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samedi 5 juin 2021

Fête du Corps et du Sang du Christ B - 06 juin 2021

 Quand l'absence révèle le sens.



(Procession de la Fête-Dieu à Geispolsheim (67) en 2017 - Source site du diocèse)


            Pour la deuxième année consécutive, pour les raisons liées à la crise sanitaire que nous connaissons, il n’y aura pas de procession du Saint Sacrement dans les rues de nos villages. Certains diront que ce n’est pas bien grave, la plupart de nos communautés ayant abandonné cette pratique depuis longtemps, bien avant la pandémie. C’est vrai, avant la crise du COVID, à part quelques villages irréductibles qui maintenaient une procession « parce que ça fait venir du monde » ou par tradition, peu connaissaient encore cette pratique des reposoirs et de la procession qui traverse toute une cité. Mais soudainement, l’absence forcée nous en révèle toute la portée, l’absence forcée nous en révèle tout le sens. 

            Certains vont dire : voilà qu’il fait son nostalgique. Ben non, même pas, parce que, pour le petit haguenovien que j’étais, la Fête Dieu, comme nous disions alors, se caractérisait par une messe unique rassemblant les trois paroisses de la ville à la Halle aux Houblons. Point de procession dans la cité de Barberousse. Mais un temps qui mettait fin à la rivalité entre les communautés chrétiennes dont on n’envisageait nullement le regroupement en communauté de paroisses. Un temps fort pour la cité tout entière qui mettait bien du monde en mouvement pour une célébration festive. Elle était comme le sommet de l’année paroissiale. Mais alors pourquoi nous parler de cette procession ? Parce qu’elle nous enseigne à sa manière sur le sens de l’eucharistie. Elle nous rappelle que l’eucharistie a une dimension sociale. 

            Avec notre mentalité française qui part du principe que la foi ne peut être que personnelle, nous avons un peu oublié cette dimension sociale pour ne pas dire sociétale de notre foi. Je ne suis pas chrétien uniquement le dimanche quand je vais à la messe, sous-entendant que le reste du temps, je peux bien faire ce que je veux. Non, être croyant au Dieu de Jésus Christ, c’est vivre d’une Alliance scellée dans le sang du Christ, qui concerne toute ma vie, dans toutes ses dimensions. Il ne peut y avoir ce que je crois d’un côté et ce que je vis de l’autre. Le croyant est appelé à unifier sa vie en Christ. Ce qu’il croit, a une incidence sur la manière dont il vit. Et la procession avait ceci de particulier qu’elle permettait de remettre le Christ au cœur de la vie de la cité traversée, rappelant à tous, croyants ou non, fervents ou pas, qu’il y avait quelque chose, mieux quelqu’un, qui avait le souci de tous, et il venait ainsi à leur rencontre dans cette procession. Et même si certains pensent que c’est plutôt folklorique, ou une manifestation de la foi du charbonnier, avec un côté magique, je veux juste rappeler que la foi du charbonnier ou la foi populaire, c’est quand même de la foi et que nous ne pouvons pas juger de ce qui se passe dans le cœur d’un homme, d’une femme, d’un enfant qui voit passer le Christ présent dans l’Eucharistie. Pouvons-nous honnêtement affirmer qu’il ne se passe rien quand le Christ s’approche des hommes et des femmes de notre temps ? L’Evangile nous parle de nombreuses fois de ces rencontres, de ces vies bouleversées parce que Jésus est passé par là et a accordé du crédit et du temps à une personne. Il suffit de relire la très belle rencontre entre Jésus et Zachée pour s’en convaincre. 

            N’oublions jamais que dans ce Pain consacré et partagé, c’est le Christ vivant qui est réellement présent. Et il n’est pas présent seulement aux chrétiens qui croient en lui ; il est présent à tous les hommes qu’il est venu conduire vers Dieu, son Père. Au soir du Jeudi Saint, Jésus a dit : Ceci est mon sang, le sang de l’Alliance, versé pour la multitude. Certes, la multitude, ce n’est pas tous les hommes, mais la multitude qui reconnaîtra dans ce sang versé le sang de l’Alliance entre Dieu et les hommes. Mais pour que cette multitude soit chaque jour plus nombreuse, pour que cette multitude soit réelle, il faut rendre cette Alliance lisible et visible à ceux qui ne croient pas ou qui ne croient plus. Il faut permettre au Christ de passer à nouveau dans nos cités comme il l’a fait jadis. Je reconnais qu’une procession en ce jour ne fait pas tout, mais elle peut dire cette présence pour peu que nous n’en fassions pas un folklore, ou un moyen de retrouver le faste d’antan, mais bien une rencontre entre Celui qui s’est livré et tous ceux pour qui il s’est livré. Et puisque la procession n’était pas constitué seulement du prêtre et de son ostensoir, mais de toute la communauté croyante, elle permet aussi et surtout à la communauté croyante de croiser à nouveau la route et les visages de celles et ceux qui se sont éloignés d’elle, de celles et ceux qui n’ont jamais songé à la rejoindre, de celles et ceux que cette communauté croyante tenait peut-être à l’écart par facilité. Si une procession permet au Christ de se faire reconnaître par les hommes, elle permet aussi aux croyants de voir les visages très concrets et très humains de celles et de ceux qui sont ainsi croisés dans l’ordinaire de leur vie. La prière universelle qui a été faite durant la célébration est ainsi illustrée par tous ces visages de badauds qui assistent, amusés, sérieux ou indifférents, à cette procession. Ceux pour qui nous prions quelquefois de manière détachée deviennent soudain très réels, très proches. 

            Comme la messe qu’elle prolonge, la procession est un heureux échange entre Dieu et les hommes qu’il aime. Comme la messe, la procession est un heureux révélateur d’une communauté capable de s’ouvrir aux périphéries. La procession est un heureux moyen pour nous, croyants, de nous souvenir que la messe qui nous rassemble est aussi la messe qui nous renvoie vers tous ces hommes, vers ces frères et sœurs en humanité dont nous devons avoir le souci constant. La messe (tout comme la procession) ne saurait donc être un petit moment de plaisir solitaire. Elle me renvoie sans cesse vers les autres que le Christ est venu sauver aussi. Puissions-nous garder le goût de ces autres que Dieu aime, même si nous ne pouvons pas les rejoindre en ce moment. Qu’ils ne soient absents ni de nos prières, ni de notre cœur. Et que la grâce de Dieu qui sait tout et qui peut tout, nous rassemble tous un jour au banquet du ciel, en compagnie de tous les saints, banquet éternel dont nos eucharisties et nos processions ne sont qu’un avant-goût. Amen.

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