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samedi 25 avril 2020

3ème dimanche de Pâques A - 26 avril 2020

Avec le Ressuscité, passer de la tristesse à la joie.






          Nous l’avons déjà dit la semaine passée : la fête de Pâques est la fête du Passage. Nous pouvons l’expérimenter durant la nuit pascale à travers les différents extraits de la Parole de Dieu que nous lisons. Nous le comprenons dans l’acte même de Jésus qui passe de la mort à la vie. Et nous avons commencé à comprendre que ce grand passage en entraînait une série d’autres, plus petits, moins spectaculaires, mais tout aussi importants. La semaine passée, nous étions invités à passer du doute à la foi. Cette semaine, avec l’épisode des disciples d’Emmaüs, le Ressuscité nous invite à passer de la tristesse à la joie. 

            Voyez-vous, l’histoire de ces deux hommes qui rentrent chez eux au soir de Pâques, c’est notre histoire. Et je dirai qu’elle est singulièrement notre histoire en cette année si particulière où nous ne pouvons nous rassembler pour célébrer Pâques. Il existe effectivement une réelle tristesse cette année chez de nombreux croyants, empêchés de se rassembler pour célébrer le cœur de leur foi, empêchés par la même occasion de communier au Christ Ressuscité. certains auront beau rappeler la communion de désir, cela n’est quand même pas tout-à-fait la même chose, et ne donne pas le même sentiment d’accomplissement et de présence réelle au cœur même de notre vie de Celui qui a livré la sienne pour nous. Sans trop couper les cheveux en quatre, nous pouvons donc affirmer que l’histoire de ces deux hommes, l’un nommé Cléophas, l’autre restant inconnu, qui s’en vont chez eux, tristes et abattus, c’est l’histoire de notre humanité, perdue dans ses rêves de gloire qui s’en retourne vers d’autres chimères, déçue par celui qu’elle n’a pas su reconnaître comme Sauveur lorsqu’il était pendu au bois de la croix. C’est l’histoire de notre humanité aujourd’hui, qui se rend compte soudainement qu’elle n’est pas toute puissante, et qui découvre qu’un petit rien, invisible mais destructeur, peut transformer le monde en immense prison, et réduire à néant notre style de vie et celle de toutes nos sociétés. 

            De ces deux hommes, si nous n’en connaissons qu’un, Cléophas, c’est pour nous rappeler que ce n’est pas une belle histoire pour enfant sage qui nous est ici racontée, mais que cela a bien eu lieu. Pour ceux qui vivaient à cette époque, il était ainsi possible de rencontrer ce témoin ; il était connu. L’autre, sans nom, est là pour nous permettre de nous identifier à lui. C’est nous qui marchons avec Cléophas aujourd’hui et qui revivons avec lui cette marche et cette rencontre sur le chemin vers Emmaüs. Nous pouvons donc, comme ces deux-là, être tenté par le repli sur nous ; nous pouvons être soupçonneux du sens que prend l’Histoire des hommes quand le monde semble devenu fou, quand la mort rôde dans nos quartiers et nos campagnes. Nous pouvons être ce deuxième homme qui, comme Cléophas, est révolté et abattu par ce qui est arrivé et qui ne comprend plus grand chose au projet de Dieu pour l’homme et pour le monde. Car comment croire que Dieu parlait par Pilate et les grands prêtres quand ils condamnaient Jésus ? Comment aujourd’hui, croire que c’est Dieu qui parle par nos autorités alors que ceux qui l’exercent à travers le monde sont incapables d’une conduite commune face au même fléau ? Parle-t-il par ceux qui disent : enfermez-les tous, et qui envoient la police, non pour protéger mais pour punir ? Parle-t-il par ceux qui disent qu’il suffit de quelques UV et d’un désinfectant injecté dans le sang pour retrouver une vie normale ? Parle-t-il par ceux qui choisissent d’identifier et de soigner les seuls malades et de laisser les autres assurer l’avenir de leur pays ? 

        Comme jadis sur la route d’Emmaüs, le Mal semble triompher dans notre quotidien. Comme jadis pour ces hommes déçus, de nombreuses questions se posent, l’avenir semble plus qu’incertain. Comme jadis sur la route d’Emmaüs, la perplexité nous saisit. Mais comme jadis sur le chemin d’Emmaüs, nous somme rejoints par quelqu’un, par Jésus. Nous avons peut-être du mal à le reconnaître, mais si nous sommes attentifs à sa Parole, il saura réchauffer notre cœur. Nous avons peut-être du mal à le croire vivant, ressuscité, mais si nous ouvrons nos yeux, nous le reconnaîtrons présent dans les gestes de solidarité, en attendant de le reconnaître à nouveau présent dans la fraction du pain à laquelle nous n’assistons plus. Car aujourd’hui comme hier, il vient nous rejoindre sur les routes de notre humanité. Aujourd’hui comme hier, il vient nous parler au cœur. Aujourd’hui comme hier, il s’offre à nous dans le partage du pain toujours vécu par les prêtres, et dans le partage de nos solidarités. Dans ces mots simples que nous entendions chaque dimanche, dans ce morceau de pain si souvent reçu, c’est toute sa vie qui nous était transmise ; c’est tout lui qui venait à notre rencontre. C’est bien peu, une parole et du pain, mais que faut-il de plus à l’homme pour exister vraiment, sinon une parole qui l’ouvre au sens des choses pour étancher sa soif de comprendre, et un peu de nourriture pour apaiser sa faim. 

         A tous ceux qui se détournent de Dieu parce que déçus dans leur foi, déçus par leur Eglise, déçus par un monde qui perd la tête, l’évangéliste rappelle la présence de Jésus à leur côté. A tous ceux pour qui le témoignage des Apôtres n’a pas suffi à les convaincre de sa toute-puissance sur le mal et la mort, Jésus donne l’occasion de dire leur souffrance, leur déception, pour qu’ils puissent passer de la tristesse réelle à la joie profonde. Il leur offre ainsi de faire un pas de plus et d’aller au-delà de leurs impressions. L’Eucharistie est toujours offerte comme le lieu où Dieu se révèle à ceux qui sont prêts à dépasser leur crainte pour le suivre sur le chemin difficile et exigeant de l’Evangile ; l’Eucharistie est toujours offerte comme LE lieu de la rencontre la plus proche entre Dieu et l’homme. Nous comprenons pourquoi de nombreux évêques insistent ces derniers jours pour que l’Eucharistie dominicale puisse à nouveau, rapidement, être célébrée non plus seulement pour le peuple, mais avec le peuple, comme il convient. Cette rencontre physique est essentielle pour que la joie revienne, pour que l’espérance triomphe et que la charité demeure vive. 

          Les disciples d’Emmaüs ont reçu la Parole de Jésus et le signe du Pain rompu pour reconnaître le Ressuscité, raviver leur espérance et partager leur joie. Même si nous ne pouvons y participer réellement, ces mêmes signes sont toujours offerts. Puissions-nous, en attendant de nous rassembler à nouveau, y reconnaître toujours la présence agissante de celui qui nous a appelés des ténèbres à son admirable lumière. Ainsi la joie pascale se répandra en nous et à travers nous jusqu’aux extrémités du monde. AMEN.



(Tableau d'Arcabas, Les disciples d'Emmaüs, trouvé sur internet)


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