De toutes les nations, faites des
disciples ! Au
moment de quitter ses disciples, voilà l’ordre de mission que Jésus leur a donné selon l’évangéliste Matthieu. C’est intéressant que ce soit lui qui
en parle plutôt qu’un autre, parce qu’il écrit son évangile pour des chrétiens
originaires du judaïsme. En introduisant cet ordre du Christ de manière aussi
claire, ne les invite-t-il pas à passer du particulier (le salut promis au seul
Israël) à l’universel (le salut promis à tous les hommes) ? C’est un passage
que le Ressuscité nous invite tous à vivre. Il se joue, selon moi, sur trois
niveaux.
Le premier niveau est tout
personnel. Voyez-vous, en matière de foi, c’est discrétion, discrétion,
discrétion. La France nous a habitués à ce discours depuis la Révolution :
la foi, c’est affaire personnelle, cela ne regarde pas les autres. Ce qui s’est
traduit chez certains croyants par un repli sur soi, y compris dans la vie spirituelle.
Je me fais ma petite religion personnelle, privée : c’est mon Jésus et moi,
pour ne pas dire mon Jésus à moi. Les autres : rien à faire, même quand
ils partagent la même foi que moi ! Ils n'ont qu’à faire pareil ! Ils n’ont
qu’à se débrouiller. Je ne me sens pas concerné par ce qu’ils peuvent vivre à
ce niveau-là de leur existence. Je ne me sens pas concerné par ce que peut
vivre ma communauté croyante. Je fais appel à elle quand j’en ai besoin ;
le reste du temps, qu’elle me laisse tranquille ! C’est déjà assez compliqué,
dans un pays laïc, de vivre sa foi ; je ne vais pas encore m’occuper de
celle des autres. D’ailleurs, moi, je n’ai pas besoin d’eux ! La période
de confinement, ainsi que le déconfinement progressif que nous vivons en ce
moment, nous aura au moins fait toucher du doigt la nécessité de cette
ouverture aux autres : nombre de croyants, empêchés de se réunir, ont
senti la limite du repli et la nécessité des autres pour vivre complètement
toutes les dimensions de la foi chrétienne. Ils ont redécouvert, contraints et
forcés, qu'ils ne peuvent pas simplement se faire leur Jésus à eux tout seul. Nous pouvons
espérer que ce premier passage du particulier à l’universel est désormais bien
intégré à la faveur d’une période de privation où la vie communautaire s’est
trouvée gravement atteinte. Nous pourrons alors faire un pas de plus.
Car il y a un deuxième niveau concerné
par ce passage du particulier à l’universel ; c’est la communauté croyante
elle-même. Je peux avoir acquis la conscience de la communauté, de ma
nécessaire présence à celle-ci pour faire grandir ma foi et la vérifier. Mais
cela ne veut pas encore dire que j’ai bien conscience que j’ai ma part à tenir
dans cette communauté. Beaucoup de chrétiens veulent bien pratiquer publiquement
leur foi, rejoindre plus ou moins régulièrement une communauté ; cela ne
veut pas dire pour autant qu’ils sont prêts à y prendre toute leur place. Il
faut que la communauté tourne, et plutôt bien, mais de là à s’engager
personnellement… non, ça c’est pour les autres ! Un excès d’humilité les pousse
toujours à laisser la place aux prêtres, aux catéchistes, aux membres des
conseils… Vient-on les solliciter pour participer plus activement sur un temps
donné, ils auront toujours la même réponse : non, vraiment, pas le temps,
pas les moyens… Nous devons comprendre encore mieux que la mission, ce n’est
pas que pour les prêtres, les religieux, religieuses ou les laïcs qui acceptent
de s’engager. La mission, elle est pour tous. Chaque croyant chrétien a une
place à tenir dans sa communauté ; chaque croyant chrétien peut être
appelé à donner un peu de son temps au service de tous. Les occasions sont
nombreuses et ne nécessitent pas toujours un grand niveau de connaissance ou de
compétences théologiques. Aider au nettoyage ou à l’entretien du lieu de culte
est aussi important que de faire de la catéchèse. Passer du particulier à l’universel,
c’est ne pas se contenter de consommer durant toute sa vie ce que d’autres ont
préparé. Nous pouvons alors faire un pas supplémentaire pour passer encore à un
autre niveau du particulier à l’universel.
Ce dernier pas, c’est bien celui
visé par Jésus dans son discours à ses disciples : Allez ! De
toutes les nations faites des disciples ! Si en plus, on ajoute la
suite de la phrase : baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint
Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé, certains
se diront, cela n’est vraiment pas pour moi ; c’est vraiment réservé à une
élite. Ben non, cela concerne chaque chrétien aussi. Faire des disciples, ça
commence par mon témoignage de vie. Si les chrétiens dans leur ensemble et dans
leur singularité ne vivent pas de leur foi, à quoi servent-ils ? Comment
les autres, qui ne connaissent pas le Dieu de Jésus Christ, pourraient-ils
avoir envie de le connaître ? Cela ne demande rien d’autre que de vivre
normalement et totalement sa foi. Il ne s’agit pas d’aller parler de Jésus à
tout le monde ; il s’agit d’abord, dans notre vie de famille, dans nos
rapports avec nos voisins, dans nos engagements sociaux et politiques, sur
notre lieu de travail, de vivre ce que le Christ nous enseigne. Souvent devenus
chrétiens par habitude familiale (élément particulier), nous devons devenir
chrétiens pour le monde, pour les autres, en étant ce sel de la terre, cette
lumière du monde (élément universel). Le monde ne se convertira pas parce que
les prédicateurs auront bien prêché, mais parce que tous ceux qui se réclament
du Christ vivront vraiment de lui, entre eux et avec les autres, qui ne croient
pas en lui, qui croient autrement, ou qui ne croient en rien. La prédication
est même souvent seconde dans le processus. C’est parce que j’ai vu quelqu’un
vivre sa foi que j’ai envie de la connaître mieux pour la partager avec lui.
Passer du particulier à l’universel
n’est donc pas un détail, c’est une nécessité pour tout croyant ; c’est
une nécessité pour notre foi elle-même. La catholicité affirmée de notre Eglise
nous y oblige. Prenons au sérieux l’ordre donné par le Christ en ce jour où il
rejoint son Père. Ne vivons pas repliés ni sur nous-mêmes, ni sur nos communautés.
C’est en nous ouvrant aux autres, c’est en vivant en toute chose et en toute occasion
notre foi, que nous sentirons que le Christ est avec nous, tous les jours
jusqu’à la fin du monde. Amen.
(Tableau d'Arcabas, trouvé sur internet)
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