Le miracle du partage.
Il semblerait que Jésus et ses disciples aient enfin trouvé un peu de repos. Nous les retrouvons, assis sur la montagne. Pas d’enseignement donné ; juste un temps calme pour se retrouver entre amis, à l’écart. Un repos tout relatif pour Jésus, une foule nombreuse venant toujours encore à lui. Elle semble insatiable, cette foule. Nous pouvons avoir l’impression que plus Jésus s’occupe de la foule, plus elle grandit, plus elle a faim des gestes et des paroles que Jésus peut donner. C’est la faim, très terre à terre, l’estomac qui gargouille, qui va préoccuper Jésus : Où pourrions-nous acheter du pain pour qu’ils aient à manger ?
Intéressons-nous un peu à cette question de Jésus. L’homme-Dieu semble être le seul à se préoccuper d’intendance. Cette foule qui se presse autour de lui semble avoir oublié le quotidien, le nécessaire même pour tenir toute une journée, à l’écart. Je ne sais pas pour vous, mais, pour ma part, j’essaie de penser à ce détail lorsque je pars pour toute une journée : où vais-je manger ? Trouverais-je quelque chose en chemin ? Vaut-il mieux que je prévois mon casse-croûte ? Ici, à part une maman qui s’inquiète pour son enfant et lui confie cinq pains et deux poissons, personne ne semble s’être préoccupé de cela. Ils sont tous partis de chez eux sans rien prendre. Est-ce que je me trompe en pensant que suivre Jésus ne signifie pas perdre son bon sens pour autant ? Mais passons, ce n’est pas la seule incohérence du texte. Jésus interroge Philippe alors même qu’il savait bien, lui, ce qu’il allait faire. Si tu as la réponse avant même de poser la question, pourquoi la poser ? Juste pour le mettre à l’épreuve ? Ce n’est pas très gentil, ça ! Mais bon, il fallait la réponse de Philippe pour montrer l’ampleur de la tâche à accomplir : le salaire de deux cents journées ne suffirait pas pour que chacun reçoive un peu de pain. En même temps, cette réponse va permettre de mesurer la grandeur du miracle, puisque, nous l’avons entendu, non seulement tout le monde mangera à sa faim, mais en plus, il restera douze corbeilles pleines. Encore une incohérence du texte : qui s’en va en promenade sans prendre de repas, mais trimbale toute la sainte journée une corbeille vide ? Il faut bien qu’elles viennent de quelque part, ces corbeilles ! Mais passons aussi ce détail. Retenons qu’une grande foule suit Jésus et que Jésus est le seul à se rendre compte qu’ils vont avoir faim et qu’il faudra les nourrir.
Intéressons-nous alors à ce jeune garçon qui a cinq pains et deux poissons. Il pourra remercier sa maman d’avoir été prévoyante pour son enfant. Même si elle lui donne beaucoup : cinq pains pour un enfant, c’est trop. Les deux poissons, suivant la taille, ça peut passer. Ce qui m’intéresse, chez ce garçon, c’est son absence d’égoïsme. Il a sans doute faim comme les autres, mais il donne tout à Jésus. Il n’en garde pas un morceau pour lui. Je ne peux m’empêcher de penser à cette parole de Jésus qui nous invite à être comme des enfants, à garder cette ouverture et cette générosité. Dites-vous bien que sans lui, sans son abnégation, il n’y a pas de miracle aujourd’hui. Le miracle fait par Jésus commence par ce geste simple de partage fait par un garçon, geste que Jésus va démultiplier au-delà du nécessaire puisqu’il y aura des restes après que tous auront mangé à leur faim. Ce geste posé innocemment par cet enfant entraîne le geste plus grand de Jésus. Un geste qui doit nous rappeler que Dieu ne peut rien sans nous, sans notre consentement. Dieu ne s’imposera jamais à l’homme, même pour le sauver. Celui qui ne veut pas être sauvé par Dieu, ne le sera pas. Il faudra toujours un premier geste, un premier mot de l’homme pour que Jésus puisse intervenir dans la vie des hommes.
Un autre détail doit alors nous interpeler : c’est Jésus lui-même qui distribue le repas aux convives, les disciples auront le droit de ramasser les restes. Je vous rappelle que les convives sont au nombre d’environ cinq mille hommes. Vous avez déjà essayé de servir cinq mille hommes, tout seul ? Cela a dû prendre du temps. Une manière de dire que Dieu sert l’homme en permanence, sans doute. Une fois que l’homme a consenti à Dieu, celui-ci veille sur l’homme, toujours. Le psalmiste nous l’a fait chanter : les yeux sur toi, tous ils espèrent : tu leur donnes la nourriture au temps voulu ; tu ouvres ta main : tu rassasies avec bonté tout ce qui vit. Cette permanence de Dieu auprès de l’homme avec qui il fait alliance est un incontournable des textes bibliques. Vous pouvez relire la Bible de sa première à sa dernière page, il n’est question que de cela. Si Jésus est venu dans le monde, c’est bien parce que Dieu porte le souci des hommes, le souci de leur salut.
Un dernier détail alors qui n’est sans doute pas un hasard et qui vient renforcer le fait que c’est bien Jésus, et non ses disciples, qui distribue la nourriture : tout cela se passe alors que la Pâque, la fête des Juifs, était proche. Il faut revenir au livre de l’Exode pour trouver la première Pâque, cette nuit où Dieu, sous la conduite de Moïse, a libéré son peuple d’Egypte. Ce geste de salut a commencé par un repas pris à la hâte. Il faut alors nous souvenir que Jésus, lors de la dernière Pâque qu’il prendra avec ses Apôtres, au cours du repas, a donné un nouveau sens au partage du pain et du vin. Ce soir-là, que nous commémorons chaque année le Jeudi Saint, Jésus a dit que dans ce pain rompu et partagé, c’était lui-même qui s’offrait. Comment dès lors ne pas voir un avant-goût de ce don dans le fait que Jésus serve lui-même le pain à la foule nombreuse assemblée auprès de lui. Et je n’insisterai pas davantage sur le poisson, premier symbole chrétien, qui est devenu l’acronyme en grec de Jésus Christ, de Dieu le Fils Sauveur. Dans cette multiplication des pains, qui est la multiplication d’un geste de partage, Jésus annonce déjà le don qu’il fera de sa propre vie pour tous les hommes. Avec la foule, nous pouvons alors reconnaître que c’est vraiment lui le Prophète annoncé, celui qui vient dans le monde.
Au-delà des incohérences, il reste
donc un message fort qui peut devenir notre ligne de conduite : si Dieu
peut tout pour toi (et je le crois réellement), il attend de toi que tu prennes
ta part, que tu œuvres avec lui, à ton salut et au salut du monde entier.
N’oublie jamais que c’est grâce à un jeune garçon que Jésus a pu multiplier les
pains. Donne tout au Christ, et le Christ te le rendra, au centuple et bien davantage
encore. C’est le miracle du partage. Amen.
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