Car, lorsque je suis
faible, c’est alors que je suis fort. Ce verset, tiré de
la deuxième lettre aux Corinthiens (12, 10), nous le comprenons souvent pour
nous. Et Paul l’emploie bien dans ce sens. Il redit à ses amis que, quelle que
soit la situation angoissante qu’il traverse, dans sa faiblesse, il est fort de
l’amour que Dieu lui porte. En ce vendredi saint, je ne peux m’empêcher de
penser que ce verset s’applique aussi au Christ. Voyez-vous, j’en suis
convaincu, en livrant son Fils bien-aimé, Dieu nous apprend sa faiblesse.
Nous avons tellement l’habitude de
parler de Dieu tout-puissant que nous en venons à oublier cette réalité :
devant l’homme, Dieu est faible. Il a limité sa toute puissance en donnant à
l’homme sa liberté. Car l’homme est libre d’accepter Dieu ou de le refuser. Et
dans ce dernier cas, Dieu ne pourra rien. En ces fêtes pascales où nous disons
que le Christ, par sa mort et sa résurrection, nous ouvre le ciel, il nous faut
être plus que jamais conscient que n’iront au Paradis que ceux qui le
désireront. Des deux larrons crucifiés en même temps que Jésus, il ne sera dit
qu’à un seul : Aujourd’hui, tu seras avec moi en paradis. Dans ces
mots, dans toute la Passion, c’est toute la faiblesse de Dieu qui s’exprime.
La première faiblesse de Dieu, c’est
l’Homme, l’Homme qu’il a créé, désiré, avec lequel il veut faire alliance. Pour
cet Homme, Dieu est prêt à tout. Il suffit de relire l’histoire biblique pour
s’en rendre compte. D’alliance proposée par Dieu en rupture d’alliance
provoquée par les hommes, Dieu ne peut consentir à se défaire de l’Homme. C’est
sans doute le prophète Osée qui nous fait approcher du plus près cette
faiblesse de Dieu pour l’Homme. Bien que les hommes se prostituent devant
d’autres dieux, le Dieu de l’Alliance n’a de cesse de séduire et de conquérir à
nouveau son peuple, les hommes qu’il a créés, choisis, sauvés… Que nous le
voulions ou non, que nous le reconnaissions ou non, il y a un lien indéfectible
entre Dieu et l’Homme.
Et c’est la seconde faiblesse de
Dieu, son amour de toujours pour cette humanité. Le geste de la Passion est
d’abord un acte d’amour pour tous les hommes que Dieu veut sauver une fois pour
toutes. Et c’est en Jésus, obéissant jusqu’à la mort, que l’amour de Dieu
trouve son expression la plus forte, la plus parfaite. Nous pouvons alors
réentendre le verset de Paul donné en introduction : Car lorsque je
suis faible, c’est alors que je suis fort. Y a-t-il plus grande faiblesse
que d’être cloué injustement en croix ? Y a-t-il plus grande faiblesse que
d’être livré par ceux-là mêmes que vous comptiez sauver ? Sur la croix,
l’histoire semble s’arrêter, le match est joué et perdu par Dieu. Son fils
meurt, rejeté, abandonné, humilié. Les hommes ont signifié qu’ils n’en
voulaient pas. Et pourtant, sur la croix, les plus grandes faiblesses de Dieu
(l’Homme et l’Amour) vont devenir la force de Dieu. Nous avons pour nous le
recul de l’Histoire et le témoignage de la foi. Nous savons que la croix, si
elle est le dernier mot des hommes, n’est pas le dernier mot de Dieu. Certes,
nous pouvons dire que Dieu meurt en Jésus ; et notre humanité meurt avec
lui. Mais nous savons aussi que sur la croix, la Mort elle-même meurt, parce
qu’elle avait oublié qu’on ne peut faire mourir l’Amour. C’est encore Paul qui
l’exprimera le mieux dans l’hymne à la charité : l’Amour ne passera jamais.
Les hommes ont oublié que la
faiblesse que Dieu avait pour eux, c’était un Amour incommensurable,
indestructible. Devant la croix, il semble mis en sourdine, comme jadis au
temps de l’exil. Mais justement, l’exil nous apprend que l’Amour de Dieu pour
les hommes s’est renforcé dans l’épreuve jusqu’à faire revivre l’amour des
hommes pour Dieu. En ce vendredi saint, les hommes ont exilé le Fils de Dieu
dans un sombre tombeau, bien gardé. Mais nous pouvons bien exiler Dieu hors de
nos vies, Dieu ne peut s’exiler loin de nous. La lourde pierre du tombeau ne
saurait résister longtemps à la puissance de son Amour. Devant le tombeau
fermé, gardons le silence. Devant la croix, mesurons à quel point Dieu nous
aime. Si Dieu est faible devant l’Homme qu’il aime, l’Homme devient fort par
cet Amour quand il accepte Dieu dans sa vie. Mais ça, c’est déjà une autre
histoire. Elle ne commencera qu’au matin de Pâques pour ceux qui auront su
entrer dans la faiblesse de Dieu pour être forts avec Lui. Amen.
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