’avec lui nous puissions construire ce
monde nouveau qu’il a inauguré pour tous les hommes. Amen.
(Arcabas, Le Ressuscité, source internet)
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