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jeudi 21 mai 2020

Ascension - 21 mai 2020

Avec le Ressuscité, passer du particulier à l'universel.







          De toutes les nations, faites des disciples ! Au moment de quitter ses disciples, voilà l’ordre de mission que Jésus leur a donné selon l’évangéliste Matthieu. C’est intéressant que ce soit lui qui en parle plutôt qu’un autre, parce qu’il écrit son évangile pour des chrétiens originaires du judaïsme. En introduisant cet ordre du Christ de manière aussi claire, ne les invite-t-il pas à passer du particulier (le salut promis au seul Israël) à l’universel (le salut promis à tous les hommes) ? C’est un passage que le Ressuscité nous invite tous à vivre. Il se joue, selon moi, sur trois niveaux. 

            Le premier niveau est tout personnel. Voyez-vous, en matière de foi, c’est discrétion, discrétion, discrétion. La France nous a habitués à ce discours depuis la Révolution : la foi, c’est affaire personnelle, cela ne regarde pas les autres. Ce qui s’est traduit chez certains croyants par un repli sur soi, y compris dans la vie spirituelle. Je me fais ma petite religion personnelle, privée : c’est mon Jésus et moi, pour ne pas dire mon Jésus à moi. Les autres : rien à faire, même quand ils partagent la même foi que moi ! Ils n'ont qu’à faire pareil ! Ils n’ont qu’à se débrouiller. Je ne me sens pas concerné par ce qu’ils peuvent vivre à ce niveau-là de leur existence. Je ne me sens pas concerné par ce que peut vivre ma communauté croyante. Je fais appel à elle quand j’en ai besoin ; le reste du temps, qu’elle me laisse tranquille ! C’est déjà assez compliqué, dans un pays laïc, de vivre sa foi ; je ne vais pas encore m’occuper de celle des autres. D’ailleurs, moi, je n’ai pas besoin d’eux ! La période de confinement, ainsi que le déconfinement progressif que nous vivons en ce moment, nous aura au moins fait toucher du doigt la nécessité de cette ouverture aux autres : nombre de croyants, empêchés de se réunir, ont senti la limite du repli et la nécessité des autres pour vivre complètement toutes les dimensions de la foi chrétienne. Ils ont redécouvert, contraints et forcés, qu'ils ne peuvent pas simplement se faire leur Jésus à eux tout seul. Nous pouvons espérer que ce premier passage du particulier à l’universel est désormais bien intégré à la faveur d’une période de privation où la vie communautaire s’est trouvée gravement atteinte. Nous pourrons alors faire un pas de plus. 

            Car il y a un deuxième niveau concerné par ce passage du particulier à l’universel ; c’est la communauté croyante elle-même. Je peux avoir acquis la conscience de la communauté, de ma nécessaire présence à celle-ci pour faire grandir ma foi et la vérifier. Mais cela ne veut pas encore dire que j’ai bien conscience que j’ai ma part à tenir dans cette communauté. Beaucoup de chrétiens veulent bien pratiquer publiquement leur foi, rejoindre plus ou moins régulièrement une communauté ; cela ne veut pas dire pour autant qu’ils sont prêts à y prendre toute leur place. Il faut que la communauté tourne, et plutôt bien, mais de là à s’engager personnellement… non, ça c’est pour les autres ! Un excès d’humilité les pousse toujours à laisser la place aux prêtres, aux catéchistes, aux membres des conseils… Vient-on les solliciter pour participer plus activement sur un temps donné, ils auront toujours la même réponse : non, vraiment, pas le temps, pas les moyens… Nous devons comprendre encore mieux que la mission, ce n’est pas que pour les prêtres, les religieux, religieuses ou les laïcs qui acceptent de s’engager. La mission, elle est pour tous. Chaque croyant chrétien a une place à tenir dans sa communauté ; chaque croyant chrétien peut être appelé à donner un peu de son temps au service de tous. Les occasions sont nombreuses et ne nécessitent pas toujours un grand niveau de connaissance ou de compétences théologiques. Aider au nettoyage ou à l’entretien du lieu de culte est aussi important que de faire de la catéchèse. Passer du particulier à l’universel, c’est ne pas se contenter de consommer durant toute sa vie ce que d’autres ont préparé. Nous pouvons alors faire un pas supplémentaire pour passer encore à un autre niveau du particulier à l’universel. 

            Ce dernier pas, c’est bien celui visé par Jésus dans son discours à ses disciples : Allez ! De toutes les nations faites des disciples ! Si en plus, on ajoute la suite de la phrase : baptisez-les au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, apprenez-leur à observer tout ce que je vous ai commandé, certains se diront, cela n’est vraiment pas pour moi ; c’est vraiment réservé à une élite. Ben non, cela concerne chaque chrétien aussi. Faire des disciples, ça commence par mon témoignage de vie. Si les chrétiens dans leur ensemble et dans leur singularité ne vivent pas de leur foi, à quoi servent-ils ? Comment les autres, qui ne connaissent pas le Dieu de Jésus Christ, pourraient-ils avoir envie de le connaître ? Cela ne demande rien d’autre que de vivre normalement et totalement sa foi. Il ne s’agit pas d’aller parler de Jésus à tout le monde ; il s’agit d’abord, dans notre vie de famille, dans nos rapports avec nos voisins, dans nos engagements sociaux et politiques, sur notre lieu de travail, de vivre ce que le Christ nous enseigne. Souvent devenus chrétiens par habitude familiale (élément particulier), nous devons devenir chrétiens pour le monde, pour les autres, en étant ce sel de la terre, cette lumière du monde (élément universel). Le monde ne se convertira pas parce que les prédicateurs auront bien prêché, mais parce que tous ceux qui se réclament du Christ vivront vraiment de lui, entre eux et avec les autres, qui ne croient pas en lui, qui croient autrement, ou qui ne croient en rien. La prédication est même souvent seconde dans le processus. C’est parce que j’ai vu quelqu’un vivre sa foi que j’ai envie de la connaître mieux pour la partager avec lui. 

            Passer du particulier à l’universel n’est donc pas un détail, c’est une nécessité pour tout croyant ; c’est une nécessité pour notre foi elle-même. La catholicité affirmée de notre Eglise nous y oblige. Prenons au sérieux l’ordre donné par le Christ en ce jour où il rejoint son Père. Ne vivons pas repliés ni sur nous-mêmes, ni sur nos communautés. C’est en nous ouvrant aux autres, c’est en vivant en toute chose et en toute occasion notre foi, que nous sentirons que le Christ est avec nous, tous les jours jusqu’à la fin du monde. Amen.





(Tableau d'Arcabas, trouvé sur internet) 

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